120 battements par minute : « Ce film témoigne d’une volonté très forte de transmission »

Le film de Robin Campillo 120 battements par minute* a été récompensé à Cannes par le Grand Prix du jury. 66 Millions d’IMpatients a rencontré Philippe Mangeot, ancien président d’Act Up (de 1997 à 1999) et co-scénariste du film, afin de revenir sur les événements qu’il retrace, les intentions de ses promoteurs et plus généralement le rapport qu’entretient notre société à l’homosexualité.

« Il y a même un grand trouble à voir l’immense succès critique et public du film à Cannes. Parce qu’à l’époque j’aime autant vous dire qu’on n’avait pas tellement envie de nous voir ».

66 Millions d’IMpatients – Quel est le contexte dans lequel se déroule l’action de 120 battements par minute ?

Philippe Mangeot – L’action a lieu au début des années 90 dans la période la plus rude et la plus meurtrière de l’épidémie de VIH. A cette époque, il n’existe que quelques médicaments de la famille des inhibiteurs de la transcriptase inverse (l’AZT notamment) à disposition des personnes atteintes du virus. Ces médicaments ralentissent l’évolution de la maladie mais ils n’empêchent pas son issue fatale. Les inhibiteurs de protéase sont alors encore en expérimentation : or les espoirs thérapeutiques sont nés, quelques années plus tard, de la combinaison de ces deux familles – ce qu'on appellera les multithérapies. Voilà pour le contexte…

66M – Peu de personnes ont vu ce film jusqu’à présent. Quel en est le sujet ?

PM – Le film porte sur la mobilisation des militants d’Act Up dans différents domaines, et notamment celui de l'accès aux traitements et des modalités de la recherche. L'objectif est donc d'être associé à l’élaboration des essais cliniques. On partait du principe qu’un essai thérapeutique avait d’autant plus de chance de donner des résultats fiables que les malades étaient impliqués dans sa conception. Sans compter que certaines expérimentations manquaient clairement d’éthique. Pour les essais en double aveugle par exemple, on donnait un placebo à la moitié des participants et la molécule active à l’autre moitié. Et puis on comptait les morts… Inutile de dire que c’était intenable pour les personnes atteintes du virus.

Face à l’urgence de la situation, on militait également pour un accès plus rapide aux traitements quand bien même les essais n’étaient pas bouclés. La question de l’accès aux traitements en était une absolument vitale parce que précisément, les personnes atteintes mouraient les unes après les autres. Il était très important que les malades puissent accéder aux médicaments alors même qu’ils étaient en expérimentation. Avant même, donc, qu’on en connaisse les effets escomptés ou pas.

L’arme qui était la nôtre, c’était de faire valoir le fait qu’on avait une expertise spécifique et que nous prendre en compte pour la définition et l’élaboration des essais, c’était produire des protocoles scientifiquement plus valides et plus acceptables éthiquement pour les personnes malades. Ce qui évidemment était une petite révolution parce que les médecins et les chercheurs n’étaient pas du tout habitués à ça.

66 M – Quelle est l’intention de ce film et pourquoi l’avoir sorti maintenant ?

PM – On peut toujours trouver une rationalité à posteriori. Ce film a été produit par deux personnes : une jeune femme, Marie-Ange Luciani, et Hugues Charbonneau, un ancien militant d’Act Up. Je l’étais également tout comme le réalisateur (Robin Campillo, ndlr). Ce film témoigne d’une volonté très forte de transmission. Je crois qu’il y a eu un désir à un moment de revenir sur notre histoire et sur notre jeunesse. Un désir de transmission archéologique et peut-être plus intimement le désir de fermer les tombeaux. On a tous perdu des êtres qui nous étaient chers.

Pourquoi maintenant ? Peut-être parce que ceux qui sont nés à l’époque ont l’âge aujourd’hui qu’on avait alors. On avait 25 ans, on passait notre vie dans les hôpitaux, on avait peur pour nous-mêmes, on avait peur pour ceux qu’on aimait, on devenait veuf en même temps que nos grands-parents… Les jeunes gens d’aujourd’hui sont les héritiers de cette histoire, en un sens, et pourtant, ils l’ignorent. J’ai des neveux, des nièces, des étudiants qui sont aujourd’hui de jeunes adultes et qui ne savent rien de ces événements.

66 M – Comment le militantisme d’Act Up a permis de faire évoluer le regard de la société sur l’homosexualité ?

PM – Notre combat, nos actions ont clairement participé à changer la donne en matière d’acceptation de l’homosexualité. Nous qui n’avions pas droit de cité parce que on nous demandait d’être discret et de ne pas exister au prétexte que l’homosexualité relève de la sphère privée, nous sortions au grand jour. Act Up, c‘était ça : produire de l’action visible. Je pense que s’il y a bien un point sur lequel on a gagné, c’est le droit de vivre son homosexualité. Je crois que c’est plus simple aujourd’hui : en matière d’homophobie, la situation s’est très largement améliorée.

C’était inouï à l’époque. Elle était presque naturelle. Personne ne la voyait sauf quand on la prenait en pleine poire. Elle n’avait pas à s’exprimer, elle était là. Il n’était par exemple pas considéré plus scandaleux que ça d’affirmer que les malheurs qui nous frappaient on les avait bien cherchés et que par ailleurs on était sans doute responsables de la mort de millions d’innocents via les dons de sang et les transfusions.

L’homophobie, c’était le bain dans lequel on baignait. Il faut quand même savoir que des jeunes gens sont morts sans pouvoir parler à leurs parents de leur maladie parce que ça aurait été révéler de fait qu’ils étaient pédés. Et je vous passe les médecins qui ne voulaient pas non plus entendre parler de la maladie. Act Up s’est élevé contre cette homophobie. Notre action, ça a été dire : eh ben non, on est pédés, on vous emmerde, et on ne veut pas mourir. On ne mourra pas dans la honte et dans le silence.

Cette sortie collective du placard à une époque où personne ne voulait en entendre parler a contribué à sensibiliser le public sur les souffrances des homosexuels. La situation a bien évolué. Aujourd’hui c’est l’homophobie qui est pointée du doigt. Les homophobes sont presque obligés de faire leur coming-out.

Celle qu’on a vécue pendant le dernier quinquennat, avec la Manif pour tous, n’a pas de raison de se résorber totalement. Ces événements ont quand même montré qu’elle est désormais obligée de trouver des formes d’expression presque revendicatives pour pouvoir exister. Si cette homophobie s’est manifestée avec autant d’intensité, c’est que l’acceptation sociale de l’homosexualité est aujourd’hui très forte. Notons au passage que les gens ont besoin de beaucoup de morts et de beaucoup de souffrances pour s’éveiller à une cause qui pourtant ne relevait pas d’autre chose que de la santé publique.

66 M – Que reste-t-il encore à faire pour améliorer le sort des personnes homosexuelles ou encore celui des patients atteints du VIH ?

PM – L’égalité, c’est un truc qu’il faut toujours travailler. Dès lors que l’égalité n’est pas au rendez-vous, il y a un combat à mener. Et là je pense à la PMA, à l’enfantement ou encore à la reconnaissance des beaux-parents. Sur la question spécifique des malades : il faut être clair. Aujourd’hui on a les moyens de stopper l’épidémie, c’est aussi simple que ça puisque les gens traités ne sont plus contaminants. Ce qui suppose un travail massif de dépistage. Ça suppose aussi une mise à disposition des traitements à moindre coût et que l’hôpital public soit prêt à faire face. Aujourd’hui le danger vient du fait qu’un certain nombre de personnes ignorent leur séropositivité, ne se traitent pas et sont donc contaminants.

 

* Sortie en salle le 23 août

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