Traitements médicamenteux et prise de poids

Parmi les effets indésirables de certains médicaments, on compte parfois la prise de poids. On dit alors qu’elle est iatrogène ou pharmaco-induite. Qu’elle soit modérée ou importante, elle peut gêner certains patients au point, parfois, de préférer ne pas suivre leur traitement. Par ailleurs, lorsqu’elle est significative et provoque un surpoids notable, voire une obésité, la question du bénéfice pour sa santé par rapport aux risques de comorbidités engendrées par cette obésité est à soulever. Selon le Dr Jean-Pierre Thierry, médecin en santé publique, « La prise de poids est acceptable dans le cadre d’un traitement ayant un effet thérapeutique majeur sur certaines maladies. Elle est finalement « bonne » pour la santé du patient mais à condition de faire l’objet d’un suivi. C’est donc un sujet de prise en charge médical à discuter entre le patient et son médecin. ».

Il apparaît ainsi, face au panel des spécialistes issus des associations de France Assos Santé que nous avons interrogés, que si pour le diabète et l’épilepsie une certaine attention est portée sur le sujet, en revanche les patients souffrant de troubles psychiatriques, dont beaucoup sont touchés par le problème de la prise de poids pharmaco-induite, sont bien trop peu suivis pour l’éviter ou au moins la limiter.

Quels médicaments peuvent induire une prise de poids et pourquoi ?

Pauline Bonhomme, docteur en pharmacie et auteure d’une thèse sur la prise de poids iatrogène, que nous avons interrogée, précise : « Selon le type de médicaments connus pour induire une prise de poids, selon les patients, celle-ci n’est pourtant pas systématique. Elle va dépendre du métabolisme de chaque individu et de leur comportement face à cet effet iatrogène. De manière non-exhaustive, on peut énumérer une augmentation de l’appétit, une diminution des dépenses énergétiques ou une asthénie qui va engendrer une diminution de l’activité physique. Face à une augmentation de l’appétit par exemple, certains patients majoreront leur apports nutritionnels journaliers, ayant du mal à se réguler. A l’inverse, d’autres, peut-être mieux alertés sur le sujet et plus soucieux de leur poids, feront des efforts pour maintenir leurs apports alimentaires habituels. Il est ainsi nécessaire de travailler au cas par cas avec les patients, afin de prévenir au mieux ce risque iatrogène. ».

Dans sa thèse de doctorat, Pauline Bonhomme liste l’ensemble des médicaments qui entrainent une prise de poids significative. Parmi eux, on retrouve les neuroleptiques responsables d’une augmentation du poids jusqu’à 8kg en moyenne la première année. Pour en citer quelques autres, cette liste comprend également certains antidépresseurs, des stabilisateurs de l’humeur, comme le lithium, les bêta-bloquants qui ont tendance à réduire le métabolisme de base, les antihistaminiques qui par leur effet sédatif entrainent une réduction des dépenses énergétiques, les corticoïdes qui favorisent l’appétit et la rétention d’eau. La prise de poids peut également être induite par certains antiépileptiques et traitements pour le diabète. Pour ces deux derniers, ainsi que pour les troubles psychiatriques, nous avons voulu en savoir davantage en interrogeant des associations de patients et des professionnels de santé concernés.

Les traitements pour le diabète avec le Dr Jean-François Thebaut, vice-président de la Fédération française des Diabétiques

Il faut, avant tout, différencier les diabètes de type 1 et de type 2 bien que le problème du poids soit toujours très sensible pour les tous patients diabétiques.

En premier lieu, pour les diabétiques de type 1 (10% des cas de diabète qui correspond au cas de figure où le pancréas cesse de secréter de l’insuline), la prise de poids est modérée.

Pour les diabétiques de type 2, le poids est en réalité souvent un problème dès le début, puisque pour les 3/4 d’entre eux, avant l’apparition du diabète, les patients sont déjà en surpoids, voire en situation d’obésité. La toute première recommandation, avant même les traitements médicamenteux, est d’ailleurs de perdre entre 5 et 10% de son poids. Ce simple phénomène peut contribuer à équilibrer le diabète. Cela passe par un rééquilibrage hygiéno-diététique et surtout de l’activité physique. Malheureusement ces changements comportementaux sont souvent difficiles à mettre en place, surtout sur la durée.

Concernant les traitements médicamenteux du diabète, certains peuvent aider à maigrir, d’autres n’auront pas d’incidence sur le poids, et d’autres encore auront tendance à faire prendre du poids.

Beaucoup de médicaments pour le diabète de type 2 permettent de perdre du poids. Les SGLT-2 inhibiteurs, par exemple, font uriner davantage et permette de perdre rapidement 1 ou 2 kilos. Les agonistes du GLP-1 permettent de perdre du poids de façon assez significative tout en augmentant la production d’insuline et de réguler la digestion.

Cela dit, pour tous ces médicaments, s’il n’y a pas de rééquilibrage de l’alimentation et de l’activité physique, la prise de poids stagnera comme avant.

Les traitements les plus prescrits, comme les sulfamides ou la metformine ne font ni maigrir, ni grossir particulièrement. Les sulfamides peuvent faire prendre 1 ou 2 kilos au début puis cela se stabilise rapidement et dans l’ensemble ces types de médicaments peuvent même aider à perdre du poids dans le cadre d’une réadaptation alimentaire.

Les médicaments contre le diabète connus pour faire grossir sont les glitazones qui ne sont presque plus utilisés en France et également l’insuline. Cependant, en ce qui concerne l’insuline, il s’agit plutôt d’une « bonne » prise de poids car l’insuline est une hormone somatotrope, c’est à dire qui fait prendre du muscle. Rappelons qu’à volume égal, le muscle est plus lourd que la graisse. En revanche, l’inconvénient de l’insuline est qu’elle stimule l’appétit et qu’il va donc être plus difficile de perdre du poids lorsque l’on en prend, d’où l’absolue nécessité de poursuivre une activité physique adaptée, éventuellement sous contrôle médical.

Les traitements antiépileptiques avec le Dr Nathalie Chastan, neurologue, adressée par l’association Épilepsie France

La prise de poids peut être un effet indésirable de certains médicaments antiépileptiques. Pour la plupart d’entre eux, la liste des effets indésirables indique qu’il peut y avoir perte ou prise de poids et dans les deux cas, en général, elles ne sont pas trop gênantes pour les patients car minimes. Parmi les médicaments antiépileptiques l’un d’eux est connu pour induire une prise de poids non négligeable, même si elle n’est pas systématique, il s’agit de la dépakine qui augmente l’appétit. La dépakine est un traitement largement prescrit car très efficace dans les épilepsies généralisées.

Sous Dépakine, la prise de poids peut être ennuyeuse, au point qu’on tente d’autres médicaments, surtout pour les personnes déjà en surpoids ou si les personnes sont très angoissées à l’idée de prendre du poids.

Il est toujours préférable de bien prévenir son patient de cet effet indésirable potentiel car s’il y ait confronté sans y être préparé, il peut stopper son traitement de lui-même. D’autant plus que si on prévient les patients dès le départ, ils pourront dès lors adapter de manière anticipative leur alimentation et leur activité physique.

Précisons que l’on ne peut pas prescrire de dépakine en première intention chez une jeune femme en âge de procréer car la dépakine peut entrainer des malformations et des troubles neurodéveloppementaux chez les nouveau-nés. On ne la prescrit que si les autres médicaments antiépileptiques n’ont pas fonctionné. Ainsi cela peut-être un avantage pour les jeunes femmes concernant la prise de poids, surtout à l’adolescence qui est un âge charnière sur ce point, mais le revers de la médaille est que, le temps de faire le tour des alternatives médicamenteuses, parfois ce sont des périodes difficiles avec des crises qui persistent et induisent souvent fatigue, absentéisme scolaire, etc. Finalement, les jeunes hommes souffrant d’épilepsie généralisée sont parfois plus rapidement équilibrés.

De mon côté, si une prise de poids a lieu, je propose des consultations chez le nutritionniste.

Notons que la prise de poids peut parfois entrainer l’apparition du syndrome d’apnée du sommeil qui provoque une fatigue, or la fatigue est un facteur déclenchant des crises d’épilepsie. Cela peut devenir un cercle vicieux.

Dans tous les cas, la confiance entre le patient et son médecin est indispensable et je dis souvent qu’un médicament doit être à la fois efficace et bien toléré pour que le traitement soit correctement suivi par le patient. Les patients n’osent pas toujours parler des effets secondaires tant que les crises ont disparu. Cependant, les crises, pour beaucoup de patients sont occasionnelles, alors que les effets secondaires sont présents tous les jours, altérant la qualité de vie des patients. On n’arrive pas toujours à trouver un traitement avec une balance optimale entre son efficacité et les effets indésirables, mais si on n’essaye pas, on ne trouvera pas !

Témoignage de Tiphaine, 22 ans, épileptique

J’avais 9 ans quand on a diagnostiqué que je faisais des crises d’épilepsie. Vers 16 ou 17 ans, mes crises se sont aggravées et on a changé de traitement pour me proposer la Dépakine associée au Keppra. Je savais qu’il pouvait y avoir des effets indésirables importants, dont la prise de poids, des troubles de l’humeur, la perte des cheveux, de la fatigue, cependant je faisais de multiples crises et « absences » quotidiennes et j’étais prête à supporter tout cela pour un traitement enfin efficace.

J’ai pris 15 kilos en 6 mois. Au début, je me réjouissais surtout de l’efficacité du traitement et je ne me suis pas trop attardée sur les effets indésirables d’autant qu’au moment où j’ai débuté le traitement j’étais très maigre du fait des enchaînements des crises quotidiennes qui m’avaient épuisée. Malgré tout, au fur et à mesure, je me suis sentie gênée par le regard des autres, suite à cette importante prise de poids. Mon poids s’est finalement stabilisé mais métaboliquement, le médecin, avec qui j’ai pu échanger librement sur le sujet, m’a expliqué qu’elle s’inverserait difficilement. Effectivement, je n’arrive pas à perdre de poids et je dois faire attention à mon alimentation et faire du sport pour ne pas grossir davantage. Je suis à un poids qui ne me plaît pas, mais je m’accepte car je ne fais plus du tout de crises d’épilepsie et pour moi, c’est le plus important.

Les traitements des troubles psychiques avec Marie-Jeanne Richard, présidente de l’UNAFAM  (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques)

Les troubles somatiques chez une personne atteinte de troubles psychiques, sont, de façon générale, très mal pris en charge (Lire son témoignage sur la prise en charge de la douleur chez les personnes vivant avec un handicap). On parle d’ailleurs pour ces patients de 15 à 20 ans de vie en moins du fait de ce défaut de prise en charge, mais également à cause de la prise de certains médicaments, comme certains neuroleptiques, qui induisent une forte prise de poids et entrainent de lourdes comorbidités comme par exemple des troubles cardio-vasculaires, l’apparition du syndrome métabolique ou du diabète. Ce sont des sujets bien connus pour nos malades.

Il y a évidemment des facteurs individuels qui entrent en jeu. Tous les patients ne grossissent pas et pas tous de la même manière mais il est certain que les psychiatres manquent de formation sur le sujet. C’est d’autant plus dommage que cela survient à un moment de la relation patient-médecin où la confiance s’instaure.

Personnellement, j’ai deux enfants sous neuroleptiques, et l’un d’eux a pris une centaine de kilos en 20 ans de traitement. Il a donc des comorbidités extrêmement importantes liées à sa prise de poids.

Il n’y pas d’accompagnement au moment où les patients sont mis sous neuroleptiques. On soigne le cerveau et c’est comme si, dans le même temps, le corps disparaissait. Quand on commence à s’en préoccuper, il y a déjà souvent une telle prise de poids qu’il est difficile de les perdre et que les comorbidités sont installées. Chez les malades pour qui la souffrance psychique est lourde, ils continuent à prendre leur traitement malgré la prise de poids, mais il y a aussi beaucoup de patients qui cessent de prendre leurs médicaments tant cela les gêne. Ils ne supportent pas ces transformations physiques. C’est la double peine pour eux. Cela devient synergique dans la souffrance puisque ce sont, à la base, des pathologies qui posent des difficultés dans les liens sociaux. De fait, si on ne supporte plus les regards sur soi à cause de son poids, c’est sans fin. Cela ajoute une barrière sociale supplémentaire, cela stigmatise, cela isole.

On soigne un morceau de la personne, ce ne sont pas des soins globalisés. Nous avons pu nous faire entendre par la Haute Autorité de Santé, dans le cadre du parcours patient, en demandant à y intégrer le suivi du poids. Cependant il ne suffit pas de « suivre » le poids. On est en présence de personnes qui vivent de grandes souffrances. Leur dire de ne pas boire de soda c’est anecdotique pour eux. Il y a un vrai besoin d’accompagnement sur la durée. Une heure avec un nutritionniste ne peut pas suffire. Qui viendra, par exemple, les aider à préparer un repas équilibré chez eux, alors que pour certains patients, la souffrance s’accompagne de troubles cognitifs, métacognitifs ? Il n’y a pas clairement pas suffisamment, ni de prise en compte, ni de recherche sur le sujet.

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