Environ 9 000 personnes se suicident chaque année, ce qui représente 25 morts par jour, selon le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Cépidc – Inserm, 2020), qui dénombre 685 tentatives de suicide quotidiennes. Si la tendance est à la baisse dans toutes les classes d’âge, ce n’est pas le cas chez les personnes de plus de 75 ans : le suicide des sujets âgés représente 30 % de l’ensemble des suicides. En dépit de ce constat, ce phénomène est bien souvent passé sous silence. Indifférence, tabou, résignation ? Etat des lieux à l’occasion de la Journée nationale de prévention du suicide.
En 2020, 2 550 Français ont perdu la vie sur les routes : c’est 21,4 % de morts de moins que l’année précédente. Certes, cette diminution est à relativiser du fait de la crise sanitaire et de ses confinements successifs. Mais même si l’on reprend les chiffres de la mortalité routière en 2019, qui rapportent 3 383 décès, cette statistique équivaut pratiquement aux 3 000 morts par suicide enregistrés chez les personnes de plus de 70-75 ans. Pourquoi ce constat n’est-il pas plus communiqué, alors que les sujets âgés représentent un tiers du nombre total des suicides dans l’Hexagone et qu’a priori le vieillissement est l’affaire de tous ? « C’est encore aujourd’hui un sujet tabou, estime Françoise Facy, vice-présidente de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS) et ex-chercheuse de l’Inserm, spécialiste des conduites à risque.1 Parmi les raisons qui peuvent l’expliquer, j’en retiendrais une qui tient aux perceptions que certaines personnes peuvent avoir de la vieillesse, assimilée à un naufrage, une déchéance, entre autres parallèles communément répétées. Or ce type de regard entraîne probablement une forme de résignation vis-à-vis des sujets âgés. » C’est le propre des entourages qui ne sont pas suffisamment attentifs, notamment pour ce qui est des soins les plus basiques (dentition, surdité, vue…), induisant chez l’aîné un double sentiment d’abandon et de déréliction.
Interroger nos représentations
Pour Mélanie Rossi, ces idées suicidaires sont le signe d’une difficulté à s’adapter à une accumulation de bouleversements auxquels le sujet âgé est confronté : les deuils, l’isolement, l’absence de modèle d’intégration autre que par le travail, le placement dans une institution, le sentiment d’inutilité et donc de perte de sens. Autant de ruptures de vie dont des phrases comme « J’en ai marre », « À quoi bon », « Je n’en peux plus » et autres « Je serais mieux mort » se font bien souvent l’écho. Expriment-elles forcément une volonté d’en finir ? C’est là qu’il faut prendre garde aux raccourcis et interroger nos représentations, répond Mélanie Rossi : « Notre combat consiste à faire comprendre, notamment lors des formations des bénévoles, que nous véhiculons des idées fausses sur la vieillesse et le grand âge : aujourd’hui, nous sommes parfois trop souvent tentés de nous détourner du débat sur les causes profondes qui nourrissent la souffrance des personnes âgées au point de leur donner envie d’en finir ». Et une longue existence ne doit pas être le prétexte à imaginer que le sujet âgé a bien (assez) vécu. « Que ce soit en prévention du suicide ou même dans les services de soins palliatifs, nous sommes du côté de la vie », souligne la jeune femme.
Permettre la verbalisation
En effet, la parole de la personne âgée est souvent changeante, reprend Mélanie Rossi. « Le plus souvent, quand elle dit vouloir mourir, elle signifie surtout qu’elle veut cesser de souffrir, il faut donc cheminer avec elle pour lui faire prendre conscience qu’il y a d’autres alternatives. Et le second point important, c’est qu’il faut arrêter de penser que parler ouvertement du suicide avec l’appelant qui évoque sa lassitude pourrait lui mettre des idées dans la tête. Par ce biais, on lui manifeste au contraire notre inquiétude et on lui renvoie que sa vie a de la valeur. C’est souvent pour la personne fragilisée un grand soulagement. » Un constat que partage Françoise Facy : « Plus on utilise des mots précis, plus on va libérer l’expression et permettre à la personne de mettre des mots sur son mal être ». L’écoute doit être facilitatrice, en plus d’être empathique. Si le passage à l’acte, chez la personne âgée, est presque toujours fatale, Mélanie Rossi alerte sur ce que l’on appelle le syndrome de glissement, qui se traduit par une détérioration rapide de l’état général de la personne âgée. « Ce phénomène qui consiste à se laisser mourir n’est pas pris en compte dans les statistiques officielles, ce qui veut dire que le chiffre officiel de 3 000 suicides par an est en partie sous-estimé », précise-t-elle.
Pas de budget spécifique
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la population européenne est appelée à vieillir. En 2040, la France pourrait compter 51 personnes de plus de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 aujourd’hui. Or cette prévision démographique de l’Insee, qui date de 2021, n’est nulle part prise en compte par les pouvoirs publics. La loi grand âge et autonomie annoncée depuis des années a été enterrée en septembre dernier. Dans ce contexte, si la création de la 5e branche de la Sécurité sociale a bien été entérinée, son financement reste pour le moins aléatoire. « Aujourd’hui, avec l’allongement de l’espérance de vie, notre société fonctionne sur au moins quatre générations, relève Françoise Facy. Nous ne pouvons plus accepter qu’il y ait des générations sacrifiées, qu’il s’agisse des aînés ou des jeunes : la solidarité doit s’exercer aux deux extrémités de la vie. »
Le 1er octobre 2021, un numéro national de prévention du suicide, confidentiel et gratuit, le 3114, a été mis en place, avec des professionnels de santé au bout de la ligne. Si la vice-présidente de l’UNPS s’en félicite, cette initiative ne saurait suffire à régler les problématiques sous-jacentes, comme le délitement du lien social, en ce qui concerne, en particulier, les personnes les plus âgées. « Il faut activer plusieurs interventions à la fois, développe Françoise Facy. On parle trop peu de la place de l’humain qui est essentiel dans la détection du mal-être et du suicide. À tous les échelons, il faut mener des actions complémentaires pour faire alliance autour de la personne qui a été repérée comme fragile, que ce soit avec les proches, le médecin traitant, l’intervenant du Centre communal d’action social, etc. » En tenant compte des contextes : il existe en effet de fortes disparités régionales : Bretagne, Pays de Loire, Normandie et Hauts de France étant les régions les plus touchées. « Le suicide n’est pas l’affaire de spécialistes, mais de tous », insiste Mélanie Rossi.
Cinq signes qui doivent alerter
- Le repli sur soi
- Le désintérêt général
- Le manque d’envie et/ou de plaisir (y compris à manger)
- La tristesse, les pleurs
- L’autodépréciation, la sensation exprimée d’être un fardeau.
1 À l’occasion de la 26e Journée nationale de la prévention du suicide, l’UNPS organise ce vendredi 4 février, au ministère des Solidarités et de la Santé, un colloque sur le thème : plaidoyer pour une prévention partagée. www.unps.fr/la-journee-nationale-5-fevrier-_r_22.html
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