Le dépistage organisé des cancers à la loupe

Depuis 1994, le mois d’octobre se pare de rose, la couleur de la campagne annuelle de sensibilisation au dépistage du cancer du sein. Cette mobilisation donne lieu à diverses manifestations en métropole, en Corse et une partie des départements et régions d’outre-mer (DROM). À la faveur d’Octobre Rose, nous vous proposons une série en deux parties, dédiée au dépistage organisé en général. Premier chapitre : de quoi parle-ton ?

La stratégie des programmes nationaux de dépistage organisé (DO), portée par les plans cancer successifs, dont le premier a été lancé en mars 2003, s’inscrit dans un cadre international. En haut de la pyramide, l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) qui fixe le cap et, pour la mise en pratique, le Conseil européen qui établit des recommandations pour l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Depuis 2003, trois plans cancer ont vu le jour, le dernier ayant pris fin en 2019. Le 4 février 2021, le Président Emmanuel Macron a présenté sa stratégie décennale de lutte contre le cancer (2021-2030), assorti d’un objectif ambitieux : réaliser un million de dépistages supplémentaires d’ici à 2025. Bonne nouvelle, la marge de progression est importante, si l’on s’en tient aux chiffres de la participation, plutôt faibles. Mauvaise nouvelle, il y a de « bonnes » raisons pour expliquer ces scores en-deçà des attendus – ce sera l’objet du second chapitre. Dans l’immédiat, place aux dépistages organisés et gratuits tels qu’ils sont proposés dans l’Hexagone, en Corse et dans l’ensemble des départements et régions d’Outre-mer, à l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, qui pour des raisons de logistique, sont rattachés qui au Canada, qui à l’Australie pour ce qui est des examens de suivi. Mais bien sûr, localement, le dépistage y est encouragé.

Le dépistage organisé du cancer du sein

Il est lancé en 2004. Le cancer du sein est la première cause de mortalité chez les femmes, avec 12 146 décès estimés en 2018, selon les données de l’Institut National du Cancer (INCa). Cette même année, un peu plus de 58 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués. Près de 80 % des cancers du sein se développent après 50 ans, l’âge moyen du diagnostic étant de 63 ans. Si un cancer est décelé à un stade précoce, la survie à cinq ans est de 99 %.

Le dépistage organisé est ouvert aux femmes à partir de 50 ans, et jusqu’à l’âge de 74 ans. Elles sont invitées, par courrier, à réaliser une fois tous les deux ans une mammographie, un examen assorti d’une double lecture, par le radiologue, puis par un radiologue référent du Centre régional de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) dont les patientes dépendent. Objectif assigné par le Conseil européen : 70 % de participation. On en est loin, constate Nathalie Clastres, chargée de mission prévention et promotion des dépistages à la Ligue contre le cancer : « Depuis 2012, le taux de participation stagnait autour de 50 %, mais la pandémie l’a fait chuter en 2020 à 42,8 %. Les chiffres repartent un peu à la hausse, mais ils restent encore faibles et, de toute façon, très en-deçà de ces 65 % qu’il nous faudrait atteindre pour que ce programme soit efficient. »

D’aucuns redoutent que le taux d’adhésion qui prévalait avant la crise de la Covid-19 ne soit jamais totalement rattrapé. Si cette hypothèse devait se confirmer, les conséquences ne seraient pas minimes. « Premier risque, le retard au diagnostic, avec des tumeurs détectées à un stade plus avancé et la réapparition de cancers infiltrants, voire métastasés en nombre plus important. Deuxième risque, le découragement de certaines femmes, suite aux difficultés rencontrées, surtout dans les zones de forte désertification médicale, pour trouver, au plus fort de l’épidémie, un rendez-vous dans un centre de radiologie dans un délai raisonnable. À celles qui sont tentées de laisser tomber, rappelons qu’un dépistage même avec un retard de quatre mois, c’est toujours mieux que de solliciter son médecin sur l’apparition de symptômes », s’inquiète Nathalie Clastres.

Parallèlement un emballement autour de l’autopalpation, en guise d’autosurveillance, s’est emparé des réseaux sociaux. Or, rappelle notre interlocutrice, la palpation est un geste médical, réservé aux médecins généralistes, aux gynécologues et aux sages-femmes. Bien fait, il permet de déceler les lésions profondes. « Il y a des cancers qui ne sont pas visibles sur une mammographie, en raison le plus souvent de la nature particulière du tissu mammaire. Et ceux-là correspondent effectivement à des lésions repérables grâce à la palpation », rapporte Nathalie Clastres.

Il est donc important, entre deux examens radiologiques, d’avoir un suivi gynécologique avec palpation et repérage éventuellement de signes évocateurs, à savoir un mamelon rétracté, un écoulement mamelonnaire, un pli, un creux, une fossette, une peau d’orange, une rougeur persistante ou encore une boule. « Entre les lésions qu’on ne voit pas et les tumeurs fulgurantes, on estime à environ 15 % le nombre de cancers dits de l’intervalle, c’est-à-dire qui apparaissent entre deux examens radiologiques », indique la chargée de mission prévention et promotion des dépistages à la Ligue contre le cancer. En cas de difficultés à obtenir un rendez-vous avec une gynécologue, pensez à vous adresser à une sage-femme, habilitée par ailleurs à prescrire une mammographie.

Le dépistage organisé du cancer colorectal

Mis en place en 2008, il s’adresse aux personnes dès 50 ans et jusqu’à 74 ans, et s’effectue tous les deux ans. Il consiste à réaliser chez soi un test de recherche de sang caché dans les selles. Grâce au test immunologique, un seul prélèvement suffit, contre six avec l’ancien dispositif. Plus simple et rapide, le test immunologique est aussi plus efficace. À noter que dans certains cas, le patient ou la patiente réalisent directement une coloscopie, sans passer par l’étape du DO. Cet examen est généralement prescrit en cas d’antécédents familiaux ou personnels de cancer colorectal, ou lorsque la personne présente des douleurs abdominales inexpliquées, des diarrhées chroniques ou des selles sanglantes.

Le cancer colorectal est l’un des plus fréquents, en France. En 2018, 43 336 nouveaux cas ont été enregistrés, 23 216 chez les hommes. Deuxième cause de mortalité par cancer, il représente près de 12 % de l’ensemble des nouveaux cas de décès par an chez les personnes de 65 ans et plus (17 117 décès en 2018). L’âge médian de sa survenue est de 71 ans chez l’homme, 73 ans chez la femme. Toutefois, la mortalité diminue régulièrement depuis 1980. Et pourrait sans doute baisser davantage si le taux d’adhésion de la population cible était nettement plus élevé. Le DO du cancer colorectal affiche une participation médiocre de 28,9 %, à des années-lumière des 45 % recommandés par les autorités européennes. « Outre le frein psychologique, le médecin traitant ne prend pas ou n’a pas toujours le temps d’expliquer les procédures. Or son rôle est essentiel car il connaît bien l’histoire de son patient et est capable de l’orienter au mieux, vers le test ou la coloscopie », analyse Nathalie Clastres. Pour pallier ces obstacles, l’Assurance maladie a conçu une plateforme qui propose aux usagers, conviés à participer au DO, de répondre directement à un questionnaire médical et, si les critères d’éligibilité sont remplis, ils recevront par la poste le kit de dépistage. Dans le cadre du « Aller vers » les populations cibles, le kit reste évidemment disponible chez les médecins généralistes (penser à apporter sa convocation) et depuis peu chez les pharmaciens.

Cela suffira-t-il ? C’est l’espoir nourri par la chargée de mission prévention et promotion des dépistages à la Ligue contre le cancer. Et de rappeler que « si l’on guérit de ce cancer quand il est détecté précocement, on peut également éviter le cancer, en découvrant des polypes à haut risque, qu’on enlèvera ensuite lors d’une coloscopie ». D’où l’intérêt de ne pas attendre pour faire le test, et de le répéter tous les deux ans. Et, en cas de saignements identifiés et répétés, surtout se rendre chez son médecin traitant.

Le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus

Dernier né des DO, il a été lancé en 2018, avec beaucoup de retard, et a dû ensuite composer avec la pandémie. Pour autant, souligne Nathalie Clastres, « comparé aux deux autres programmes, ce dépistage fonctionne plutôt bien, avec un taux de couverture de 60 % ». C’est 20 % de moins que le taux de participation souhaité.

Le cancer du col de l’utérus fait suite à une infection persistante causée par un ou plusieurs papillomavirus humains (HPV) oncogènes (ou cancérigènes). Chaque année, il touche quelque 3 000 femmes et est responsable d’environ 1 100 décès par an. « C’est l’un des seuls cancers pour lesquels le pronostic se dégrade en France, avec un taux de survie à 5 ans en diminution. On considère pourtant qu’un dépistage régulier de toute la population-cible permettrait d’en réduire l’incidence de 90 % », rapporte l’INCa.

Dans le cadre de ce dépistage, la population cible change : sont concernées toutes les femmes de 25 à 65 ans inclus, qu’elles soient vaccinées ou non contre le HPV, même après la ménopause ou après plusieurs années sans rapports sexuels. Deux types de tests sont recommandés. Le choix se fait en fonction de l’âge de la femme, détaille l’Institut National du Cancer :

  • De 25 à 30 ans : le dépistage est fondé sur la réalisation de deux examens cytologiques (ou analyse de cellules prélevées au niveau du col de l’utérus), à un an d’intervalle, suivis d’un nouveau test de dépistage (une cytologie ou un test HPV-HR, selon l’âge de la femme) 3 ans plus tard, si le résultat des deux premiers est normal ;
  • A partir de 30 ans et jusqu’à 65 ans : le dépistage est fondé sur la réalisation d’un test HPV-HR tous les 5 ans, à débuter 3 ans après le dernier examen cytologique dont le résultat était normal, ou dès 30 ans, en l’absence d’examen cytologique antérieur.

« Le cancer du col de l’utérus est d’évolution lente et même si le taux de participation est encourageant, il rate en partie sa cible, c’est-à-dire les femmes d’une quarantaine d’années et plus qui, après les enfants et la ménopause, ne voient plus de gynécologue. Même constat en ce qui concerne les femmes en situation de précarité et les travailleuses du sexe, c’est pourquoi il faudrait mettre en place des autotests », note Nathalie Clastres. La Haute Autorité de santé (HAS) les a validés, reste à définir les modalités de leur diffusion, etc.

Le cancer du col de l’utérus est un des cancers les plus faciles à prévenir et à traiter. « Grâce au test HPV, vous pouvez savoir si vous avez ou non des papillomavirus humains circulants, reprend l’experte. Si vous n’en avez pas, vous êtes assurée de ne pas faire de cancer. Si le test est positif, et si la présence d’une lésion précancéreuse ou cancéreuse est confirmée, suite à une biopsie ou une colposcopie, elle sera enlevée. » Inversement, un cancer du col de l’utérus, ou de la vulve, même soigné et guéri peut laisser des séquelles extrêmement invalidantes.

Rappelons pour finir que ce DO s’adosse à un vaccin préventif contre le HPV : il est recommandé chez tous les adolescent de 11 à 14 ans (2 doses) et, en rattrapage, chez les jeunes de 15 à 19 ans n’ayant pas été vaccinés (3 doses). Si le taux de vaccination atteint 33 % chez les filles, il est de…1 % chez les garçons. « C’est oublié que le HPV est aussi responsable des cancers du pénis, des voies aérodigestives (bouche, gorge, larynx…), y compris chez les personnes hétérosexuelles », insiste Nathalie Clastres. Dans les pays scandinaves ou en Grande-Bretagne, où le taux de vaccination est globalement de 70 %, les lésions à haut grade ont quasiment disparu, et les autorités sanitaires tablent sur une disparition du cancer du col de l’utérus d’ici dix à vingt ans, tout comme en Australie.

Cancers de la prostate et du poumon : on fait quoi ?

  • Le cancer de la prostate représente 25 % des cancers masculins. On recense environ 50 000 nouveaux cas chaque année. Age médian du diagnostic, 68 ans. En 2018, 8 100 personnes en sont décédées. D’évolution lente, un cancer de bas grade, découvert à la suite d’une biopsie, fait aujourd’hui l’objet d’une surveillance dite « active ». Le dépistage de masse organisé a été abandonné au profit d’un dépistage individuel, déterminé en fonction des facteurs de risque de chacun, mais aussi de la balance bénéfice/risque (incontinence ou impuissance dues au risque de surtraitement).
  • Le cancer du poumon est le 3e cancer le plus fréquent, avec 46 363 nouveaux cas en 2018. En légère baisse chez les hommes, il augmente chez les femmes (+ 5 % en moyenne par an – 15 132 cas en 2018). Plus de 33 000 personnes en meurent chaque année. Pas de dépistage organisé à ce jour, mais des réflexions sont en cours. Les techniques radiologiques ont évolué, qui permettent de détecter les petites lésions, chez les fumeurs et les anciens fumeurs. Mais l’enjeu est de prévenir le risque non négligeable de surtraitements, et d’effets indésirables possibles, comme cela a été le cas avec le cancer de la prostate.

En savoir plus

L’exposition Cancers à la Cité des sciences et de l’Industrie, pour tout savoir sur cette maladie complexe, aux multiples ramifications, familiales, amicales, sociales, professionnelles, etc., et dont il est encore parfois difficile de parler. L’expo est à voir jusqu’au 8 août 2023.

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