Dépistage organisé des cancers : doit mieux faire

Organiser le dépistage des cancers du sein, colorectal et du col de l’utérus, c’est bien, mais encore faudrait-il qu’il soit mieux mené. C’est en résumé le constat dressé par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un rapport publié début 2022. Les taux de couverture sont, de ce point de vue, sans appel. Comment optimiser les programmes nationaux de dépistage organisé des cancers ? Place au second chapitre, celui des pistes d’amélioration.    

Le dépistage organisé (DO) tel qu’il existe aurait-il vécu ? Si le principe des trois programmes nationaux mis en place reste justifié, ceux-ci doivent évoluer, « en changeant d’échelle », dixit l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans son rapport publié en janvier dernier. « Les résultats des programmes sont décevants au regard des moyens consacrés et des objectifs assignés », écrivent ses auteurs. L’investissement consenti est estimé à 600 millions d’euros par an, lit-on dans le rapport. Quant à la participation, elle est très en-deçà des attendus, et « même en diminution depuis 2018-2019 », précise l’Igas, en ce qui concerne les dépistages du cancer du sein et du cancer colorectal.

Les dysfonctionnements sont nombreux, à l’aune des 22 propositions faites par l’Inspection générale des affaires sociales pour rendre ces programmes plus efficients. Nous ne les passerons pas tous en revue, mais nous nous arrêterons sur certains d’entre eux, parmi les plus emblématiques et/ou parlants. « Pour optimiser le service rendu à la population, il y a clairement des améliorations à faire tant au niveau des dispositifs que de leur organisation », acquiesce Nathalie Clastres, chargée de mission prévention et promotion des dépistages à la Ligue contre le cancer.

Et le numérique dans tout ça ?

L’Igas vote pour, tout comme l’experte de la Ligue contre le cancer : « Il faut absolument passer à la numérisation et arrêter la lecture des clichés sur table lumineuse, ou négatoscope. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, les négatoscopes sont tous en train de tomber en panne et plus personne ne les produit. Résultat, les centres de lecture seront bientôt confrontés à une pénurie de négatoscope et même, sur certains modèles, à une maintenance inexistante. Bref, si on veut maintenir la qualité du dispositif, et cette chance d’avoir une 2e lecture, qui permet de récupérer 6 % des cancers, il y a une vraie urgence ». Les premiers essais de numérisation des clichés remontent à plus de dix ans.     

Quid de la tomosynthèse ?

Dans la même veine, en l’occurrence celle du matériel, certains radiologues sont tentés d’investir dans un appareil de tomosynthèse, une technique d’imagerie qui procure des clichés en 3D, en lieu et place du mammographe. Rappelons que la mammographie reste l’examen radiologique de référence dans le DO du cancer du sein. Les pratiques passeront peut-être un jour par la tomosynthèse, mais pas avant qu’un cahier des charges n’ait été strictement défini par un organisme indépendant. « La tomosynthèse délivre davantage de rayons-X que la mammographie, il faut donc mettre en place un référentiel de contrôle qualité pour définir et garantir une dosimétrie la plus faible possible », souligne Nathalie Clastres. Mais là encore, regrette-t-elle, « faute de décision, les radiologues sont un peu à la dérive et peuvent se retrouver à sortir du circuit du dépistage organisé au moment d’acquérir de nouveaux matériels ».

DO contre DI : quels sont les vrais chiffres du dépistage ?

Officiellement, le taux de couverture du dépistage organisé du cancer du sein est de 50 % – du moins avant la Covid-19. Mais c’est sans compter avec le dépistage individuel (DI). Sauf qu’il est impossible de connaître la part représentée par celui-ci – même l’Assurance maladie ne peut la déterminer, pour une question de codification.2 C’est donc l’énigme. Et en même temps, l’embarras quand la logique est celle du DO. « Outre que cela fausse les données, les femmes qui optent pour le dépistage individuel ne suivent pas en général les recommandations, explique le Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller médical à France Assos Santé. Elles commencent souvent dès l’âge de 40 ans, sont dépistées par fois tous les ans, et associent une échographie à la mammographie (ou à une tomosynthèse). Dans certains pays de l’Union européenne qui remplissent l’objectif de plus de 70 % de participants au DO, on compte pourtant 2 à 3 fois moins de mammographes par habitants qu’en France, ce qui peut laisser supposer que le nombre de DI n’est pas forcément anodin. Par ailleurs, en l’absence de registres de cancers couvrant le territoire national, on ne dispose pas de données comparatives entre les cancers dépistés par DO et par DI, par exemple sur le type de cancer, la prise en charge et l’évolution ». Rappelons qu’en l’absence de seconde lecture, le DI n’offre pas les mêmes garanties que le DO. Faut-il dérembourser le DI ? Le débat n’est pas nouveau. Pour Nathalie Clastres, « ces femmes, pour peu qu’elles répondent aux critères d’éligibilité, doivent réintégrées le dépistage organisé ».

Les populations cibles inégalement touchées

C’est peut-être l’écueil le plus grave et le plus accablant. Et d’ailleurs quand l’Igas appelle à changer d’échelle, c’est en particulier dans les actions d’« aller vers ». Parmi les populations cibles qui échappent aux programmes nationaux de dépistage organisé, on trouve les personnes précaires, les mères seules et isolées, les personnes pour lesquelles l’accès aux soins est difficile, parce qu’elles habitent dans des zones de désertification médicale, qu’elles sont en situation de handicap ou encore en raison de la barrière de la langue, etc. Avec le transfert de l’envoi des invitations à l’Assurance maladie, cette mission de sensibilisation pourrait revenir aux CRCDC, suggère l’Igas. Reste la question des moyens, soulève Nathalie Clastres : « Il faut former des personnes dans les CRCDC pour faire de l’aller vers, et essayer de mobiliser toutes les populations. Il y a eu, à une époque, des médiateurs de santé, mais ce dispositif a été supprimé car jugé trop onéreux. Il existe des solutions qui permettraient d’impliquer davantage les populations, mais on nous répond à chaque fois que cela coûte trop cher. De même, il y a un manque de radiologues et les déserts médicaux s’intensifient ». Dans ce contexte, juge-t-elle, l’objectif présidentiel d’un million de dépistages supplémentaires d’ici à 2025 est « utopique ».

Quid du risque de surtraitement ?

Qui dit surtraitement dit surdiagnostic. Il concernerait entre 10 et 15 % de la population. « Si le surdiagnostic est important et a bien été identifié dans le cancer de la prostate, c’est moins le cas dans les autres cancers, déclare Nathalie Clastres. Nous n’avons toujours pas, à ce jour, la possibilité de distinguer, à partir de marqueurs histologiques, un cancer évolutif d’un cancer qui ne le serait pas ». Question subséquente : « Que dire aux femmes à qui l’on détecte un petit cancer ? De revenir dans six mois et, en attendant, de vivre avec une épée de Damoclès sur la tête… », interroge la chargée de mission à la Ligue contre le cancer. « Aux Etats-Unis, rapporte Jean-Pierre Thierry, le Pr Laura Esserman, chirurgienne et directrice du centre de cancérologie mammaire de l’Université de Californie, à San Francisco, s’appuie sur des résultats d’études académiques qui s’attachent à mieux connaitre les risques d’évolution des différents types de cancers du sein et informer correctement les femmes. Il s’agit de ne plus opérer systématiquement certains des plus petits cancers, dits « in situ », et de proposer une surveillance active, c’est-à-dire un suivi à raison d’une IRM par an, sur le modèle de ce qui se pratique désormais dans le cancer de la prostate. Dans son centre, cette surveillance active associée à un traitement hormonal a permis d’éviter la moitié des interventions chirurgicales après un suivi moyen de six ans. De très rares centres européens, notamment nordiques, commencent à intégrer cette surveillance active. »  Il faut toutefois rappeler que la proportion de cancers du sein d’évolution rapide est nettement supérieure à celle du cancer de la prostate.

La borne de l’âge est-elle encore pertinente ?

« Avec le vieillissement de la population européenne, cette borne aurait un mérite à être révisée, en ce qui concerne en particulier le dépistage organisé du cancer du sein et du cancer colorectal, qui s’adresse aux personnes entre 50 et 74 ans », affirme Nathalie Clastres. Et cela, aux deux extrémités de la tranche d’âge intéressée. « Dans le cancer du sein, même si 80 % des tumeurs sont dépistées après l’âge de 50 ans, on s’est posé la question des 40-45 ans, chez qui on détecte environ 15 % des cancers, signale notre interlocutrice. Après 74 ans, et dans la perspective d’une population qui vieillit de mieux en mieux, l’intérêt de poursuivre le DO jusqu’à 80 ans peut légitimement être questionné, tout comme pour le cancer colorectal. » Dans l’immédiat, à partir de 74 ans, la Ligue contre le cancer conseille un suivi personnalisé, autrement dit de poursuivre à titre individuel le dépistage, selon les facteurs de risque de la personne. Et dans les cas de polypathologies, de handicap ou de perte d’autonomie, il convient de prendre en considération la balance bénéfice/risque. L’objet du dépistage n’est pas de dégrader davantage le quotidien et/ou le niveau de vie des patients.

1 Au niveau national, interviennent l’INCa, la Direction Générale de la Santé (DGS), l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), Santé Publique France et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Au niveau régional, sont impliqués les Agences régionales de Santé (ARS), le directeur coordonnateur régional de la gestion du risque de l’Assurance maladie (DCGDR) et le directeur de l’association régionale des caisses de mutualité sociale agricole (ARCMSA).
2 Selon la revue Le Médecin radiologue, et une publication datant de 2017, le taux de femmes ayant eu une mammographie dans les deux dernières années pourrait être de 80 %, DO et DI cumulés. À noter par ailleurs que faute de pouvoir distinguer le DI du DO en ce qui concerne le cancer du sein, le premier entre dans le coût global des dépistages, soit 600 millions d’euros pour les 3 cancers.

En savoir plus

Pour renforcer les actions de prévention et l’information sur les dépistages auprès des publics en situation de handicap psychique ou mental, la Ligue contre le cancer a créé un dispositif à destination des professionnels de l’encadrement des Etablissements et services médico-sociaux (ESMS), afin de proposer des « anim’actions », selon les principes du théâtre forum, pour rendre les participants acteurs de leur santé : Handycapdepistages.org

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