Journée mondiale de la douleur : Profession, algologue

En France, on estime que près de 70 % des patients douloureux chroniques ne reçoivent pas un traitement approprié avec, pour conséquence, une qualité de vie bien souvent altérée. C’est ce que rapporte le Livre blanc de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), publié en 2017. En cette journée mondiale contre la douleur, rencontre avec le Dr Grégory Tosti, médecin algologue au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt.

Est-ce son habitude des longues consultations d’évaluation des patients douloureux ? Toujours est-il que le Dr Grégory Tosti, 44 ans, ne compte pas son temps quand il s’agit d’expliquer les atouts des thérapies complémentaires dans la prise en charge de la douleur chronique. Médecin généraliste de formation, il a d’abord passé le diplôme universitaire d’hypnose médicale de Paris VI, où il enseigne désormais, avant de faire une spécialisation en algologie, qui l’a amené à se consacrer au traitement de la douleur. Depuis 2007, il exerce comme médecin algologue au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de l’hôpital Ambroise-Paré, près de Paris, où il propose notamment des séances d’hypnose et de biofeedback. « J’ai également un diplôme de thérapie comportementale et cognitive de la douleur chronique », complète-t-il.

Une prise en charge globale

« La douleur chronique, c’est comme une alarme incendie dans une maison, dit-il. On n’entend qu’elle. » L’enjeu est donc de la soulager et, pour le patient, d’apprendre à vivre avec, en prenant en considération le fait que chacun mesure sa douleur à l’aune de son vécu et de sa détresse, et que chaque parcours est forcément unique. Outre les traitements médicamenteux (les antalgiques, dont les opioïdes, les antidépresseurs, les antiépileptiques, la toxine botulique…), il faut encourager les approches psychocorporelles qui considèrent le patient dans sa globalité. Et la douleur dans toutes les dimensions qui la composent : sensorielle, émotionnelle, cognitive et comportementale. « La douleur chronique, parce qu’elle dure, peut entraîner une anxiété, un sentiment d’injustice, des croyances délétères, des anticipations négatives, un déconditionnement à l’effort, qui peuvent majorer la souffrance du patient, décrit notre interlocuteur. Si l’on ne tient pas compte de ce qui constitue l’expérience biopsychosociale du patient vis-à-vis de la douleur, les médicaments seuls ne suffiront pas. » Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas d’opposer l’une aux autres, ou de les mettre en compétition, selon les termes du Dr Tosti. L’objectif est plutôt d’apprendre au patient à défocaliser, « pour augmenter son bien-être ».

Comprendre pour mieux contrôler

Clé de voûte de cette prise en charge non médicamenteuse, l’éducation thérapeutique. Généralement pratiquée en groupe, elle consiste en un cours sur les mécanismes de la douleur. « L’idée, c’est d’autonomiser le patient, et pour cela, il faut qu’il comprenne pourquoi et comment il a mal, et quels sont les outils à sa disposition pour mieux contrôler sa douleur. » Cet apprentissage est fondamental pour accepter les traitements médicamenteux et s’approprier l’ensemble des outils de réadaptation dans son quotidien. On le sait, une bonne information, bien comprise, permet au patient de s’impliquer davantage dans sa maladie. « Bien souvent, cette éducation thérapeutique les soulage aussi, et singulièrement dans les cas de pathologies difficiles à identifier, car souvent les patients se sont entendu dire que c’était dans leur tête », ajoute Grégory Tosti. Comment réagir à un épisode douloureux, quand reprendre ses médicaments, comment gérer le stress : « L’idée n’est pas de guérir, mais d’élaborer ensemble des stratégies qui vont permettre au patient de vivre avec sa douleur, comme une personne diabétique apprend à vivre avec son diabète ». Et ces stratégies seront déterminées en fonction du résultat de l’évaluation initiale et de la pathologie elle-même, et affinées au fur et à mesure de la prise en charge, chaque fois que le médecin, en concertation avec le patient, l’estimera nécessaire.

Prise en charge personnalisée

Thérapies cognitives et comportementales (TCC), méditation pleine conscience, hypnose, biofeedback (technique proche de la relaxation), kinésithérapie, acupuncture, réalité virtuelle, EMDR (« Eye Movement Desentitization and Reprocessing ») : les approches psychocorporelles sont nombreuses et, pour chacune d’entre elles, les champs d’application potentiellement étendus. « L’hypnose, par exemple, est un moyen d’aider le patient à changer le lien qu’il entretient avec la douleur, illustre Grégory Tosti. Grâce à la réalité virtuelle, certains patients qui ont réduit leur activité physique par crainte de souffrir retrouvent le plaisir de l’action dans les mondes virtuels, avec un impact positif sur l’organisation des mouvements réels. » Acupuncture contre les douleurs musculo-squelettiques, EMDR dans les situations de stress post-traumatique, TCC pour rectifier les pensées catastrophiques ou réguler les émotions, la colère, etc., c’est souvent un travail créatif, qui fait appel aux ressources du patient.

Le patient acteur

La démarche est même proactive, puisque le patient est amené à réutiliser seul, chez lui, ces méthodes, après quelques séances d’initiation. « Le patient devient l’acteur de son propre soulagement », commente le Dr Tosti. Avec des améliorations parfois spectaculaires en termes de ressenti global. S’il est difficile de quantifier l’apport de tous ces outils, il apparaît toutefois qu’ils peuvent s’accompagner d’une baisse des prises médicamenteuses. « En fait, et au-delà de leurs spécificités, nombre de ces techniques permettent de stimuler les systèmes de modulation de la douleur et, à ce titre, devraient être plus largement proposées », souligne Grégory Tosti. Rappelons que la majorité des médecins algologues exercent à l’hôpital, dans les centres d’évaluation et de traitement de la douleur. Outre que ces structures, au nombre de 273 sur tout le territoire (67 centres et 206 consultations), ne sont ouvertes qu’aux patients en échec thérapeutique, il faut compter entre quatre et neuf mois d’attente avant la première consultation. Enfin, cela fera dix ans l’année prochaine que le dernier Plan national de lutte contre la douleur s’est achevé, sans suite.

En savoir plus

Le Grand livre de l’hypnose, Grégory Tosti, éd. Eyrolles (2015)

Liste des CETD

Témoignages

« J’ai tout de suite su que j’avais sonné à la bonne porte »

Charlotte Tourmente, 45 ans. Elle souffre d’une sclérose en plaques, diagnostiquée en 1996. Elle est suivie par le Centre d’évaluation de et de traitement de la douleur Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt.

« En 2007, suite à une poussée, j’ai eu une nette exacerbation des douleurs. J’étais épuisée, car je souffrais quasi sans discontinuer, et angoissée, parce que j’avais déjà dû renoncer à l’exercice de la médecine, en raison des douleurs, et je me disais qu’il me faudrait peut-être abandonner aussi le journalisme : dès que je tapais à l’ordinateur, je ressentais des douleurs terribles dans les bras. Quand j’ai pris contact avec le centre Ambroise-Paré, j’étais en arrêt maladie depuis quatre mois. J’ai d’abord rempli un questionnaire, avec des demandes très précises, très étayées, sur mes douleurs, qui ne m’avaient jamais été faites auparavant. J’ai tout de suite pensé que j’avais sonné à la bonne porte. La prise en charge est aussitôt montée en puissance.

La thérapie médicamenteuse a été renforcée, avec la prise d’un nouvel antiépileptique, de perfusions d’antalgiques, la mise en route d’un traitement par cannabis thérapeutique disponible sous forme d’Autorisation temporaire d’Utilisation, et l’introduction de la neurostimulation électrique transcutanée. Le neurologue qui me suivait en ville était un peu trop timoré, il n’osait pas augmenter les doses. Or on est usé quand on a mal tout le temps. En complément, le centre m’a orientée vers la kinésithérapie et l’hypnose, ce qui permet de mieux vivre les douleurs, de les atténuer. Lors des séances d’hypnose, comme le froid me fait du bien, j’imaginais que je m’immergeais dans une eau glacée. En fait, la prise en charge est efficace grâce à l’association de petits moyens. J’ai récemment entamé un nouveau protocole axé sur la simulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr), ce qui m’a permis de me passer du tétrahydrocannabinol (THc), un principe actif du cannabis, que je supportais mal. Je revis ! Mon médecin référent me trouvera toujours une solution, c’est ça qui donne de l’espoir »

Association française des sclérosés en plaques Fondation pour l’aide à la recherche sur la sclérose en plaques Association SEP’Avenir

Sclérose en plaques et talons aiguilles, Charlotte Tourmente, First éditions (2019).

« Il m’arrive d’insulter mon corps »

Karine D’Arlhac, 51 ans. Elle a une fibromyalgie, diagnostiquée en août dernier.

« Les premières douleurs sont apparues fin 2018. Jusqu’alors, j’avais une vie professionnelle et sociale très active, j’étais sportive, et d’humeur plutôt joyeuse. Tout s’est arrêté du jour au lendemain. Cela a commencé avec des douleurs surtout localisées au niveau du bas ventre, qui m’ont valu d’être hospitalisée en urgence, de faire un scanner et une ponction lombaire. Les médecins n’ont rien trouvé. Début 2019, je m’effondre sur mon lieu de travail, suite à des douleurs fulgurantes, semblables à des coups de couteau, qui irradient dans tout le corps. Au CHU de Nantes, les médecins détectent deux masses, à l’utérus et au côlon. On m’opère en urgence. J’étais tellement sûre que j’allais mourir, que j’avais préparé mon testament. Au final, il s’agissait, pour l’un, d’un polype de stade 2 et, pour l’autre, d’une tumeur bénigne, mais j’ai quand même subi une hystérectomie. Juste après, j’ai eu un accès de fièvre. Je suis restée dix jours en soins intensifs, sans que le personnel soignant ne trouve l’origine de cette épisode fiévreux. Ce qui est sûr, c’est que les douleurs, elles, sont toujours là, récurrentes, auxquelles s’ajoutent une grande fatigue et un sentiment de désorientation. On finit par me dire que c’est probablement une dépression et que je dois reprendre une vie normale, et notamment l’activité physique. Après quelques séances d’aquabiking, j’ai littéralement buggé : des absences, des problèmes de mémoire vive, des douleurs comparables à celles qu’on ressent quand on a une fracture à un membre, des insomnies, etc. S’ensuivent un mi-temps thérapeutique, des séances chez une psychiatre, et la prise d’antidépresseurs.

En août 2020, j’ai pris rendez-vous au centre d’évaluation et de traitement de la douleur de la clinique Brétéché, à Nantes. J’ai été reçue en novembre, et pour la première fois, j’ai eu la sensation d’être prise au sérieux. Du coup, j’ai placé beaucoup d’espoir dans l’équipe. Par élimination, les médecins ont diagnostiqué une fibromyalgie, en août dernier. Je me suis dit qu’enfin, j’allais guérir. Ils ont mis en place un certain nombre de traitements, mais le problème, c’est que je ne réponds à rien. Même l’hypnose ou la méditation ne me soulagent pas. J’ai toujours des fourmillements, des raideurs dans les muscles et les articulations et une sensation d’oppression, du côté droit du cerveau. L’équipe du centre est perdue, et moi, je suis en colère. Il m’arrive d’insulter mon corps. Et puis, c’est difficile à endurer psychologiquement, car ces douleurs sont imprévisibles. Elles ne se voient pas non plus, et les proches ne comprennent pas toujours. Alors je mène une vie d’ermite. Je me suis mise à la peinture. J’ai gagné des concours, des prix. C’est devenu ma planche de salut. Je réfléchis à créer une association qui regrouperaient des artistes malades pour montrer nos œuvres et, au public, qu’avec l’art, on peut s’en sortir. En attendant, je témoigne pour dire que, non, la douleur n’est pas dans notre tête »

Fibromyalgie France Fibromyalgie SOS

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