Consultation simulée : comédie en cabinet

Pour sensibiliser les étudiants en médecine à l’importance de la relation avec le patient, l’Université de Nantes recourt à des comédiens professionnels chargés de jouer le rôle de patients lors de consultations simulées. Reportage.

Nantes, le 4 mars 2019 – Sur la table d’auscultation, un bébé est allongé. La médecin l’examine et égrène ses conseils à la maman qui l’écoute avec attention. « A 3 mois, il est trop jeune pour qu’on puisse envisager de diversifier son alimentation mais dès 4 mois vous pourrez commencer à introduire des petites choses. A 4 mois, il faudra aussi penser au deuxième vaccin ».

La maman réagit, interloquée : « Le deuxième vaccin ? Il n’a pas été vacciné encore. Je ne suis pas pour, en fait ». Un ange passe… La jeune médecin comprend alors qu’elle a affaire à un parent anti-vaccin. C’est parti pour une joute verbale de 15 minutes durant lesquelles la femme en blanc tentera en vain de convaincre la maman qu’il est essentiel pour la santé de l’enfant (et de son entourage) de respecter le calendrier vaccinal et l’administration des vaccins obligatoires.

Une consultation bien compliquée

« Je sais tout ce que vous me dites docteure. Mais je suis allée voir sur Internet et j’ai lu des témoignages de parents pour qui ça s’est mal passé. Franchement, ça fait peur. Je vis le plus naturellement possible. J’ai eu une grossesse sans recourir aux médicaments, je mange bio, je me soigne aux huiles essentielles et à l’homéopathie. J’ai un vrai problème avec les vaccins ».

Elle semble bien décidée à camper sur ses positions. Les arguments avancés par la médecin ne la font pas vaciller. Tout au plus obtiendra-t-elle de sa patiente la promesse qu’elle en reparle avec son mari et qu’elle revienne la voir à son cabinet deux semaines plus tard.

« Je vais réfléchir ». Elle salue son interlocutrice, sort de la salle, le bébé sous le bras et… revient sur ses pas : « On va procéder au débriefing si vous voulez bien. Expliquez-moi comment vous avez vécu cette consultation. Je vous livrerai ensuite mon propre ressenti ».

Quand le patient joue la comédie

Vous l’avez compris, la jeune femme n’est pas la maman qu’elle prétend être. D’ailleurs son bébé est en plastique. Il s’agit d’une comédienne professionnelle. De même, la médecin consultée ne l’est pas tout à fait puisqu’elle est encore étudiante à la Faculté de médecine de Nantes.

Depuis 2010, l’université propose à ses aspirants médecins plusieurs sessions de consultations simulées de la 3ème à la 5ème année. Ce module d’enseignement vise à travailler à travers différentes mises en situation la capacité des jeunes gens à poser un diagnostic tout en conservant une relation de qualité avec le patient.

« Quand on va le chercher en salle d’attente, on ne sait jamais à quoi s’attendre », explique Camille, une étudiante rencontrée le 4 mars. Ce matin-là, les médecins en herbe ont été amenés à phosphorer sur 4 scénarios différents imaginés par un collège d’enseignants. En plus de la maman anti-vaccin, un patient à risque suicidaire, une septuagénaire qui se plaint de pertes de mémoire et une personne atteinte d’un cancer incurable.

Débriefing : un précieux temps d’échange

« On monte en difficulté à chacune des sessions, explique Pierre Pottier, Vice-doyen formation à la Faculté de médecine de l’Université de Nantes qui est à l’initiative de ce programme. L’ultime séance (celle à laquelle nous avons assistée, ndlr) comporte naturellement les cas les plus compliqués ».

Chaque consultation est suivie d’une période d’échange entre les deux protagonistes. L’occasion pour le médecin en devenir d’obtenir un retour souvent riche en enseignement sur la prise en charge qu’il a proposée. Pour la fausse maman anti-vaccin, l’étudiant a beaucoup trop insisté pendant la consultation sur le caractère obligatoire de la vaccination : « Plus vous me le répétiez, plus ça me braquait. Peut-être aurait-il fallu créer plus de lien, laisser la confiance s’instaurer et me questionner sur les raisons profondes de ma méfiance. En tout cas, quand je suis sortie, vous ne m’aviez pas convaincue ».

Un enseignement qui s’est généralisé

L’objectif de la discussion n’est évidemment pas pour le comédien de juger de la pertinence médicale des interventions de l’étudiant. « C’est le ressenti du point de vue de l’humain qui est intéressant à écouter », précise Louis, l’un des 16 étudiants présents à cette matinée de formation.

« L’idée de cette formation, explique Pierre Pottier, est née d’un programme de recherche destiné à mieux comprendre les effets du stress sur la prise de décision et les diagnostics des étudiants en médecine. On l’a transformé en un module d’enseignement ».

Nombre d’universités en France ont aujourd’hui adopté le même type de démarche. L’Université de Nantes est la seule, selon Pierre Pottier, à avoir construit un programme étalé sur 3 ans, offert à tous les étudiants et qui fait appel à des comédiens professionnels.

Malade imaginaire, elle témoigne

Coline Barraud est comédienne. Depuis 4 ans, elle collabore au programme de consultations simulées mis sur pied par la Faculté de médecine de l’Université de Nantes. Cancer, psoriasis, fibromyalgie… elle s’est glissée dans le rôle de nombreuses patientes pour donner le change aux étudiants nantais en médecine. Nous l’avons interrogée en marge d’une matinée de formation à laquelle nous avons assisté.

66 Millions d’IMpatients – Comment préparez-vous vos interventions auprès des étudiants ?

Coline Barraud – On reçoit les scénarios environ une semaine avant de rencontrer les étudiants. C’est l’occasion pour nous de découvrir les personnages et le type de pathologies qu’on sera amené à jouer. Le scénario décrit la profession, la personnalité et le caractère du patient, son rapport aux médecins et à la maladie ou encore sa situation psycho-environnementale. Il décrit aussi différentes pistes d’interprétation pour ne pas toujours réagir de la même manière durant les consultations.

Ces scénarios sont écrits par des médecins à partir de situations réelles. La préparation passe aussi par un temps d’échange en groupe avec le professionnel ayant rédigé notre scénario. Ce moment nous permet de préciser certains aspects qui ne seraient pas abordés dans le scénario. Après les premières consultations, on débriefe avec deux membres de l’équipe de comédiens qui les ont regardées, afin de voir ce qui peut être amélioré, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ces deux comédiennes co-dirigent le dispositif des patients standardisés : elles reçoivent les scénarios en amont et les théâtralisent si besoin (les scénarios des médecins sont parfois très axés sur le médical et les comédiennes les étoffent…). Ça nous permet d’ajuster nos interventions.

66 M – Quels rôles avez-vous été amenée à endosser dans ce module de formation ?

CB – J’ai joué à plusieurs reprises une femme qui développe une grossesse extra-utérine ou encore souffrant d’alcoolisme. J’ai eu le cancer du pancréas et du poumon, la fibromyalgie, la migraine chronique et le psoriasis. J’ai aussi été amenée à endosser le rôle d’une patiente atteinte de troubles de l’oreille interne avec des pertes d’équilibre. Les acteurs qui jouent ce rôle feignent la désorientation jusque dans le couloir qui les mène de la salle d’attente à la salle de consultation. Vu de l’extérieur, ça peut sembler cocasse !

66 M – L’objectif pour le médecin est-il seulement de parvenir à poser un diagnostic ?

CB – Ce n’est que la face émergée de l’exercice. A chaque situation correspond un enjeu que l’étudiant doit parvenir à découvrir. Dans le cas du psoriasis par exemple, la maladie est facilement diagnostiquée mais l’objectif est aussi d’identifier la situation de stress et de mal-être au travail qui déclenche les problèmes chroniques de peau. Dans le cas du patient alcoolique, la résolution de la problématique est aussi loin d’être évidente. Le patient consulte le médecin pour qu’il lui restitue les résultats d’analyse des radios d’une fracture à la cheville. Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Charge à l’étudiant de l’interroger sur ces chutes et d’identifier qu’elles sont le fait d’une absorption massive et répétée d’alcool.

Notre façon de jouer le rôle doit amener les étudiants à aller plus loin que la simple résolution d’un problème médical. Les patients atteints de cancer refusent systématiquement la chimiothérapie par exemple, afin d’amener l’étudiant à les persuader de l’intérêt des traitements. En général, les personnages qu’on joue sont compliqués et se laissent difficilement convaincre. Les comédiens disposent dans les scénarios qui leur sont distribués de différentes pistes pour complexifier la situation afin de challenger les futurs médecins.

66 M – Comment jugez-vous globalement la qualité de la prise en charge proposée par les étudiants ?

CB – Il y a une réelle différence entre les étudiants de 4ème et de 5ème année. Quand on les voit pour la première fois, ils sont souvent hyper stressés, donc ils restent sur le médical et « ne calculent pas » trop le patient derrière la maladie. A force de retours et de discussions, on voit qu’en fin de 5ème année ils deviennent plus empathiques et sont beaucoup plus soucieux d’aborder avec humanité leurs faux patients. Au fil des consultations, ils s’approprient le rôle d’accompagnant qui devrait être le leur. Ce module de formation a été conçu pour sensibiliser les médecins en devenir à ce que peut être le rapport avec les patients. Ça fonctionne bien à mon sens. Je pense aussi que ces consultations simulées permettent à beaucoup d’étudiants de faire des choix et de se projeter dans le type de médecin qu’ils ont envie de devenir.

66 M – Quelles sont les situations les plus délicates à jouer ?

CB – Les cas de cancer sont souvent les plus compliqués. D’ailleurs les étudiants peuvent décider de ne pas réaliser ces consultations. Ça m’est arrivé deux fois d’intervenir auprès d’étudiants dont un proche était atteint du cancer ou y avait succombé. Evidemment, je ne le savais pas et j’ai joué mon rôle à fond. Ils ont tenu le coup pendant la consultation mais se sont effondrés pendant le débriefing. Ces consultations simulées sont très prenantes, même pour nous les comédiens. Il n’y a pas la distance avec le public qu’on connaît par exemple sur une scène de théâtre. La proximité de la situation fait qu’on peut parfois se prendre très rapidement au jeu et être affecté de la même manière que si on était véritablement atteint par la maladie. Si les comédiens sont poreux à ça, autant vous dire que les étudiants sont susceptibles de l’être également.

66 M – Votre jeu d’acteur évolue-t-il au fil des consultations ?

Oui, clairement. Pour un même scénario, notre jeu bouge beaucoup dans le temps. Au début des sessions (une session dure trois semaines, ndlr), les comédiens ont vu peu d’étudiants. Ils sont en phase de rodage sur leur scénario et seront éventuellement moins tatillons sur les erreurs que pourraient commettre les étudiants. Au fil du temps, les comédiens s’approprient leur rôle et augmentent leur niveau d’exigence. Ils laissent éventuellement moins passer aux étudiants ce qui les choque aussi bien pendant la consultation qu’après lors du débriefing. C’est d’autant plus vrai que parallèlement les étudiants se parlent beaucoup entre eux. En fin de session, ils sont très souvent au courant de la problématique médicale avant même d’entrer dans la salle. Ils ont déjà la solution, autrement dit. C’est à ce moment là plus particulièrement qu’il est intéressant de les challenger sur la qualité de leur prise en charge.

Théâtre-forum le 18 mai 2019 à Villeurbanne, lors de la journée annuelle consacrée au Syndrome de Fatigue Chronique

Malades, proches et public, ACTEURS et spect-ACTEURS réunis lors de saynètes de théâtre participatif à l’occasion de la journée annuelle consacrée au Syndrome de Fatigue Chronique (EM/SFC)

L’ASFC (l’Association du Syndrome de Fatigue Chronique) a trouvé une autre façon de mettre le théâtre au service d’une réflexion constructive autour de l’amélioration du quotidien des malades en proposant un théâtre-forum le 18 mai 2019, lors de la journée annuelle organisée par l’ASFC consacrée au syndrome de fatigue chronique. Cette journée fait écho à la journée mondiale du syndrome de fatigue chronique qui a lieu quelques jours auparavant, le 12 mai exactement.

C’est lors d’un conseil d’administration en 2018 que l’ASFC a décidé de trouver un nouvel angle de communication pour aborder les problématiques quotidiennes des malades souffrant du syndrome de fatigue chronique, une maladie à part entière que les malades, leurs proches, le milieu professionnel et le corps médical a lui-même bien du mal à comprendre et à prendre en charge de façon adaptée (lire notre article sur le syndrome de fatigue chronique). « L’une des bénévoles connaissait le concept du théâtre-forum. Nous avons donc démarché des troupes de théâtre qui puissent nous accompagner dans notre projet et de mon côté, entre temps, j’ai également participé à un théâtre-forum pour vivre cette expérience », explique Corinne, bénévole à l’ASFC et coordinatrice de ce projet.

La troupe de théâtre retenue est donc la Compagnie de l’Archipel, justement spécialisée dans le théâtre participatif. Il ne s’agit donc pas de présenter un spectacle classique auquel un public assiste de façon passive mais de jouer des saynètes à travers lesquelles le public est invité à réagir, interagir, voire invité à monter sur les planches et rejouer de manière différente les scènes qui l’ont interpellé. Le public devient donc spect-ACTEUR.

Pour préparer cet événement, quelques semaines avant la représentation, trois bénévoles de l’association et une douzaine de malades et de proches de malades volontaires se réunissent durant deux demi-journées, accompagnés par les comédiens professionnels de la Compagnie de L’Archipel. Le premier jour est consacré à la recherche des sujets qui seront abordées durant les scènes. C’est un exercice de co-construction ludique qui engage ainsi bénévoles, malades et proches de malades d’après leur vécu. C’est déjà une belle occasion d’échanger et surtout de faire émerger des idées sur ce que chacun aimerait voir aborder par rapport à cette maladie. Le deuxième jour est ensuite dédié à la mise au point et aux répétitions.

Bien entendu, la Compagnie de l’Archipel adapte les deux demi-journées de préparation et les mises en scène aux contraintes des malades. Certains notamment ont du mal à rester debout ou peuvent avoir des troubles cognitifs et il n’est pas question de les mettre en difficulté.

« Le but est de mettre en place une réflexion collective sur nos problématiques quotidiennes en tant que malades. Parmi ces problématiques il y a notamment le fait d’avoir du mal à nous faire entendre par certains médecins. On espère d’ailleurs que les médecins présents dans le public joueront le jeu et monteront sur scène avec les malades et leurs proches pour faire avancer les débats et changer le regard sur cette maladie ! », conclue Corinne.

Le 18 mai 2019, les scénettes répétées quelques semaines auparavant seront donc présentées lors de journée annuelle sur le syndrome de fatigue chronique qui se déroulera à la salle CCO La Rayonne, à Villeurbanne. Entrée ouverte à tous sur inscriptions avant le 6 mai.

 

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