Activité physique adaptée et hémophilie

La crainte de prendre un coup ou de chuter et de saigner, qu’il s’agisse de saignements externes apparents ou internes, peut freiner les personnes hémophiles ou celles souffrant de maladies hémorragiques rares à pratiquer une activité physique. Dans le cas des enfants hémophiles, ce sont parfois leurs parents, l’équipe enseignante à l’école ou les éducateurs sportifs rencontrés dans le cadre de leurs loisirs qui peuvent avoir des appréhensions.

S’il est vrai que certains sports sont contre-indiqués, dans l’ensemble, avec quelques précautions, l’activité physique est bel et bien bénéfique à la santé des personnes hémophiles. Elle leur permet en effet, comme tout un chacun, d’éviter les pièges de la sédentarité et son cortège de maladies associées comme les troubles cardiovasculaires, le développement de certains cancers, le diabète, le surpoids ou l’obésité, etc.

L’hémophilie présente en outre une spécificité assez peu connue du grand public et qui influe beaucoup sur l’activité physique des malades : dans la mesure où certains d’entre eux souffrent de saignements internes au niveau des articulations, ils développent parfois assez jeunes, vers 20 ou 25 ans, de l’arthrose, au point de devoir se faire poser des prothèses. La contradiction c’est qu’à la fois leurs articulations les fait souffrir et rend la pratique d’une activité physique difficile et que, dans le même temps, une activité physique permettrait, en faisant travailler les muscles, de protéger justement leurs articulations.

En France, on parle de 11 000 malades hémophiles ou souffrant de troubles de la coagulation, qui hésitent et parfois renoncent à pratiquer une activité physique. Le mot d’ordre à l’Association française des Hémophiles (AFH) est pourtant de bouger le plus possible et de ne pas hésiter à pratiquer un sport, adapté au besoin, si l’on en a envie.

L’AFH regrette pourtant que du fait que l’hémophilie soit une maladie rare, la possibilité de mettre en place des programmes d’activité physique adaptée (APA) s’avère compliquée.

Interview de GAËTAN DUPORT du groupe ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE À L’ASSOCIATION FRANÇAISE DES HÉMOPHILES

66 Millions d’Impatients : Est-ce facile pour une personne hémophile ou souffrant d’un maladie hémorragique rare de trouver des programmes d’activité physique adaptée près de chez eux ?

Gaëtan Duport : L’hémophilie faisant partie du champ des maladies rares, il nous est difficile d’organiser des partenariats pour organiser des programmes d’activités physiques adaptées partout en France dans diverses disciplines. Il n’y aurait peut-être qu’un ou deux patients par cours en moyenne, ce qui ne serait pas viable.

On pourrait en revanche envisager d’intégrer des patients dans des programmes d’activité physique adaptée qui accueilleraient plusieurs types de pathologies et où les éducateurs, formés aux spécificités de l’hémophilie, pourraient proposer des exercices sans contact, ni choc.

Vous vous êtes déjà rapprochés de clubs ou de fédération pour organiser des partenariats ?

Nous avons mis en place un partenariat avec la Fédération Française de Natation. En effet, c’est un sport idéal lorsque l’on est hémophile puisqu’il n’y a ni impact, ni contact et que l’eau soulage les articulations qui sont souvent particulièrement fragilisés à cause des saignements articulaires internes chez les hémophiles. Pour cette raison, nous faisons beaucoup la promotion de la natation au sein de l’Association Française des Hémophiles et nous organisons donc une fois par an, au siège de la Fédération Française de Natation, des formations pour les maîtres-nageurs.

Bien sûr, nous avons conscience que tout le monde n’a pas forcément envie de se mettre en maillot de bain et que bien qu’elle soit une pratique sportive idéale pour les malades, la natation ne plaît pas à tout le monde.

Il y a pourtant des sports déconseillés pour les hémophiles ?

Oui, certains sports sont réellement contre-indiqués comme les sports de combat, par exemple, ou le rugby. Certaines pratiques qui semblent a priori sans danger, comme la course, présentent pourtant des risques, notamment lorsque celle-ci est pratiquée de façon intense, du fait des micro-impacts répétés au niveau des articulations.

Cependant à l’Association française des Hémophiles, nous ne connaissons a priori qu’une seule fédération qui a officiellement écrit dans son règlement qu’elle était interdite aux personnes hémophiles, c’est la Fédération Française de Motocyclisme pour la pratique du moto-cross, car ils ont été confrontés à un grave accident impliquant une personne hémophile.

Sinon, j’ai en tête un cas intéressant avec la plongée sous-marine, car ce sont des patients pratiquants qui ont eux-mêmes proposé des limites à la Fédération après avoir remarqué qu’en dessous d’un certain palier, la pression provoquait des douleurs au niveau des articulations alors qu’en règle générale, au contraire, l’eau soulage ce genre de douleurs.

Les contraintes sont les mêmes pour les enfants et les adultes en matière d’activité physique ?

Alors que les sports de contact sont contre-indiqués, pour les plus petits, nous avons pourtant mis en avant la pratique du judo car dans les cours pour les tout-petits, il n’y a pas de contact en réalité. Ils apprennent surtout à faire des galipettes, font des exercices d’équilibre. Le problème est d’expliquer aux enfants lorsqu’ils grandissent et que le temps des compétitions arrive, qu’il faut qu’ils cessent de pratiquer ce sport.

Les enfants ont du mal à comprendre pourquoi on leur interdit telle ou telle activité physique. Rappelons que la plupart des enfants hémophiles ne saignent pas plus que les autres enfants mais que les conséquences en cas de saignements sont bien plus compliquées à soigner. En outre, il faut aussi avoir en tête que les saignements peuvent être internes et passer inaperçus aux yeux des éducateurs sportifs.

Il n’est cependant pas question d’interdire aux enfants de pratiquer un sport mais il faut le faire en bonne intelligence, expliquer aux éducateurs sportifs que si l’enfant chute, reçoit un coup de ballon ou est heurté par un camarade, il doit tout de suite cesser toute activité physique et qu’il faut prévenir les parents.

Les personnes hémophiles ont-elles tendance, face aux risques que représentent parfois l’activité physique, à se démobiliser et se sédentariser ?

De manière générale, les patients hémophiles se sentent souvent très frustrés en matière d’activités physiques et sportives. Certains se découragent effectivement au point de ne plus rien faire du tout, ce qui est évidemment tout à fait mauvais pour la santé et peut entraîner des comorbidités plus ou moins graves comme des troubles cardiovasculaires, du surpoids, voire de l’obésité ou du diabète.

Ce qu’il est intéressant de noter à propos de l’activité physique, c’est qu’il y a des spécificités culturelles, sur notre territoire, auxquelles les médecins s’adaptent selon les demandes des patients. En effet, la frustration est plus grande dans le sud-ouest quand il s’agit de faire une croix sur la pratique du rugby ou l’interdiction d’assister aux courses au taureau, et on ne peut pas faire grand chose dans de tels cas. En revanche, au centre de traitement de Chambéry, les médecins ont tendance à être un peu plus souples qu’ailleurs concernant la pratique du ski et l’on préfère proposer aux enfants désireux d’apprendre à skier, de le faire en leur rappelant toutes les précautions à prendre et de suivre des cours encadrés plutôt que qu’ils partent en cachette faire du hors-piste avec leurs copains.

Témoignage de VINCENT, 19 ans – Hémophile sévère, étudiant pour devenir maître-nageur

Je suis hémophile à un degré de gravité considérée comme « sévère », c’est-à-dire que je saigne facilement dès que je reçois un choc, même parfois spontanément, notamment à l’intérieur des articulations. Je prends un traitement par perfusion 3 fois par semaine qui agit en prévention des saignements. Les saignements internes chez moi se sont beaucoup répétés au niveau de la cheville droite, provoquant une arthropathie, pour laquelle j’ai été opéré en 2015 dans le but de bloquer cette cheville fragile.

Je pratique la natation depuis que j’ai l’âge de 6 ans. C’est un sport parfait quand on est hémophile parce qu’on peut se défouler tout en préservant nos articulations. Il peut arriver qu’il y ait un choc en se cognant avec un autre nageur dans le bassin mais dans l’ensemble c’est une activité sûre pour moi.

J’ai vraiment beaucoup pratiqué la natation. Dès la 6ème j’ai été en sport-études et je nageais tous les jours, deux heures par jour, en plus des week-ends où se déroulaient les compétitions. Les entraîneurs et tous mes camarades étaient au courant et je ne me suis jamais senti exclu. Je pense que le fait que je sois arrivé très jeune dans le club a sans doute participé à ma bonne intégration. Je connais d’autres malades hémophiles, de mon âge ou plus jeunes, qui ne se sentent pas toujours à l’aise quand ils font du sport, soit par rapport aux éducateurs sportifs qu’ils rencontrent soit par rapport à leurs camarades. Ils se sentent jugés. Du côté des parents, certains me demandaient de les aider à persuader leurs enfants hémophiles de se mettre au sport, de les rassurer, d’autres parents au contraire étaient parfois inquiets. J’avais un ami hémophile qui pratiquait de l’athlétisme et certains parents se demandaient si les impacts à la course ou pour les sauts n’étaient pas dangereux. Selon moi, mais c’est un avis personnel, un hémophile peut faire pratiquement tous les sports qu’il désire, excepté bien sûr les sports de combat. Si l’entourage met des freins sur tel ou tel sport, c’est vite décourageant et le risque pourrait être que les enfants deviennent des futurs adultes qui auront du mal à pratiquer une activité physique parce qu’ils n’en auront pas pris l’habitude.

C’est important de maintenir un bon niveau d’activité physique quand on est hémophile car quand on adapte bien son activité, on peut aider à protéger ses articulations. Je pense vraiment qu’il faut motiver les patients, le plus tôt possible, quand ils sont jeunes, pour leur permettre d’avoir cette bonne habitude de faire du sport. Je m’en rends compte dans mon cas personnel, car en ce moment par exemple, suite à un récent déménagement, je n’ai pas nagé depuis quelques semaines et j’ai des douleurs qui apparaissent dans le dos.

Aujourd’hui, je me destine à devenir maître-nageur, puis entraîneur. Je termine en ce moment de passer mon diplôme de maître-nageur. Je suis également très intéressé à l’idée de travailler sur de la natation adaptée à l’hémophilie, et même plus tard envers les personnes à mobilité réduite. Ce sera sûrement un nouveau défi pour moi dans quelques années mais, pour l’instant, c’est vrai que j’ai besoin d’adrénaline et de coacher des jeunes pour la compétition. Je garde les projets d’activité physique adaptée dans un coin de ma tête.

Témoignage de NICOLAS, 43 ans – Hémophile sévère, consultant dans le domaine de la santé

Je me suis intéressé au sport adapté, non pas grâce à mon hématologue mais au médecin qui me suit pour le VIH que j’ai contracté, en plus d’une hépatite C lors de l’affaire du sang contaminé, lorsque j’étais enfant. La reprise d’une activité physique est apparue après 2006, au moment où j’ai guéri de l’hépatite C, car cela a marqué un vrai virage dans ma vie. Jusqu’alors, je marchais beaucoup mais je ne faisais pas vraiment de sport. Je courais un peu mais j’avais du mal à rester motivé dans la durée, d’autant qu’à l’époque je fumais 2 paquets de cigarettes par jour, malgré plusieurs essais pour arrêter, et que j’étais très fatigable à cause de mes différents traitements et maladies.

Enfin, vers 2008, j’ai recommencé la natation. Puis en 2009, j’ai également repris des études et je me suis dit qu’il fallait que je me réhabitue à l’effort et pour cela je me suis mis à courir et à faire du Tai-Chi. De quelques tours de stade, je suis passé à 2 km de course, puis 4, 6 et jusqu’à 11 kilomètres. Je n’ai pas forcément envie d’aller plus loin car je ne veux pas risquer de me fatiguer, de chuter et de me blesser. Je me suis mis aussi à faire du renforcement musculaire. Il s’agissait de quelques pompes debout contre une porte au début en me gainant bien, puis graduellement j’ai complexifié la difficulté. J’ai également abandonné la cigarette enfin en 2010.

Je suis passé donc à l’étape suivante au niveau de l’activité physique adaptée, il y a 3 ans, grâce au médecin qui me suit pour le VIH et qui m’a proposé d’intégrer un programme de réhabilitation sportive de l’Hôtel Dieu. Je me suis lancé. Il s’agissait dans un premier temps d’établir un bilan de mes capacités, de mes besoins et envies, puis de pratiquer une activité physique encadrée à raison de 3 fois par semaine. Je faisais donc du sport dans les galeries de l’Hôtel Dieu ! L’équipe qui s’en occupait n’était pas spécialisée sur l’hémophilie mais ils connaissaient, bien sûr, les contraintes imposées par la maladie et ont, je pense, échangé avec le service d’hématologie où je suis suivi en parallèle pour l’hémophilie et qui fait partie du même groupe hospitalier. Une fois le programme arrivé à son terme, nous avions la possibilité d’intégrer des structures sportives à l’extérieur de l’hôpital avec lesquelles l’Hôtel Dieu avait mis en place des partenariats. J’en ai discuté avec l’équipe de l’Hôtel Dieu. J’aurais aimé le judo mais je manquais de souplesse, alors on a choisi la boxe, qui se pratiquait à 10 minutes de chez moi dans le cadre d’un programme pionnier. J’étais un peu réticent au début car j’ai une articulation fragile au niveau du coude, mais on a commencé doucement avec des exercices de cardio, de renforcement musculaire, d’équilibre et un travail sur la technique des gestes de boxe mais pratiquée de façon calme. Je fais donc 3 séances par semaine ainsi que du renforcement musculaire en supplément, sous la forme de gym adapté. Je fais le plus souvent une injection de facteurs de coagulation avant mes séances de sport en prévention. Je n’ai pas de saignement à cause de ce sport. Le dernier gros saignement que j’ai eu n’était pas à cause de la boxe, mais dû à une chute faite lors d’une promenade et qui m’a valu 10 jours de perfusion de facteurs de coagulation, 2 fois par jour. Heureusement, le fait de faire du sport et de renforcer mes muscles permet de protéger mes articulations, car en cas de chute notamment, on peut davantage compter sur ses muscles pour se rattraper que sur ses articulations ; or les muscles ont la capacité de se régénérer, alors que les saignements articulaires répétés vont, à la longue, provoquer des dégâts irréversibles.

J’ai eu de la chance d’intégrer ce programme de réhabilitation sportive dans le cadre de mon suivi du VIH. Cela a d’ailleurs participé à une amélioration assez nette de mon immunité, dans un contexte où je vis plus sainement de manière générale. Je pense qu’il serait bénéfique que de tels programmes soient aussi proposés en hématologie car finalement mon médecin qui me suit pour l’hémophilie ne m’a jamais vraiment encouragé à la pratique d’une activité physique. On en parle et elle est contente que je puisse en faire, me donne des conseils par rapport à mon traitement mais elle me laisse me débrouiller seul en réalité et ne me propose rien.

En fait, dans mon cas ou en discutant avec d’autres hémophiles, concernant les sports considérés à risques pour nous, comme la boxe pour moi, ou le marathon et le vélo pour d’autres malades que je connais, nous agissons en précurseurs dans la pratique de ces sports adaptés à l’hémophilie. On s’y essaye, en en parlant bien sûr avec notre hématologue et on teste les limites sur nous-mêmes. D’ailleurs avec mon coach de boxe, nous avons d’abord fait un travail de désamorçage des représentations par rapport à la maladie pour pouvoir travailler ensemble et nous avons passé un « contrat » qui implique par exemple que dès que j’ai mal quelque part, je le lui dis pour ne pas travailler la zone en question. Je veux quand même préciser que la boxe me convient mais que cela ne conviendrait pas forcément à tous les hémophiles. J’ai choisi ce sport aussi parce que j’avais envie d’avoir des notions de self-défense.

Photo by Richard R Schünemann on Unsplash

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