Ecrans, tablettes et enfants

Les enfants sont-ils en danger face aux écrans ?

La semaine dernière, des médecins et professionnels de la santé spécialisés dans la petite enfance ont fait passer par voie de presse un message sur les dangers d’une surexposition des tout-petits aux écrans, qu’il s’agisse de smartphones, de tablettes, d’ordinateur, de consoles de jeux ou de télévision (voir l’article paru dans Le Monde). En effet, ces enfants sont de plus en plus nombreux à connaître des troubles relationnels et du développement du langage. Reste qu’il semble désormais très compliqué de les éloigner de toute forme d’écran de nos jours et qu’il faut surtout réussir à contrôler et accompagner ces moments que les jeunes générations passent devant les outils et contenus digitaux et vidéos.

Le docteur Cécile HALBERT, pédiatre et neuro-pédiatre à Aix-en-Provence, nous explique pourquoi les enfants sont en danger face aux écrans et comment ils ont besoin de construire les bases de leur développement à travers des relations de qualité à distance d’un univers virtuel, au moins pour les premières années de leur vie.

66 Millions d’Impatients : Les écrans font-ils aussi peur aux parents d’aujourd’hui qu’ils faisaient peur aux parents quand la télévision a envahi les foyers ?

Docteur Halbert : Oui et non, alors que la multiplication des écrans est bel et bien préjudiciable aux enfants au moins jusqu’à l’âge de 7 à 8 ans. Une partie de la population commence à prendre conscience du danger car des messages de prévention sont de plus en plus diffusés.

Précisons que par écran on inclut la télévision ainsi que les tablettes, téléphones, ordinateurs, etc… Les tablettes, téléphones, et l’ordinateur ne sont pas vécus comme la télévision car il existe sur ces supports des jeux d’apprentissage qui véhiculent l’idée qu’à travers des écrans, on peut enseigner des choses à des très jeunes enfants.

L’autre aspect qui amène les parents à laisser les enfants manipuler très tôt des écrans est qu’aujourd’hui, ils craignent que leurs enfants prennent du retard face aux nouvelles technologies car eux-mêmes se sentent déjà un peu dépassés. A la fois ils ont envie que leurs enfants se forment tôt et soient plus agiles qu’eux avec ces outils et à la fois ils sont évidemment méfiants car, derrière l’écran, il y a internet et les réseaux sociaux qui ne sont pas toujours « contrôlables ».

Cependant, pour laisser pour l’instant de côté le contenu, le problème des écrans est qu’ils ne sollicitent pas les bons réflexes pour assurer le développement fondamental de l’enfant, surtout dans le cas où ce dernier est laissé seul, sans interaction « humaine » face à un écran.

À partir de quel âge peut-on envisager de confronter les enfants aux écrans ?

Dans la Silicon Valley, les grands développeurs ne mettent pas leurs enfants devant des écrans avant l’âge de 7 ans. Ils savent que c’est l’âge idéal par rapport aux vrais besoins d’un enfant et que les tenir à distance des écrans n’aura, en outre, pas d’incidence sur leur capacité à s’en servir efficacement le moment venu. En effet, les dernières études en neurosciences montrent précisément que les écrans troublent le développement fondamental de l’enfant et qu’au moins jusqu’à l’âge de 7 à 8 ans, il est indispensable que les bases de développement se fassent autour du jeu, dans le monde réel.

L’idéal est de ne pas exposer les enfants aux écrans quels qu’ils soient (TV, tablettes, téléphone, etc.), avant l’âge de 3 ans. On peut éventuellement leur montrer quelques dessins-animés jusqu’à l’âge de 6 ans, puis ensuite petit à petit, on peut les confronter à internet, aux tablettes, mais toujours dans le cadre d’un accompagnement par un adulte.

En quoi les écrans perturbent-ils le développement fondamental de l’enfant ?

Le développement de l’enfant, c’est la recherche de la capacité à pouvoir exprimer et réaliser des actes selon ses propres volontés et dans la considération de son environnement. C’est-à-dire de parvenir à agir librement en fonction de ses propres volontés, en considérant son environnement matériel, humain, etc… Le développement est un processus totalement dynamique et c’est la qualité des relations aux autres qui va permettre à l’enfant de se développer sainement, en particulier par le biais du jeu, qui est un outil d’apprentissage.

Un enfant n’est pas une version miniature de l’adulte. Les enfants ont un cerveau fragile, en cours de maturation. Les constructions neuronales sont en jeu. Il faut savoir que les acquisitions du langage oral, puis plus tard écrit, ont lieu dans la vie de l’enfant à des moments précis. Il y a des « fenêtres » propices à telles ou telles acquisitions, et il ne faut pas passer à côté. Si on ne met pas l’enfant à un moment précis de sa vie dans un bain de langage oral, s’il n’est pas suffisamment en contact avec une langue parlée, globalement avant 6 ans, ce sera compliqué de lui faire développer son langage. Si avant 6 ans, l’enfant est occupé par une activité qui ne stimule pas correctement ce contact au langage oral, comme c’est le cas lorsqu’il est seul face à la télévision ou une tablette, il risque d’avoir des difficultés de langage par la suite.

En outre, le temps passé sur des écrans, c’est du temps qui n’est pas consacré à jouer dans le cadre d’une interaction avec d’autres personnes, c’est-à-dire dans le cadre d’une relation de qualité. Ce qui est important dans le jeu, c’est de pouvoir jouer chacun à son tour, de pouvoir échanger, d’être dans le lien. Il y a une grande différence entre jouer aux petits chevaux avec sa tablette et jouer contre une vraie personne. Dans le cas d’une vraie personne, il y aura de l’échange oral, du lien social, une mise en place de stratégies, la possibilité de tricher, le phénomène de compétition face a un adversaire qui peut avoir envie de gagner, etc… Mais même lorsqu’il s’agit d’un petit enfant qui joue seul dans son parc plutôt qu’avec une tablette, il va être confronté au fait de jouer avec des objets en 3 dimensions, qui subissent par exemple le phénomène de la gravité. Il y a un travail sur la motricité fine qui est très important. En outre, sur la tablette, on ne stimule pas autant tous nos sens que dans la vraie vie.

Les écrans seraient également nuisibles aux enfants par rapport à leurs capacités d’attention ?

C’est tout à fait vrai, car quand on est sur un écran, on ne met pas en route les mêmes capacités attentionnelles que lorsqu’on est en train de jouer de façon classique. Quand on joue avec des Lego ou des cubes, on les met les uns au-dessus des autres dans une attention soutenue et volontaire. L’enfant est en train de créer sa construction et se concentre sur cette tâche pour que cela ne s’effondre pas. Devant un écran, souvent l’attention n’est pas volontaire. Le jeu, les animations, la musique vont solliciter l’attention de l’enfant en permanence dans une attention passive. Ils sont happés, parfois durant des heures devant ces écrans, mais cela ne développe pas une capacité d’attention volontaire.

Du coup, l’enfant n’aura pas pris de bonnes habitudes de concentration et d’attention pour l’école et peut se retrouver en difficultés scolaires.

Les écrans sont-ils addictifs ?

On se rend compte de l’aspect addictif des écrans quand il s’agit de les éteindre. Quand on sort un enfant d’un jeu classique, d’un dessin, il peut y avoir une frustration et une opposition mais c’est gérable. En revanche dans le cas des écrans, cela tourne parfois à la crise car l’enfant a pu être littéralement happé par son activité sur l’écran.

Des études s’opposent sur le sujet. Certains chercheurs avancent que ce n’est pas particulièrement addictogène et d’autres sont convaincus du contraire. Le côté addictogène viendrait en partie du fait que l’attention est captée et relancée sans cesse.

Une autre raison (assez controversée) avancée sur l’aspect addictif des écrans, c’est que cela stimulerait les centres du plaisir et de la satisfaction, ceux qui libèrent la dopamine. C’est également ce qui se passe en cas de consommation de drogue par exemple. On dit que l’addiction aux jeux vidéo prendrait sa source dans ce système de « récompense » de notre cerveau. Le problème, c’est que la sur-activation de ce système-là entraîne un débranchement d’autres systèmes, liés à l’adrénaline et la sérotonine, comme dans le cas d’une addiction à la drogue. On peut nettement l’observer chez certains adultes lorsqu’ils oublient ou perdent leur portable. Ils sont alors anxieux, inquiets, quasiment en manque, enverront un mail pour avertir leur entourage, y penseront toute la journée, seront déconcentrés. Ce stress altère leur bon sens, leur capacité d’empathie et d’attention.

La controverse sur l’addiction aux écrans vient du fait que c’est très difficile à prouver. Il y a eu des études menées sur des adolescents particulièrement accrocs aux jeux vidéo par exemple, mais ces adolescents sont très souvent également accrocs à d’autres choses, comme le cannabis par exemple. On a donc du mal à comprendre si l’addiction vient de la nature de la personne ou si les écrans rendent les personnes sensibles aux addictions.

Les écrans empêchent-ils les enfants de dormir ?

Oui, et c’est d’ailleurs un autre argument qui met en cause le côté addictif des écrans, puisque l’un des critères d’une addiction, c’est la négligence des besoins fondamentaux, or le sommeil est un besoin fondamental. Avec les écrans, il s’agit plutôt du sommeil du soir chez l’adolescent, et plutôt de celui du matin chez le jeune enfant. En effet, on voit des jeunes enfants qui, le week-end, se réveillent de plus en plus tôt pour regarder un dessin animé, alors que sans cette tentation, ils auraient peut-être dormi plus longtemps. Des études montrent que si on laisse un smartphone ou une tablette en chambre, la moyenne de perte de sommeil par nuit est de 30 minutes. Pour une télé, c’est 20 minutes de sommeil en moins. Or chez un enfant le sommeil est vraiment essentiel.

Il existe ainsi des chiffres précis sur les conséquences de l’exposition des enfants face aux écrans ?

Tout à fait. Il y a ceux notamment de Michel Desmurget concernant la télévision. Michel Desmurget est chercheur en neurosciences et a écrit un ouvrage sur le sujet intitulé TV Lobotomie – La Vérité scientifique sur les effets de la télévision, dans lequel il précise que :

  • A 2 ans, une heure de télé par jour double le risque de troubles de l’attention en milieu scolaire,
  • A 3 ans, deux heures de télé par jour triple le risque de surpoids,
  • A 7 ans, une heure de télé par jour augmente de plus d’1/3 le risque d’être un adulte sans diplôme,
  • A 15 ans, une jeune fille exposée à des séries comme Desperate Housewives triple le risque d’une grossesse non désirée.

Y a-t-il des heures plus néfastes que d’autres où il vaut mieux éviter de laisser les enfants devant des écrans ?

Il y a une règle très intéressante qui est celle des « 4 pas » de Sabine Duflo, psychologue clinicienne et thérapeute familiale (voir la courte vidéo sur cette règle). Son principe est :

  • Pas de dessin animé même pour les tout-petits avant l’école ou la crèche, car à partir de 10 minutes de télévision le matin ou le midi avant l’école, l’enfant perd 1/3 à la moitié de ses capacités d’attention pour sa demi-journée scolaire.
  • Pas d’écran pendant les repas, pour permettre le dialogue en famille. En outre, cela permet de ne pas gaver les enfants devant la TV, sans qu’ils se rendent compte de ce qu’ils avalent. C’est nécessaire pour qu’ils apprennent à contrôler leur satiété et leurs apports caloriques.
  • Pas avant de se coucher, car la lumière des écrans empêche l’action de la mélatonine.
  • Pas d’utilisation des écrans dans la chambre, car a priori, dans la chambre, les parents n’y sont toujours et ne peuvent alors pas contrôler le programme visionné ou rester à côté de l’enfant s’il est petit.

Comment savoir si le contenu visionné est adapté à l’âge de l’enfant ?

Chez les enfants la réponse émotionnelle peut être très forte si le contenu est effrayant ou triste. Les petits n’ont pas forcément la capacité de distinguer la réalité et la fiction, puisqu’ils n’ont déjà pas acquis les repères de temps et d’espace. Un enfant en CP par exemple est parfois perdu dans les jours de la semaine. Ils peuvent donc vivre la tristesse ou la peur parfois au 1er degré devant un film. Par exemple, est-ce adapté de leur montrer un film où le héros est poursuivi par des méchants à un âge où l’enfant n’est pas confronté à des « méchants » dans la vraie vie ? Un adulte devant un film de suspens est déjà très sollicité émotionnellement. C’est vraiment pire pour un enfant.

Il est important de prendre du temps avec ses enfants et de chercher à comprendre ce qu’ils ressentent. Leur manière de gérer leurs émotions varie très vite, il est donc nécessaire d’être à l’écoute, de s’adapter à chaque étape pour comprendre ce dont ils ont besoin et leur apporter des réponses, des activités adéquates. Et il ne faut pas se fier à ce que regardent les autres enfants du même âge. Chacun est différent. Peut-être est-ce trop tôt pour votre enfant même si cela convient à un autre. Il ne faut pas se baser sur ce que l’on projette en tant que parent, et encore moins sur ce qui nous arrange par rapport à notre emploi du temps.

Il ne faut donc jamais laisser un enfant seul devant un écran ?

Un enfant ne s’éduque pas tout seul et encore moins seul face à un écran. Même si cela peut être tentant de les caler devant la télé avec un biberon à 6 mois pour aller se maquiller. À 6 mois, une telle façon de procéder fonctionnera parce qu’à cet âge, l’enfant tète de façon réflexe, mais à 2 ans, cela finira en crise de nerfs parce que l’enfant aura pris cette habitude et sera happé par la télé ou la tablette et ne mangera même pas. Toutes ses capacités d’attention seront biaisées.

Évidemment, c’est très dur de nos jours, voire quasiment impossible de tenir les enfants éloignés de tout écran jusqu’à 7 ans. Mais il y a l’option d’aménager des petits temps sur des programmes maîtrisés et accompagnés par un adulte. Tant que l’écran ne s’oppose pas à la relation, comme faire un jeu sur la tablette ensemble, faire une recherche, préparer un voyage, alors ce n’est pas un sujet d’inquiétude. Le problème est de laisser l’enfant seul face à un écran. C’est encore plus vrai sur Youtube, car avec le système de suggestions de vidéos, l’enfant a vite fait de se retrouver face à des vidéos tout à fait inadaptées à leur âge.

Comment faire quand on se rend compte que les écrans prennent trop de place dans la vie de l’enfant ?

En général, malheureusement, les parents n’ont pas conscience que les écrans sont trop présents dans la vie de l’enfant. Ils viennent plutôt consulter un médecin sur un motif de retard de langage et de mon côté, en consultation, je me rends compte que ce sont presque toujours des enfants très exposés aux écrans. La plupart du temps, en toute bonne foi, ils n’avaient pas réalisé qu’ils avaient « mal fait » d’exposer leur enfant aux écrans. Ce n’est pas comme dans le cas des enfants en surpoids par exemple, dont les parents ont conscience qu’ils n’ont pas été assez vigilants sur leur régime alimentaire.

En fait, il y a sujet à inquiétude si un tout-petit sort des rails du développement standard, c’est-à-dire qu’il présente un retard de langage oral ou des difficultés de socialisation, des troubles du sommeil ou de l’alimentation. Dans de tels cas, il faut aller consulter.

Plus tard, si les écrans entraînent trop de coupures dans les relations familiales ou amicales, là aussi, il faut s’en inquiéter.

Dans un premier temps, on peut aller voir son pédiatre. La prise en charge pourra se faire par un orthophoniste par exemple, les orthophonistes étant de plus en plus formés à ce problème.

De nombreux ateliers d’informations sur l’utilisation des écrans par les enfants ont lieu un peu partout en France, notamment dans les CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques).

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