Dialysat au citrate : la parole aux patients

Le 4 décembre, le quotidien Le Monde a publié les résultats d’une enquête inédite de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui met en évidence un risque élevé de surmortalité chez les patients insuffisants rénaux ayant recours à un liquide de dialyse à base de citrate.

Le lendemain, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments (ANSM) a réuni en urgence experts et associations de patients afin de procéder à une analyse de cette étude en présence de son auteure. A l’issue de cette réunion, l’agence a estimé par voie de communiqué(*) « que ces résultats très préliminaires constituent un signal à prendre en compte mais qu’il est nécessaire de poursuivre les investigations avant de statuer sur un éventuel risque de surmortalité et d’effets indésirables en cas d’utilisation du dialysat au citrate chez les patients en hémodialyse chronique ».

« On a un peu l’impression que le principe de précaution a fonctionné à l’envers »

Magali Leo – Association Renaloo

Pas de retrait de produit, donc, l’ANSM préférant recommander « une attention particulière » vis-à-vis de l’utilisation du dialysat au citrate. Ce produit est l’un de ceux utilisés pour l’hémodialyse chronique. Sur les 45 000 patients hémodialysés, l’agence estime à 15 000 le nombre de patients concernés en France. On fait le point sur la situation avec Magali Leo, responsable du Pôle Plaidoyer à Renaloo, une association de patients qui représente les personnes atteintes de maladies rénales.

66 Millions d’IMpatients – Quelle a été votre réaction suite aux révélations sur les risques de surmortalité liés au dialysat au citrate ?

Photo portrait de Magali LEO de RenalooMagali Leo – Sidération et forte inquiétude. Nous étions préparés à cette sortie dans Le Monde car c’est bien notre association, Renaloo, qui a alerté l’ANSM sur la surmortalité de +40% liée à l’utilisation du dialysat au citrate. Le Monde nous a contactés pour recueillir notre sentiment par rapport à l’étude du Dr Mercadal et nos déclarations sont claires : « Il est bien sûr ­urgent de vérifier si ces chiffres sont exacts. Mais il faut aussi avant tout protéger les patients. ­L’absence de signalement montre que ça n’a, jusque-là, pas été la priorité. »

Le papier révèle des faits qui auraient dû faire l’objet d’un signalement bien avant début décembre, au plus tard le 3 octobre, lorsque l’étude a été présentée lors du congrès de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT). C’est extrêmement dommageable, pour les patients comme pour les professionnels de santé, de devoir maintenant agir dans un contexte où le silence des sachants pose question et où personne ne sait ce qu’il convient de répondre aux patients.

66 M – Quelle est la fonction des dialysats ? Depuis quand le citrate est-il commercialisé ?

Magali Leo – Les dialysats sont les liquides qui sont mis en contact avec le sang des patients durant les séances d’hémodialyse. Actuellement, il en existe trois types principaux : acétate, acide chlorhydrique (HCl) et citrate. Ce dernier est commercialisé depuis 2012. Les dialysats sont classés dans la catégorie des dispositifs médicaux. De fait, les conditions de commercialisation et d’évaluation sont moins exigeantes que pour un médicament.

Le dialysat au citrate a fait l’objet d’une promotion intense à son lancement par l’industrie. Plusieurs bénéfices médicaux ont été mis en avant, en l’absence de preuves scientifiques fiables. Au mieux sont-elles suggérées par quelques études, sponsorisées par l’industrie, portant sur de faibles nombres de patients et des durées de suivi courtes. De telles études n’auraient en aucun cas été considérées comme suffisantes pour un médicament.

Malgré la faiblesse et les controverses autour de cet argumentaire commercial, il a conduit à ce que les bains au citrate rencontrent immédiatement un succès important et soient adoptés par beaucoup de structures de dialyse, et à ce qu’ils soient à ce jour utilisés chez 30% des patients environ.

66 M – Comment se fait-il que ce surcroît de mortalité n’ait pas été identifié plus tôt ?

Magali Leo – C’est une question à laquelle nous n’avons pas de réponse. L’auteure de l’étude a informé les industriels de ses résultats sur la mortalité, mais souhaitait attendre sa publication pour aller plus loin. Les industriels n’ont pas non plus signalé, ni la société savante dont le congrès a accueilli la communication, ni l’Agence de la biomédecine, qui gère pourtant le registre REIN, à partir duquel l’étude a été réalisée, qui a validé sa méthodologie et a eu accès aux informations. On a un peu l’impression que le principe de précaution a fonctionné à l’envers.

Au-delà de la mortalité, nous avons découvert qu’un autre effet indésirable très grave n’a pas fait l’objet de signalement et n’a donc pas été pris en compte : la survenue de crampes « incoercibles, dont la fréquence et l’intensité sont très atypiques » chez environ 30% des patients dialysés au citrate. Il semble que la survenue de ces crampes soit liée à une intolérance au citrate non prévisible.

Les crampes sont des événements extrêmement douloureux et pénibles en dialyse, à l’origine d’un stress important et d’une dégradation massive de la qualité de vie. Ces crampes récurrentes doivent donc être très difficiles à vivre pour les nombreux patients qu’elles touchent, d’autant plus s’il n’y est pas mis fin par un changement de dialysat. Là aussi, l’ANSM n’a pas été informée. Les industriels l’ont été, mais n’ont rien fait.

66 M – Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

Magali Leo – Les patients ont besoin de réponses très rapides. Il faut en premier lieu déterminer si cette surmortalité est avérée ou non, dans un délai court, de l’ordre de quelques semaines. L’obtention de données complémentaires sera nécessaire : issues des industriels, ou encore recueillies dans les dossiers médicaux des patients.

Il faudra aussi que cette contre-expertise soit indépendante, notamment du registre REIN, qui en tant que co-auteur de l’étude initiale va se trouver en situation de juge et partie. Il est également essentiel de tirer les enseignements de ce dossier, notamment sur la faiblesse des exigences pour la commercialisation de dispositifs, compte tenu des propriétés des dialysats et de la mise en contact de leurs composants avec le sang des patients, à travers la membrane de dialyse.

Nous devons être collectivement en mesure de gérer cette crise, notamment au regard de l’information due aux patients. Si leur « réassurance » est importante, elle ne doit pas conduire à ce que les risques soient minimisés et à ce que les faits soient tronqués. Nous souhaitons co-construire les futurs supports d’information à destination des patients et veillerons à ce que l’ANSM soit en capacité de tenir compte des remontées de terrain.

66 M – En attendant que les autorités réagissent, doit-on conseiller aux patients concernés d’éviter le recours au citrate ?

Magali Leo – Pour l’heure, les patients ont en effet besoin de savoir ce qui est le mieux pour eux, étant entendu que la poursuite de la dialyse n’est pas discutable. Lorsqu’un risque pèse sur des patients dont la qualité de vie est déjà altérée par les contraintes d’un tel traitement, les risques d’affolement sont considérables.

Le conseil à ce stade, c’est le dialogue avec les soignants pour savoir s’il y a eu ou s’il y a encore exposition au dialysat au citrate. Si oui, la décision de switcher doit être discutée avec le médecin, car elle n’est pas sans conséquences. Un nombre important de centres a d’ores et déjà pris la décision d’abandonner totalement le recours au dialysat au citrate.

Nous conseillons également à tout patient dialysé, et en particulier à ceux qui utilisent le dialysat au citrate, de déclarer les éventuels effets indésirables sur le site du ministère de la Santé. Les remontées des patients sont autant d’éléments utiles à la poursuite des investigations et compte tenu des manquements observés du côté des professionnels de santé et des industriels, les patients ne seront jamais trop nombreux à témoigner ».

(*) Communiqué co-signé par l’Agence de la biomédecine, l’ANSM, le Club des jeunes néphrologues (CJN), la Fondation du Rein, France Rein, Renaloo et la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT).

1 commentaires

  • patrick boutinon dit :

    C’est un bon article…Malheureusement nous sommes en présence d’une absence du principe de précaution malgré une très forte présomption d’effets nocifs. Mais comme d’habitude, on ne réagira qu’en fonction des conséquence irréversibles voire des morts. L’ANSM démontre une fois de plus son manque de réactivité… Il ne vous reste plus qu’à rédiger une pétition pour que ce problème soit traité Patrick BOUTINON Association Le Lien Membre de france Associations santé

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