Savez-vous comment réagir face à un proche qui fait une crise d’angoisse, un inconnu dans la rue qui semble très désorienté, un collègue qui se renferme et perd jour après jour la joie de vivre que vous lui connaissiez ? On ne peut pas s’improviser psychiatre ou psychologue dans ces moments, mais de la même façon que l’on peut apprendre les premiers gestes de secours face à une personne qui fait une crise cardiaque, on peut apprendre à approcher, parler, rassurer une personne qui souffre de troubles psychiques, en attendant de passer le relais à un professionnel de santé spécialisé.
C’est ce que propose la formation de premiers secours en santé mentale. Un concept d’origine australienne qui se développe en France depuis 2 ans et vise à améliorer la prise en charge des personnes en souffrance psychique et également changer le regard sur ces personnes qui sont si souvent stigmatisées et rejetées.
Interview de Solène Barriol, adjointe à la coordination et responsable de la communication à l’association PSSM France (« PSSM » pour « Premiers Secours en Santé Mentale)
66 Millions d’Impatients : Quelle est l’origine de cette formation en premiers secours en santé mentale ?
Solène Barriol : Les premiers secours en santé mentale ont commencé en 2001 en Australie, sous le nom de « Mental Health First Aid ». Elles ont été créées par une éducatrice spécialisée et un professeur en psychologie, suite au constat d’une méconnaissance de la santé mentale, des troubles psychiques et d’une stigmatisation forte des personnes qui en souffrent.
Cette formation est celle que l’on connaît en France. Elle dure 14 heures, donne des connaissances généralistes sur la santé mentale, aborde 4 grands types de troubles psychiques et propose un plan d’action qui peut être mis en œuvre par tout le monde pour une première aide en santé mentale. Ce n’est pas une formation destinée aux soignants, même s’ils sont les bienvenus. Elle s’adresse aussi et surtout au grand public, en attendant le passage de relais vers des soins adaptés.
Aujourd’hui ce programme est diffusé dans une vingtaine de pays, dont la France. Depuis la formation initiale, l’organisation (Mental Health First Aid Program) a également développé des modules plus spécifiques pour diverses catégories de population (jeune, personnes âgées…) ou de professions (policier, pompier, hommes de loi, pharmacien…).
Depuis quand les formations de premiers secours en santé mentale se sont-elles organisées en France ?
En France, l’organisation est récente. L’association PSSM France (Premiers Secours en Santé Mentale) a été créée en 2018 pour faire face au même problème qu’en Australie, à savoir la forte stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux, qui entraîne des retards dans la prise en charge de leurs soins. Les premières formations ont eu lieu en avril 2019. PSSM France n’organise pas directement les formations mais en garantit le contenu : l’association forme les formateurs, puis ils organisent en autonomie les formations PSSM. Cela permet de déployer largement les formations puisque les formateurs accrédités résident dans toutes les régions de France.
A ce jour, il y a ainsi plus de 9500 secouristes formés. L’activité a malheureusement été ralentie avec le COVID. L’objectif est que les formateurs enseignent les premiers secours à plus de 750 000 secouristes en 10 ans et de continuer bien sûr après ces 10 années, en espérant que plus les personnes seront sensibilisées, plus la parole sera « libérée » et plus les malades pourront avoir accès à des soins adaptés le plus rapidement possible.
Cette formation est ouverte à tous ?
Oui, tout à fait. C’est une formation où l’angle premier est celui de la citoyenneté. Toute personne majeure peut suivre cette formation. Il n’y a pas besoin d’être soignant, ni d’avoir un proche qui souffre de troubles psychiques pour s’y intéresser. Je dirais même que plus on est éloigné du domaine de la santé mentale, plus cette formation a du sens. Cela dit, il est rare que l’on n’ait pas autour de soi, dans son entourage personnel ou professionnel, des personnes qui souffrent de troubles psychiques épisodiques ou chroniques. D’ailleurs le début de la formation propose aux participants de se questionner sur ce qu’est précisément un trouble psychique, ce qui va permettre de définir la santé mentale.
Cette formation ouverte à tous a justement été conçue pour être accessible à un maximum de personnes. Elle propose des informations à la fois claires et scientifiquement appuyées. L’association a pour objectif de promouvoir une santé mentale qui soit positive, comme on le fait pour la santé physique. Rappelons que l’on a tous une santé mentale, qu’elle est plus ou moins bonne en fonction des périodes de sa vie.
Concrètement, quand on ressort de cette formation de quoi est-on capable ?
Pour continuer sur le parallèle avec la formation aux premiers secours « physiques » dont le but est de « protéger, alerter, secourir », dans notre association, le mot d’ordre est « AERER ». Cela fait écho à 5 grands axes :
- Approcher la personne
- Ecouter la personne, activement et sans jugement
- Réconforter et informer
- Encourager la personne à aller vers des professionnels
- Renseigner sur les autres ressources disponibles
Au cours de la formation, on aborde 4 grands types de troubles : les troubles dépressifs, les troubles anxieux, les troubles psychotiques et enfin, les troubles liés à l’utilisation de substances. Pour chacun d’eux, une définition sera apportée ainsi que du contenu sur leur manifestation. Pour chaque cas de figure, on aborde également la situation hors crise et la situation en période de crise. Forts de ces connaissances, les participants s’entrainent à appliquer le plan d’action (en sous-groupes, avec des mises en situations…).
A la fin de la formation, le but est de savoir repérer des troubles, des comportements qui diffèrent par rapport à l’ordinaire pour ensuite approcher la personne, lancer la discussion, l’écouter, la rassurer, parler des soins qui existent, et pourquoi pas l’orienter pour une prise en charge par un professionnel. Cela ne fonctionne pas toujours dès le premier essai. Il faut du temps parfois pour établir un contact. Sur la question de l’orientation vers un professionnel, il peut s’agir d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’autres types de thérapies. Le secouriste peut aussi proposer d’autres ressources disponibles comme des livres, des applications de méditation sur smartphone, des sites internet, etc.
Le rôle du secouriste n’est pas d’accompagner dans le soin mais VERS le soin.
C’est délicat de faire appel à un professionnel en santé mentale pour quelqu’un ? Quand sait-on s’il faut prendre une telle initiative ?
Dans les cas de « crise », il est indispensable parfois d’appeler les secours, si l’on est par exemple confronté à une personne en crise suicidaire ou psychotique. En dehors d’une situation de crise, la formation ne préconise pas d’appeler les secours pour quelqu’un parce qu’effectivement, il y a la question du consentement, du respect de la personne. Ainsi en dehors d’une crise, l’idée est d’encourager la personne à se soigner, de démystifier l’idée que l’on se fait d’une consultation chez un psychiatre ou un psychologue car il y a encore de nombreuses personnes qui craignent qu’on les étiquette comme étant fous ou qu’on les hospitalise sous contrainte. Il faut leur expliquer que le système de soins ne fonctionne pas ainsi. Dans de telles situations, à la différence des premiers secours physiques, un secouriste en santé mentale peut être amené à intervenir plusieurs fois avec une même personne, en attendant le passage de relais. Ce sera le cas par exemple avec une personne de son entourage qui fait des crises d’angoisse de manière répétée et à qui il faudra peut-être pourtant du temps pour se décider à consulter un professionnel de santé.
Combien coûte une formation pour les particuliers ?
Les formateurs sont libres de fixer leurs propres tarifs, puisqu’ils sont autonomes et indépendants. L’association préconise cependant un tarif de 250 euros. L’association ne touche pas de commissions sur les formations délivrées par les formateurs. On leur demande en revanche de remettre à chaque futur secouriste le manuel des premiers secours en santé mentale que nous leur vendons pour financer l’activité de l’association.
En ce qui concerne le financement, il peut être pris sur le budget de formation professionnelle et certaines associations proposent la formation gratuitement, notamment grâce au soutien de certaines Agences régionales de santé (ARS).
Quand on est un particulier, le plus simple est d’aller voir sur notre calendrier des formations les dates qui sont proposées.
Ce sont plutôt des particuliers ou des entreprises qui s’inscrivent à la formation de premiers secours en santé mentale ?
Particuliers et entreprises s’inscrivent dans des proportions qui sont à peu près similaires. Certaines entreprises nous ont contactés suite à un évènement malheureux qui a pu se dérouler chez elles. Malheureusement, la période est propice à ce genre de prises de conscience.
L’idéal et l’objectif à long terme serait que dans chaque entreprise il y ait a minima une personne qui soit formée aux premiers secours en santé mentale à l’instar de ce qui est mis en place en premiers secours physiques.
Y’a-t-il des évolutions prévues pour les formations de premiers secours en santé mentale ?
La formation actuellement délivrée est très généraliste et vise un public adulte qui interviendrait auprès d’autres adultes mais on a bien conscience qu’il y a divers enjeux en santé mentale, et notamment concernant les troubles sévères dont la grande majorité se développent entre 16 et 25 ans. Nous sommes donc en train de travailler à l’adaptation de modules spécifiquement orientés aux problématiques qui peuvent toucher les jeunes, notamment avec des focus sur les troubles du comportement alimentaire ou encore les automutilations sans intentions suicidaires. Nous espérons que ce module voie le jour au début de 2022.
Témoignage de Pablo Destrée qui a suivi la formation des premiers secours en santé mentale
J’ai suivi cette année la formation de secouriste en santé mentale. Alors que je travaille pour Clubhouse France, une structure d’accompagnement pour des personnes vivant avec des troubles psychiques, j’ai pourtant appris beaucoup de choses. J’ai en outre délaissé, lors de cette formation, ma casquette de professionnel travaillant dans le secteur de la santé mentale, pour enfiler ma casquette de citoyen, d’ami, de proche, puisque l’on peut être confronté au mal-être d’une personne dans beaucoup de situations de la vie de tous les jours.
C’est ma manager qui a souhaité que tous les collaborateurs de Clubhouse France participent à cette formation pour mettre à jour nos connaissances en santé mentale. Cela rentrait dans le plan de formation des salariés de l’association. Lors de la formation, il y avait des collègues, d’autres professionnels du secteur de la santé mentale et une personne inscrite à titre particulier qui désirait apprendre à mieux aider l’un de ses proches.
Ce qui m’a sans doute le plus servi c’est la façon de faire face à une personne qui a une crise de paranoïa ou de délire, qui est un peu « déconnectée » de notre réalité. Que doit-on ou peut-on faire à notre niveau et où s’arrête notre rôle par rapport aux soignants qu’on peut mobiliser ? J’étais vraiment très content d’apprendre toutes ces choses parce que c’était une des plus grandes interrogations que j’avais avant de faire cette formation.
Une autre chose que j’ai apprise, est qu’il ne faut pas hésiter à demander à quelqu’un s’il a des idées suicidaires. C’est vrai que cela peut paraître tabou. En abordant le sujet, on peut craindre d’aggraver les choses, or ce n’est pas le cas. Tout cela je ne le savais pas et cela m’a récemment servi pour amorcer des dialogues autour de moi. On a tout à gagner à passer par ce genre de formation et j’aurais vraiment aimé connaître tout cela plus jeune, au collège ou au lycée quand on est moins armé soi-même pour faire face à ce genre de situations et qu’une main tendue à cette période-là peut s’avérer précieuse.
La formation m’a paru très accessible et je pense d’ailleurs que l’on devrait l’intégrer au programme de l’Education Nationale. Là où elle est intéressante c’est que contrairement à une formation de secourisme classique où on apprend à faire des gestes très techniques, que l’on pratiquera sûrement peu souvent dans sa vie, là il s’agit essentiellement de se familiariser avec des postures et des mots qui peuvent servir presque au quotidien. Je pense que c’est ce qui la met à la portée de tous.
En dehors de l’intérêt de pouvoir éventuellement aider plus efficacement un proche, un collègue ou tout simplement un inconnu, cette formation participe à un changement de regard sur les gens qui souffrent de troubles psychiques. Je pense qu’on pourrait aller encore un peu plus loin dans la « déstigmatisation » en faisant venir des personnes avec troubles psychiques au cours de la formation, qui nous feraient part de leurs expériences. C’est sûrement difficile à organiser mais au sein de l’association où je travaille, nous nous sommes rendu compte que c’était un facteur important de « déstigmatisation » que d’avoir des interactions avec des personnes qui vivent avec un trouble psychique, ne serait-ce que pour s’apercevoir que ces personnes sont avant tout des êtres humains.
la formation est elle pour tout le monde ? moi je suie infirmier en formation psychiatrie et cette formation m intéresse .comment pouvez vous m aider a suivre cette formation.
Bonjour, et merci pour votre commentaire.
La formation est effectivement ouverte à tous. Pour vous inscrire, nous vous recommandons de vous rapprocher de l’association Premiers Secours en Santé Mentale France, ou de vous inscrire directement sur leur site : https://pssmfrance.fr/calendrier-formations/
Bonne journée,
L’équipe France Assos Santé