Omerta à l'hôpital - Le livre noir sur la maltraitance à l'hôpital

Etudiants en santé : le livre noir de la maltraitance

Dans un ouvrage publié en mars, Valérie Auslender, médecin généraliste de son  état, a recueilli une centaine de témoignages d’étudiants en médecine, en soins infirmiers ou encore futurs aide-soignants, qui font état de comportements maltraitants à leur endroit pendant leurs stages de formation. Des révélations qui témoignent d’un climat d’apprentissage et de travail qui, s’il n’est certainement pas systématique et permanent, apparait pour le moins comme banalisé au point de constituer un talon d’Achille pour notre système de santé… sachant que ceux ayant subi de la maltraitance sont les plus à même d’en (re)produire. Âmes sensibles, s’abstenir…

« Tu ne sais rien faire, tu n’es qu’une petite stagiaire de merde »… « Hey la stagiaire qui ne sert à rien, viens par ici »… « Va torcher les culs de tes résidents, tu n’es bonne qu’à ça »… « Les stagiaires ne mangent pas et ne pausent pas pendant leurs postes, donc tu restes de 6h30 à 14h30 sans manger, c’est clair ? »… « De toute manière on fera tout pour te faire arrêter »… « Tu sers à rien, casse toi de là »…

Ces propos peu amènes, cette étudiante infirmière de troisième année les aura entendus pendant toute la durée de son stage de 10 semaines destiné à valider sont 4ème semestre. « J’ai perdu le sommeil et l’appétit. J’ai perdu 6 kilos et j’ai terminé mon stage à bout de force. Je partais et revenais de mes postes avec la boule au ventre et les larmes aux yeux ».

L’ultra violence de la formation des médecins et paramédicaux

Dans son ouvrage Omerta à l’hôpital (1), Valérie Auslender, médecin généraliste attachée à Sciences Po, livre une centaine de témoignages recueillis sur les réseaux sociaux, d’étudiants ou d’anciens étudiants en médecine, en école d’infirmière, de sage-femme ou d’aide soignante qui relatent la maltraitance dont ils ont été l’objet durant leur formation. Des propos comme ceux publiés ci-dessus, ce livre en est truffé !

Dénigrement, insultes, harcèlement moral ou sexuel, violences, propos sexistes… On imagine mal, si l’on n’est pas issu du sérail, ce que les étudiants sont susceptibles d’endurer pendant les stages qu’ils effectuent dans les établissements de santé (centres hospitaliers, établissements médico-sociaux, etc.). Ces comportements génèrent chez les victimes une véritable angoisse qui se traduit de façon variable. La « boule au ventre », « l’envie de vomir », « les pleurs » en sont les manifestations les plus fréquemment citées dans l’ouvrage.

Plusieurs victimes témoignent également de crises d’angoisse, d’état dépressif chronique, d’arrêts de travail, d’hospitalisation ou encore d’envies suicidaires qui peuvent perdurer de nombreuses années après la survenue des événements. Dans nombre de cas, ils conduisent les étudiants à l’abandon, à l’échec voire à l’arrêt du cursus de formation. Ce phénomène est-il courant ? Peu d’études existent sur le sujet.

Une grande majorité d’élèves sensibilisée à la problématique

Valérie Auslender s’y intéresse depuis longtemps. En 2013, elle interrogeait les étudiants en médecine sur les violences dans le cadre de sa thèse de doctorat. Pour ce travail, près de 1500 étudiants ont accepté de se soumettre à un questionnaire en ligne. Résultat des courses, plus de 40% d’entre eux ont déclaré avoir été confrontés personnellement et durant leurs études à des pressions psychologiques, 50% à des propos sexistes, 25% à des propos racistes, 9% à des violences physiques et 4% à du harcèlement sexuel.

« Cette souffrance ne concerne pas que les futurs médecins, pointe Valérie Auslender. Plus de 85% des 3486 étudiants en soins infirmiers interrogés par leur fédération nationale en février 2015 considèrent que la formation est vécue comme violente dans la relation avec les équipes encadrantes en stage ». Défaut d’encadrement, jugement de valeur, difficultés d’intégration, rejet de la part de l’encadrement et harcèlement… La violence dans l’apprentissage des soins infirmiers revêt plusieurs habits. On le voit, le phénomène est loin d’être anecdotique. Ça ne veut pas dire que tous les services sont touchés.

Christophe Dejours est psychiatre spécialisé dans la souffrance au travail. Il a participé, comme plusieurs autres experts, à la rédaction de cet ouvrage : « Ce sont dans les services où la qualité des soins est la plus dégradée que se reproduisent les maltraitances envers les étudiants. Ce serait une erreur de porter la responsabilité sur quelques individus nocifs, agressifs ou pervers ». Pour lui, le « tournant gestionnaire » de l’hôpital, ses conséquences sur la qualité des soins et le comportement des soignants seraient la cause première de ces maltraitances.

Les étudiants et les patients dans le même sac ?

Valérie Auslender en convient sans peine… mais précise quand même que cette souffrance imposée aux soignants du fait de leurs conditions de travail ne saurait les dédouaner de leur responsabilité individuelle. A la lecture de ces innombrables témoignages, on constate en creux que si les étudiants en bavent, les patients sont eux aussi susceptibles d’être maltraités. Exemple avec le témoignage de cet étudiant en médecine :

« Entendre en garde qu’un patient, sûrement avec des soucis psychiatriques, vient aux urgences tous les jours depuis 2 ans pour douleurs thoraciques, à qui on est obligé de faire un ECG tous les jours. Et qu’un jour, agacés, les internes ont décidé de lui faire un toucher rectal, pour qu’il ne revienne pas. Bidonnés de le voir se repointer le lendemain en disant : il a dû aimer ça ».

Comment imaginer, en effet, que des soignants capables de maltraitances avec leurs jeunes pousses puissent faire preuve de la moindre empathie avec les patients ? « L’empathie est un enseignement qu’il est urgent d’intégrer dans la formation des soignants, martèle Valérie Auslender. Pendant mes études, je n’ai pas fait un stage sans être témoin de maltraitance, qu’elle soit à l’adresse d’un patient ou d’un élève ».

Les solutions qu’il est urgent de mettre en œuvre

Pour elle, on peut sous-estimer, on peut banaliser ou expliquer que les étudiants sont devenus trop fragiles… mais les faits sont là : le système de formation des soignants est une machine à broyer. On laisse le soin aux promoteurs dudit système de nous expliquer les vertus pédagogiques d’un tel mode de fonctionnement… Comment enrayer cette mécanique ?

D’abord en prenant conscience du problème ! Et en faisant en sorte qu’il devienne bien clair à l’esprit des étudiants (et des patients) qu’ils n’ont en aucun cas à accepter une telle pression. « C’est par des actions en justice que les choses commenceront à bouger. Dans tous les cas, les étudiants ou les patients victimes de comportements qu’ils estiment inadéquats doivent en parler ».

Valérie Auslender préconise par ailleurs la mise en place de campagnes de sensibilisation ou encore la création d’un point d’écoute en dehors des établissements, animés par des professionnels coutumiers des questions de harcèlement. « Il serait urgent enfin, conclut l’auteure, de mieux former les soignants au tutorat ».

 

(1) Omerta à l’hôpital, par Valérie Auslender, Ed. Michalon, 2017, 320 pages, 21 €.

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