Le « Monde Festival » a présenté samedi soir en avant-première le film d’Emmanuelle Bercot retraçant le combat de la pneumologue Irène Frachon pour faire reconnaître la dangerosité du Mediator. 66 Millions d’Impatients était présent.
« Les victimes se comptent par centaines. On continue de se battre pour qu’elles soient indemnisées ». Le moins qu’on puisse dire c’est qu’Irène Frachon n’a rien perdu de sa hargne. A l’occasion de la projection en avant-première, samedi, du film d’Emmanuelle Bercot « La fille de Brest », qui retrace le combat de la pneumologue pour que soit retiré du marché le Mediator, celle-ci a rappelé le calvaire que les victimes du médicament de Servier endurent encore aujourd’hui :
« Six ans après [le retrait du médicament des tiroirs des pharmacies, ndlr], on est toujours dans un vrai corps-à-corps face à des criminels en cols blancs qui continuent de s’acharner sur leurs propres victimes en payant des fortunes des hordes d’avocats chargés d’asphyxier les procédures »
Un film dans les salles le 23 novembre
Entourée d’Irène Frachon et de Sidse Babett Knudsen, l’actrice qui incarne à l’écran la pneumologue, Emmanuelle Bercot est revenue à l’issue de la diffusion sur le making-off du film. « On a choisi d’angler l’histoire en nous appuyant sur le point de vue d’Irène », a indiqué la réalisatrice, précisant avoir pris grand soin de ne pas s’éloigner de la réalité des faits. « Entre deux consultations, en courant elle venait nous faire coucou, nous aider sur un point technique. En elle, j’ai vu un puissant personnage de fiction ».
Le cynisme du labo est l’un des principaux éléments que l’on retient de cette fiction qui n’en est finalement pas une. Le spectateur pourra s’en faire une idée dès les premières minutes du film (à condition de patienter jusqu’au 23 novembre prochain, date de sa sortie officielle en salle) avec la mise en scène d’une rencontre organisée en juillet 2009 à l’Agence du médicament (qui s’appelait alors l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [Afssaps]) entre ses experts, Irène Frachon, et les représentants des laboratoires Servier.
Pleins d’arrogance, ces derniers rejettent en bloc les soupçons d’Irène Frachon quant au lien existant entre la prise du médicament antidiabétique et le développement des valvulopathies. A l’occasion de cette réunion, peut-on lire dans un Rapport d’information du Sénat publié en juin 2011, la pneumologue a présenté une étude réalisée auprès de trente patients admis au CHU de Brest entre 1998 et 2009 pour une valvulopathie spontanée dont 70% ont été attribuées à la consommation de Mediator.
L’arrogance des laboratoires Servier
Cette présentation n’entamera pas l’assurance des laboratoires Servier. Mépris vis-à-vis du manque de représentativité de l’étude, mépris – et intimidation – vis-à-vis de son auteur (un médecin bio-statisticien du CHU, incarné par Benoît Magimel), mépris vis-à-vis de l’établissement hospitalier de province… « Aujourd’hui, ce sont ces mêmes sbires qui conseillent les avocats de Servier » s’indigne Irène Frachon.
Leurs arguments n’auront tenu que peu de temps face à l’évidence de la dangerosité du Mediator : le 12 novembre 2009, sur la base d’une nouvelle étude réalisée d’après des données de l’Assurance maladie par Catherine Hill, épidémiologiste à l'institut de cancérologie Gustave Roussy, l’Afssaps se prononce contre le maintien de la commercialisation du Mediator. La décision sera confirmée quelques jours plus tard pour un retrait effectif le 20 juillet 2010.
Une première victoire pour Irène Frachon et pour les patients dont elle porte la cause, arrosée comme il se doit, raconte le film d’Emmanuelle Bercot. L’engagement de la « fille de Brest » ne s’est pas arrêté là. En juin 2010, elle publie le livre Mediator 150 mg – Combien de morts ?. Le sous-titre sera censuré par un jugement du Tribunal de Grande instance de Brest, rendu le 7 juin 2010. Jugement annulé par la cour d’Appel de Rennes en janvier 2011.
La question cruciale du nombre de victimes du Mediator
Combien de morts ? « La question du nombre de victimes, écrit la mission commune d’information sur le Mediator dans le rapport sénatorial, a focalisé le débat lors de la suspension puis du retrait du benfluorex ». Aujourd’hui, on estime que le nombre de décès liés à la consommation de Mediator est compris entre 500 et 2 000 pour 5 millions de consommateurs pendant trente-trois ans. « L’estimation plus élevée correspond à une prise en compte de la mortalité à plus long terme », précise la mission d’enquête sénatoriale.
« La fille de Brest » s’achève sur l’effervescence médiatique qu’a provoqué la fuite dans Le Figaro de ces résultats. « Ça va être Hiroshima, c’est pas le moment de te dégonfler », aurait dit Anne Jouan la journaliste (toujours en exercice, elle est incarnée à l’écran par Lara Neumann) à l’origine de ce papier à Irène Frachon, quelques minutes avant sa publication. Irène Frachon se dégonfler ? Ce n’est vraiment pas le genre de la maison !
Citée par le quotidien Libération en mai dernier, la pneumologue brestoise affirmait sa détermination : « Jamais je ne laisserai tomber. Mon objectif absolu, c’est le combat pour les victimes. La citadelle est tombée, mais après on doit se battre maison par maison, victime par victime, pour que celle-ci soit reconnue et indemnisée. C’est insupportable. Je suis abasourdie par le fait que six ans après, je doive me battre dossier par dossier ». On ne peut que partager sa révolte…
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