Dans le cadre de notre dossier sur les centres de santé, 66 Millions d’IMpatients est allé visiter deux centres parisiens, celui du COSEM Saint-Michel, un centre privé géré par une association loi 1901 (lire notre reportage) et le centre médical Stalingrad, géré par la CRAMIF (Caisse Régionale d’Assurance Maladie d’Ile-de-France).
Le centre de santé Stalingrad est hébergé dans l’imposant bâtiment qui abrite le siège social de la CRAMIF, à quelques pas du métro Stalingrad, un quartier populaire du 19ème arrondissement de Paris, qui révèle de grandes inégalités sociales.
C’est donc au cœur d’un territoire où l’accès aux soins pour tous n’est pas une évidence que la CRAMIF a choisi d’installer ce centre de santé polyvalent, qui propose des soins médicaux et dentaires avec plus de 20 spécialités comme :
- La médecine générale
- La gynécologie
- L’ophtalmologie
- La pédiatrie
- La cardiologie
- La neurologie
- La diabétologie
- Etc…
- Ainsi que de l’imagerie médicale et des activités paramédicales comme la podologie-pédicurie, la kinésithérapie et même l’ostéopathie.
Les locaux du centre de santé sont assez impressionnants. Le centre se répartit sur deux étages qui sont aménagés comme le seraient les consultations externes d’un hôpital. De part et d’autre de longs et larges couloirs, se répartissent des salles de soins, d’attente, de stérilisation, de radiologie, des cabinets dentaires, etc… Le parcours de soins coordonnés promu par l’Assurance maladie prend ici tout son sens et s’organise pour accueillir et suivre avec attention une population parfois en grande précarité qui frôle souvent les situations de rupture de soins.
Avec 140 000 passages en 2016, le centre médical Stalingrad représente près de 3% des remboursements de consultations réalisées par les 123 centres de santé parisiens. Ouvert de 8h à 18h du lundi au vendredi et jusqu’à 12h le samedi, le centre est sans conteste un acteur important du territoire de santé.
Sofia Bouallali, responsable du centre médical Stalingrad, nous explique son fonctionnement.
Quel est le positionnement du centre de santé Stalingrad ?
Nous sommes implantés à Stalingrad, pour servir notamment la population du 19ème arrondissement (67% des patients au total) dont une partie est en situation de précarité voire de grande précarité. Cependant nous ne recevons pas uniquement des personnes du 19ème, nous sommes ouverts à tous, quels que soient la caisse de sécurité sociale du patient et son lieu d’habitation.
Nos chiffres sur 2015 montrent que les patients en situation les plus précaires – les bénéficiaires de la CMU-c (couverture maladie universelle), ou de l’AME (aide médicale de l’Etat), de l’ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé) ou en situation d’invalidité – représentent 27,5% de notre patientèle. Il s’agit d’un centre à forte vocation sociale.
Notre but est d’accueillir des personnes en situation précaire et de les faire intégrer le parcours de soins de l’Assurance Maladie. Lorsque le patient arrive, on commence par vérifier son ouverture de droit et s’il n’en a pas, on le dirige vers les assistantes sociales de l’Assurance Maladie, pour mettre à jour son dossier, ouvrir ses droits, et faire en sorte qu’il puisse bénéficier de l’offre de soins nationale. A la CRAMIF, nous avons plus de 300 assistantes sociales sur toute l’Ile-de-France. De la même façon, s’ils n’ont pas de mutuelle, nous les accompagnons dans leurs démarches afin qu’ils bénéficient de l’ACS.
Quels sont vos tarifs ? Existe-t-il des dépassements d’honoraires et si oui, aidez-vous les patients qui ne peuvent pas les régler ?
Comme tous les centres de santé, nous pratiquons les tarifs de secteur 1 et le tiers payant. Nos tarifs correspondent à la base de remboursement de l’Assurance Maladie, donc il n’y a quasiment jamais de dépassements d’honoraires. Cela arrive parfois en pédicurie, en parodontie et sur les prothèses dentaires mais nous essayons toujours de se positionner sur les tarifs bas du marché, pour être attractifs et parce que nous avons vocation à accueillir les personnes qui ont le moins de moyens, tout en restant évidemment attaché à une qualité de service et de soins optimale, que ce soit dans le recrutement de nos praticiens, ou dans le choix des fournisseurs pour mettre en œuvre ces soins.
Dans le cas du dentaire, les assistantes dentaires ont une vraie expertise pour essayer de proposer le reste à charge le plus faible possible afin qu’il puisse être entièrement couvert par une mutuelle, le cas échéant. Nous avons d’ailleurs mis en place un grand réseau de conventionnement avec plus de 300 mutuelles, afin de permettre à un maximum de patients de ne pas avoir à faire d’avance de frais.
Nous proposons également des paiements échelonnés si cela s’avère nécessaire et, pour les situations de grande précarité, nous avons aussi la possibilité de diriger le patient pour obtenir des aides exceptionnelles par le biais des assistantes sociales et de l’Assurance Maladie qui peut soutenir les cas difficiles pour éviter les ruptures de soins.
L’accès aux soins pour tous est une valeur que vous défendez tout particulièrement ?
Tout à fait ! Le but à la base de notre action, c’est qu’il n’y ait pas de rupture dans l’accès aux soins. Les études montrent qu’il y a souvent un renoncement aux soins du fait du manque de moyens. Le centre de santé Stalingrad est aussi là pour pallier cette problématique, aider les gens à rentrer dans le système de l’Assurance maladie et avoir accès à toutes les spécialités proposées, selon leurs besoins.
Il y a un investissement social fort, voire une vocation, dans notre positionnement à travers le soutien que nous apporte la CRAMIF. Nous tenons à proposer une offre de soins accessible à tous.
Comment le centre est-il géré sur le plan financier ?
Comme je le disais, la stratégie choisie, en lien avec les administrateurs de l’Assurance Maladie et la CNAMTS qui nous soutiennent, est de maintenir et développer une activité polyvalente, sans choix des activités rentables et non rentables. L’accès aux soins est vraiment notre credo. Nous avons la chance d’être hébergés par la CRAMIF, dans de grands locaux. Pour autant on ne peut évidemment pas dépenser sans compter. Nous sommes soumis à des contraintes budgétaires. L’idée est donc d’accroître notre offre en essayant d’optimiser au mieux notre organisation et nos coûts. Cela passe notamment par la bonne gestion de nos achats ou d’une recherche d’économie d’échelle. Il nous reste une marge de développement à construire. Entre 2014 et 2015, nous avons augmenté notre activité de 7%, puis de 3% l’année suivante.
Le centre de santé à lui seul n’est pas à l’équilibre financièrement. Le soutien financier de la CNAMTS est essentiel. Notre stratégie de croissance accompagne cependant une volonté de nous rapprocher de l’équilibre financier progressivement.
On analyse les délais d’attente, les tensions sur les spécialités où l’offre est faible et au fur et à mesure, on aménage des cabinets supplémentaires pour recruter sur ces disciplines clés.
Mais notre volonté de croissance et d’équilibre financier ne nous empêche pas d’accompagner des activités qui nous paraissent importantes, même si elles supposent du temps pour trouver leur rythme de croisière.
La politique de l’Assurance Maladie, c’est de soutenir ce centre, de l’aider à atteindre un équilibre financier, tout en lui donnant les moyens pour le faire sainement, de manière à pouvoir maintenir cette activité de secteur 1 sur un territoire qui présente des fragilités dans l’offre de soins par rapport à sa population. Mais l’Assurance Maladie attend de nous un accroissement du nombre de passages, une gestion saine et qui s’améliore. On est dans un dialogue de gestion constructif.
Quelles sont ces activités soutenues alors qu’elles ne sont pas forcément « rentables » ?
Par exemple, récemment, nous avons ouvert une consultation de sages-femmes qui a encore du mal à avoir un écho, car les femmes qui viennent nous voir ne connaissent pas forcément le rôle d’une sage-femme et se dirigent plus automatiquement vers un gynécologue pour le suivi de leur grossesse. Le rôle de la sage-femme nous tient à cœur, il permet de prévenir plus spécifiquement les cas de grande précarité.
Nous avons aussi créé une activité d’ostéopathie, bien que l’on ne s’attende pas forcément à trouver cela dans un centre de santé. Nous avons mis en place des tarifs accessibles car nous voulons que le plus de monde possible puisse bénéficier de ce type de soin si un médecin le leur recommande.
On fait également de l’acupuncture et on soutient en ce moment l’un de nos généralistes qui suit une formation en homéopathie.
Le but, c’est d’être polyvalent et varié afin que le patient trouve le maximum de soins primaires et qu’il puisse faire son parcours au sein du centre.
Vous ne comptez donc pas sur certaines spécialités pour équilibrer le budget du centre ?
Notre stratégie n’est pas de favoriser les activités rentables au détriment des vrais besoins du territoire. La répartition de nos activités le prouve puisque :
- La médecine générale représente 19%
- L’imagerie médicale 13%
- La médecine spécialisée 31%
- La kinésithérapie 22%
- L’activité dentaire 12%
- Les autres activités paramédicales 3%
Les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous sont-ils longs ?
En médecine générale, on propose des consultations sans rendez-vous tous les matins, mais selon les jours et l’affluence, il peut y avoir plus ou moins d’attente pour ces consultations, entre 30 minutes et 3 heures. Selon le nombre de patients qui sont déjà présents, une personne qui arrive à 11h n’aura pas l’assurance d’être vue par un médecin. En ce qui concerne le sans rendez-vous, on peut également traiter certaines urgences, comme une entorse par exemple puisque nous pouvons effectuer la radio sur place.
Lorsque l’on prend rendez-vous en médecine générale, on voit son médecin en général dans la journée ou le lendemain. Les patients peuvent d’ailleurs choisir leur médecin traitant parmi nos généralistes et demander à voir toujours le même médecin. On ne propose pas de visites à domicile, mais cela fait partie de nos questions pour notre prochain projet de santé.
Pour les autres activités, les délais de rendez-vous varient d’une spécialité à l’autre. Pour l’ophtalmologie qui est une spécialité très tendue, nous avons 2 à 3 mois de délais et on ouvre l’agenda en début de mois, donc mieux vaut appeler en tout début de mois pour obtenir un rendez-vous. Toujours à titre d’exemple, en gynécologie, il faut compter 2 semaines de délai environ.
Comment se passe le recrutement de vos médecins ?
Comme dans tous les centres de santé, notre personnel est salarié, et chez nous les praticiens sont payés à l’acte avec des taux de rétrocession attractifs. Le but est de privilégier une démarche qui s'inscrive dans un objectif de qualité. La gestion du dossier administratif du patient est assurée par du personnel dédié à l’accueil du centre, ce qui permet de concentrer le temps médical sur les soins.
En tout, nous avons 57 professionnels de santé, sans compter les assistantes dentaires et les manipulateurs en électroradiologie.
Dans certaines spécialités, nous avons parfois beaucoup de difficultés à recruter, comme actuellement par exemple, où nous avons du mal à trouver un nouveau pneumologue. Nous sommes exigeants par rapport à notre recrutement et les centres de santé ne sont pas forcément très connus des médecins spécialistes, qui ont le plus souvent des cursus hospitaliers.
Faites-vous des actions de prévention ?
Nous sommes particulièrement actifs sur la prévention du cancer. Nous travaillons avec la CPAM 75 qui propose des ateliers de sensibilisation au sein du centre environ tous les deux mois. On envisage également d’organiser à nouveau, cette année, des journées de dépistage. Cela dit, nos praticiens pratiquent évidemment des mammographies, des dépistages du cancer colorectal, des frottis en gynécologie. Nous faisons attention à ne pas être uniquement dans le curatif et à nous impliquer dans la prévention.
Nous avons d’ailleurs un important service de bilan de santé, qui prend en charge le bilan de santé remboursé tous les 5 ans par l’Assurance maladie. 10 000 bilans y sont effectués chaque année. Ce service propose aussi une action de prévention spécifique en direction des personnes en grande précarité.
Enfin, nous avons aussi un partenariat avec Médecins du Monde et nous pratiquons gratuitement des radiologies pour les patients sans couverture médicale qu’ils nous adressent.
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