En dépit des différents signaux d’alerte et des plans d’action mis en place par les pouvoirs publics ces dernières années, la consommation d’antibiotiques continue de progresser en France. A l’occasion de la semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques qui se tient du 12 au 18 novembre, 66 Millions d’Impatients publie un dossier sur le sujet afin de sensibiliser ses lecteurs à l’importance d’une consommation raisonnée pour une efficacité durable des médicaments utilisés contre les bactéries agressives. On a trop facilement tendance à oublier qu’une infection bactérienne n’est pas anodine et certaines, en l’absence de traitement efficace, peuvent avoir des conséquences graves sur la santé voire même mortelles dans des cas extrêmes.
« La résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement. Elle peut toucher toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays ». La Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques est ainsi une nouvelle occasion pour l’Organisation mondiale de la Santé de tirer la sonnette d’alarme.
La résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel que l’utilisation massive de ces médicaments antibactériens chez l’homme mais aussi chez l’animal contribue à accélérer. « Ce phénomène entraîne une prolongation des hospitalisations, une augmentation des dépenses médicales et une hausse de la mortalité », indique l’OMS. A terme, les spécialistes estiment que la résistance des bactéries pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité dans le monde.
Trop d’antibiotiques tue les antibiotiques
L’hécatombe est déjà à l’œuvre : selon le ministère de la santé, chaque année en France, 12 500 décès sont liés à une infection à bactérie résistante aux antibiotiques ! A l’échelle mondiale, les résistances microbiennes seraient actuellement responsables de 700 000 morts par an.
Et on ne voit pas pourquoi ça s’arrêterait. En novembre 2017, l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) publiait une étude montrant qu’après une période de baisse (2000-2005), puis de relative stabilité (2005-2010), la consommation d’antibiotiques était repartie à la hausse. Une situation jugée très « préoccupante » par l’agence. Sollicitée par 66 Millions d’IMpatients, l’ANSM a indiqué que ses services n’avaient pas prévu d’actualiser ces données. Dommage…
« La France ne parvient pas à baisser sa consommation d’antibiotiques, explique David Boutoille, infectiologue au CHU de Nantes et président de Medqual, un centre ressource en antibiologie créé en 2003 dans la foulée du Plan National pour préserver l’efficacité des antibiotiques. Avec toujours une consommation très élevée en ville des produits dirigés contre les infections de la sphère ORL (angine, otite, sinusite, etc.) – 43,8 % des consommations d’antibiotiques en ville – et contre les infections respiratoires basses (bronchite et pneumopathie) – 22,7 % des consommations d’antibiotiques en ville ».
Les cas d’impasse thérapeutique se multiplient
Or on sait qu’une bonne partie de ces pathologies sont d’origine virale et ne relèvent pas d’un traitement antibiotique. Résultat : la France compte parmi les pays les plus consommateurs de ces médicaments antibactériens avec une utilisation supérieure de près de 50 % à la moyenne des pays de l’OCDE, selon le Panorama de la santé 2017, publié l’année dernière par l’organisation. Les Français sont ainsi deux fois plus gourmands que leurs voisins allemands et près de trois fois plus que les Hollandais qui comptent parmi les plus vertueux en matière de consommation d’antibiotiques.
Certains types de bactéries responsables d’infections graves chez l’homme sont déjà devenus résistants à la plupart des traitements antibiotiques disponibles et très peu d’options thérapeutiques prometteuses sont en cours de développement pour prendre le relais. David Boutoille cite par exemple en France le cas des bactéries impliquées dans le développement d’infections urinaires (les entérobactéries secrétrices de bêtalactamases à spectre élargi) qui sont au fil du temps devenues résistantes à tous les antibiotiques à prise orale.
« On a un phénomène de globalisation de la résistance qui est lié à la fois à la surconsommation d’antibiotiques en médecine humaine et en vétérinaire (lire notre enquête à propos de l’impact de l’élevage animal sur le développement de l’antibiorésistance). On n’a pas d’autres choix pour traiter les patients atteints par ce type d’entérobactéries que de recourir à des antibiotiques injectables, uniquement disponibles à l’hôpital. En France, c’est le point pour le moment le plus préoccupant ».
Les personnes fragiles en première ligne
Dans certains pays, poursuit l’infectiologue, dans le pourtour du bassin méditerranéen par exemple ou encore en Asie du Sud-Est, les niveaux de résistance sont tellement élevés que les médecins peuvent se trouver dans la dramatique situation de n’avoir aucune alternative à proposer aux personnes infectées.
Vous êtes jeune et en bonne santé ? L’infection par une bactérie résistante ne vous tuera probablement pas même si elle doit vous conduire à l’hôpital. Il en va tout autrement pour les personnes fragiles (patients hospitalisés, nouveau-nés, seniors).
« En pratique quand on se trouve face à un patient souffrant d’une infection bactérienne, on met en place une antibiothérapie probabiliste avant d’avoir identifié la bactérie en cause. C’est une sorte de pari. S’il est infecté par une bactérie résistante, le traitement de première ligne ne fonctionne pas et il y a clairement perte de chance. Chez les personnes fragiles, ce cas de figure peut s’avérer fatal ».
Lutte contre l’antibiorésistance : paroles, paroles…
En 2017, l’ANSM rappelait que « la résistance bactérienne aux antibiotiques étant fortement corrélée au mauvais usage et à la surconsommation d’antibiotiques (lire à ce sujet notre article « Comment endiguer le développement dangereux de la résistance des bactéries aux antibiotiques ? »), la feuille de route ministérielle avait fixé un objectif de diminution de la consommation d’antibiotiques en santé humaine de 25 % d’ici 2018 ».
Un objectif déjà exprimé en novembre 2011, lorsqu’avait été lancé un troisième plan national (suite à un premier programme d’actions mis sur pied de 2001 à 2005 puis un deuxième de 2007 à 2010) visant à promouvoir une plus juste consommation des antibiotiques.
« Une réponse visible face au péril que représentent les bactéries multi-résistantes aux antibiotiques, indiquait alors le ministère de la Santé, est de fixer un objectif de réduction de la consommation pour la durée du plan (qui courrait jusqu’en 2016, ndlr). Celui-ci pourrait être de l’ordre de 25% sur cinq ans comme le préconisent les experts. »
Les bactéries nous feront-elles la peau ?
On le voit, les déclarations d’intention se suivent et se ressemblent. Les résultats, eux, se font toujours attendre. « On a l’impression, qu’on connaît les causes et qu’il y a une vraie prise de conscience des risques auxquels on s’expose en laissant la consommation d’antibiotiques filer. Sauf qu’on ne met pas suffisamment de moyens pour inverser le processus », estime David Boutoille qui voit dans ce constat une analogie frappante avec la question du réchauffement climatique.
On en viendrait presque à se demander qui des bactéries ou des effets de ce réchauffement auront en premier notre peau. Dans un cas comme dans l’autre, il est plus que temps de se retrousser les manches… et nous sommes toutes et tous concerné(e)s. De quelle manière participer à son niveau, en tant que simple patient ou usager du système de santé, à cette lutte contre l’antibiorésistance ? C’est l’objet du dernier volet de ce dossier.
COMMENT SE DEVÉLOPPE L’ANTIBIORESISTANCE ?
La résistance aux antibiotiques peut résulter de la production d’une enzyme modifiant ou détruisant l’antibiotique ou encore de l’imperméabilisation de la membrane de la bactérie. Cette propriété est acquise « spontanément par mutation génétique ou bien être par l’acquisition de matériel génétique étranger porteur d’un ou plusieurs gènes de résistance en provenance d’une autre bactérie », explique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). L’utilisation massive d’antibiotiques a pour effet d’éliminer les bactéries qui y sont sensibles tout en permettant à celles qui ont acquis la capacité d’y résister de proliférer. Plus on utilise d’antibiotiques, plus on accroît ce qu’on appelle la pression de sélection sur les bactéries résistantes. Et plus on prend le risque de se trouver dans des situations d’impasse thérapeutique.
A l’occasion de la semaine mondiale du bon usage des antibiotiques, organisée à l’initiative de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) du 12 au 18 novembre, 66 Millions d’Impatients publie un dossier complet sur le sujet. Pour retrouver les différents éléments constituants ce dossier, c’est par ici :
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