Annulation, renoncement, report, refus de soins… entre les examens et les consultations déprogrammés et les patients qui ont craint de rompre leur confinement par peur de contracter le COVID-19, ou de déranger leur médecin, la rupture dans leur parcours de soins est bel et bien entamée.
Nicolas Revel, directeur de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, indique une baisse de 40 % pour les généralistes et de 50 % pour les spécialistes depuis le début de la crise sanitaire. Cette baisse est corroborée par une enquête du site Doctolib qui avance une chute de 44% des consultations chez les généralistes et de 71% chez les médecins spécialistes.
Après 6 semaines de confinement, des patients à l’état de santé sévèrement dégradé commencent à revenir se soigner. Ils nécessitent alors une prise en charge bien plus lourde que s’ils avaient été correctement suivis durant ces dernières semaines et souffriront peut-être de séquelles irréversibles.
Rendez-vous chez mon médecin : j’y vais ou je n’y vais pas ?
Les messages sur la nécessité pour les malades de retourner voir leur médecin sont difficiles à interpréter pour beaucoup de patients. Le communiqué de presse du 23 avril 2020 du ministère de la santé, indique que :
« Dans la perspective de la sortie progressive du confinement, le ministère annonce que la consigne nationale de déprogrammation des interventions médicales et chirurgicales non urgentes et sans mise en cause du pronostic vital reste en vigueur. Cependant, certaines prises en charge ayant pu être différées deviennent désormais urgentes pour les patients. ».
Les malades chroniques, en premier lieu, sont incités par les autorités de santé à reprendre contact avec leur médecin. Cependant ces patients savent bien qu’ils sont particulièrement fragiles face au COVID-19. Ils sont pris entre la peur d’être contaminés et l’inquiétude de voir leur maladie chronique s’aggraver.
Le docteur Jean-Pierre Thierry, médecin en santé publique, explique :
« En France, nous avons tendance à surconsommer des soins médicaux. Une baisse modérée est acceptable pour certains mais ces chiffres sont réellement inquiétants. Un diabétique sans complications (comme une plaie au pied par exemple) peut, la plupart du temps, supporter quelques fluctuations de sa glycémie pendant 2 ou 3 mois sans conséquences graves. Cependant certaines pathologies à fort risque de décompensation, comme les patients BPCO ou asthmatiques, ou les malades psychiatriques, ne doivent pas interrompre leur traitement, ni leur suivi. ».
Le contact téléphonique est important
Pour Aude Bourden, Conseillère nationale Santé – Médico-social à l’APF France Handicap, certains professionnels de santé auraient dû reprendre contact avec leur patientèle :
« Les patients qui ont eu peur d’être contaminés ou de déranger leur soignant, et ont renoncé aux soins, ne sont pas toujours armés pour juger si leur état de santé entre dans la catégorie des consultations et soins visés dans les déplacements autorisés, d’autant plus qu’un certain nombre de leurs soins ont été déprogrammés. Alors que l’on nous dit que les cabinets sont désertés, il est dommage que certains professionnels de santé ne se soient pas organisés pour prendre contact avec leur patientèle, plutôt que d’attendre que l’inverse ne se produise, pour vérifier qu’ils allaient bien, et mettre en place par exemple des téléconsultations ou télé soins lorsque c’est possible. »
Une enquête menée par l’Association François Aupetit – Crohn – RCH – France entre le 7 et le 13 avril, sur 2168 répondants, révèlent que « 41% des patients estiment que leur parcours de soin a été modifié du fait de la pandémie dont 28% estiment que l’impact a été négatif ».
Dans son communiqué de presse, le ministère de la santé déclare que la reprise des contacts avec les patients, notamment malades chroniques, sera justement l’un des enjeux des agences régionales de santé (ARS), en lien avec les professionnels libéraux et hospitaliers.
« Alors que l’on nous dit que les cabinets sont désertés, il est dommage que certains professionnels de santé ne se soient pas organisés pour prendre contact avec leur patientèle, plutôt que d’attendre que l’inverse ne se produise, pour vérifier qu’ils allaient bien, et mettre en place par exemple des téléconsultations ou télé soins lorsque c’est possible. »
Aude Bourden, Conseillère nationale Santé – Médico-social à l’APF-France Handicap
Cependant, certains professionnels de santé n’ont pas attendu ces consignes pour commencer à rappeler leurs patients en Affection Longue Durée (ALD), ainsi que le font le docteur Mady Denantes et ses confrères de la maison de santé Pyrénées-Belleville du XXème arrondissement de Paris. Elle insiste et rassure les patients, dans une conférence en ligne organisée par France Assos Santé le 16 avril dernier :
« Pour ceux qui ont besoin d’une téléconsultation mais ne sont pas à l’aise avec la vidéo-consultation, il est possible de l’organiser par téléphone tout simplement. Si le médecin le juge utile, les consultations présentielles sont toujours possibles. Tous les cabinets ne sont organisés pour réserver des plages horaires pour les patients non COVID. »
L’inconnue quant aux reprogrammations des rendez-vous médicaux…
Aude Bourden de l’APF France Handicap s’inquiète : « En ce qui concerne le handicap, de nombreux patients ont besoin d’injections de toxine botulique tous les 3 mois, pour permettre de détendre leurs muscles. Ces injections se font à l’hôpital, or les rendez-vous ont été déprogrammés et la reprise de ces soins n’est parfois pas annoncée avant septembre. Heureusement que les télésoins en kinésithérapie sont désormais autorisés, même si ce n’est pas idéal, ni possible pour tous. En effet, depuis le début de cette crise, la douleur de ces patients et leur perte de mobilité, ne sont pas assez prises en compte. »
L’APF France Handicap s’inquiète aussi de la rupture de soins des patients à domicile qui ont parfois craint de laisser rentrer leurs soignants chez eux, par peur d’être contaminés et du fait de l’absence de protection pour ces professionnels.
Dans la conférence en ligne organisée par France Assos Santé le 16 avril dernier, Charles-Henri des Villettes, président de la Fédération des Prestataires de santé à Domicile décrit :
« Les patients à domicile sont par nature des patients plus fragiles. Il nous fallait des masques pour les protéger et comme nous en manquions, nous avons d’abord réduit les interventions non essentielles pour les remplacer par un suivi à distance. Les prestataires de santé à domicile font en moyenne 25 000 visites par jour en ce moment, contre 80 à 100 000 en temps normal. Nous avons désormais des dotations de masques de l’état. »
Pour le docteur Thierry, le retard des soins sera reporté bien au-delà des deux mois prévus de confinement, car les prises en charge des patients à l’état de santé dégradé seront plus lourdes et nécessiteront la mobilisation de davantage de ressources.
Ce sera notamment le cas là où il y a déjà des mois d’attente avant d’obtenir un rendez-vous, comme l’ophtalmologie. Certaines spécialités auront du mal à résorber les consultations et soins reportés, ce qui pourrait être terrible pour certaines pathologies qui ne seraient pas traités à temps comme par exemple le glaucome.
Pour beaucoup de pathologies, les pertes de chance pour les patients dont les soins sont reportés, ou qui interrompent eux-mêmes leurs traitements, sont parfois dramatiques.
C’est pourquoi l’Institut National du Cancer a émis des préconisations pour l’adaptation de l’offre de soins pour les établissements accueillant des patients atteints de cancer pendant l’épidémie. Grâce à des réunions pluridisciplinaires, la suspension, le report voire même l’arrêt d’un traitement sont discutés et cela permet d’anticiper la reprogrammation des soins.
De son côté, l’Agence de la biomédecine, notamment sollicitée par l’association de patients Renaloo, réfléchit à une reprise progressive de l’activité des greffes rénales. (Lire notre article sur l’activité des greffes face au COVID-19).
En savoir plus
Lire la note de position de France Assos Santé sur l’organisation des soins en période de COVID-19.
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