Ruptures d'approvisionnement en médicament dans les pharmacies et à l'hôpital

Ruptures d’approvisionnement en médicaments : un casse-tête loin d’être résolu

A l’hôpital ou dans les pharmacies en ville, les cas de rupture de stock de médicaments sont, depuis quelques années, de plus en plus nombreux. Les acteurs tentent de s’adapter comme ils le peuvent. Les nouveaux modes de production du médicament sont directement pointés du doigt. 

« On bricole comme on peut afin de proposer des solutions aux patients », soupire ce pharmacien exerçant dans une officine de centre-ville en province. En cause : les ruptures d’approvisionnement en médicaments auxquelles les pharmacies de ville mais aussi celles des hôpitaux sont confrontées quasi quotidiennement depuis quelques années.

Entre 400 et 500 signalements parviennent annuellement à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’agence rapporte avoir en permanence quelque 200 dossiers à gérer. Quand la situation se règle pour un médicament, c’est un autre qui vient à manquer. « Les ruptures et risques de rupture de stock gérés à l’ANSM concernent les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, c’est-à-dire les médicaments dont l’indisponibilité transitoire, totale ou partielle est susceptible d’entraîner un problème de santé publique (mise en jeu du pronostic vital, perte de chance importante pour les patients) », indique-t-on à l’agence.

Le cas inquiétant des pénuries d’approvisionnement en vaccins

A l’affiche en ce moment des spécialités brillant par leur absence : le Di-hydan, prescrit dans le traitement de l’épilepsie, invisible en pharmacie depuis mars 2014, le Mantadix (maladie de Parkinson) en rupture depuis plus d’un an également ou encore certains vaccins indiqués dans la prévention conjointe de la diphtérie, du tétanos, de la coqueluche et de la poliomyélite. 

Ces derniers connaîtront des « tensions d’approvisionnement sur l’ensemble de l’année 2015 avec possibilité de ruptures de stock ponctuelles », prévient sur son site l’ANSM. A tel point qu’en mars, la Direction générale de la Santé dépendant du ministère éponyme a été amenée à modifier ses recommandations vaccinales. « Ces recommandations seront actualisées en fonction de la disponibilité des vaccins », prévient la DGS.

Dans les cas les moins graves, s’il existe des alternatives à la spécialité manquante, (la possibilité par exemple de la remplacer par un générique) ou bien que la durée prévue de la rupture est limitée dans le temps, celle-ci n’appelle pas de mesures spécifiques de la part de l’agence. Certaines situations demandent au contraire la mise en place de dispositions bien plus drastiques : restrictions d’utilisation, contingentement ou encore importation d’une spécialité étrangère. Dans le cas de l’antiépileptique Di-hydan, les pouvoirs publics ont ainsi autorisé depuis avril 2014 l’importation d’un médicament équivalent (le Diphantoïne) initialement destiné au marché belge.

Pénurie de médicaments : un phénomène observé à l’échelle mondiale

Autre exemple plus ancien avec l’importation depuis l’Italie d’Euthyrox au cours de l’été 2013, pour pallier l’absence de Levothyrox (traitement contre l’hypothyroïdie) dans les officines de l’Hexagone. Sur les 6 dernières années, l’ANSM estime que le nombre de ruptures a été multiplié par 4. Toutes les classes de médicaments sont concernées mais 3 classes sont plus particulièrement exposées : les anti-infectieux, les médicaments du système nerveux et les anticancéreux. 

La rupture d’approvisionnement ne touche pas que les officines françaises, loin s’en faut. Aux Etats-Unis, par exemple, la Food and Drug Administration (l’équivalent américain de l’ANSM) rapportait en 2011 que le nombre de ruptures enregistrées chaque année avait triplé entre 2005 et 2010 passant de 61 à 178. Consulté le 29 avril dernier, le site de la FDA rapporte quelque 70 ruptures allant du Chloramphénicol (antibiotique) au Méthylphénidate (traitement des troubles du comportement chez l’enfant) en passant par l’Azathioprine (anticancéreux). 

On l’a dit, le problème concerne aussi bien les officines de ville que celles des établissements de santé. Une étude de l’Association européenne des pharmaciens hospitaliers (EAHP) publiée en octobre 2014 (600 professionnels interrogés à travers 36 pays dont les 28 membres de l’Union européenne) montre qu’au sein de ces états, plus de 20 % des hôpitaux sont confrontés à une rupture de stock quotidiennement et 45 % au moins une fois par semaine. Les anticancéreux et les antibiotiques comptent à l’hôpital parmi les médicaments étant les plus sujets à rupture, selon cette étude.

Une chaîne de production trop dépendante des aléas

Première raison avancée permettant d’expliquer ces nombreuses pénuries : le dangereux glissement opéré par les acteurs de la chaîne du médicament vers un mode de production et de distribution en « flux tendu » visant à limiter les stocks afin de gagner en efficience. De cette tendance (lourde), résulte un fragile équilibre que la moindre difficulté survenue lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis est susceptible de bousculer. 

« L’obligation légale imposée à nos grossistes de maintenir un niveau de stock d’au moins 15 jours préserve les patients français d’une situation qui pourrait être encore plus catastrophique », explique Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre national des pharmaciens (ONP). La concentration des différentes étapes de la production de médicaments au sein d’usines uniques ou peu nombreuses est un autre facteur participant à la rupture de stock. 

Selon l’ANSM, près de 40 % des ruptures serait attribuable à ce genre d’incidents industriels. Sans compter qu’en même temps que le nombre de sites de production diminue, la demande, elle, s’élargit au marché mondial, vers les pays émergents notamment où la demande est de plus en plus forte.

Conséquences potentiellement gravissimes

Les ruptures d’approvisionnement ne sont évidemment pas sans conséquence pour la santé des patients.

« Elles peuvent être à l’origine de décès, d’hospitalisations ainsi que d’une progression de la maladie ou du développement de nouveaux problèmes de santé associés, estimait déjà fin 2012 l’Ordre national des Pharmaciens. Ces ruptures posent également des problèmes éthiques, une situation de pénurie pouvant obliger les établissements de santé à prioriser les patients dont le traitement avait déjà débuté au détriment de ceux dont le traitement devait commencer prochainement ».

Pour Isabelle Adenot, il ne fait aucun doute que la situation va aller en s’empirant. « On peut au moins tenter d’améliorer la gestion de ces pénuries en faisant en sorte que l’information circule au sein de la chaîne de distribution au plus vite et au plus tôt ». C’est ainsi que plusieurs centaines d’officines pilotes réparties dans trois régions françaises (Ile de la Réunion, Nord et Provence-Alpes-Côte d’Azur) expérimentent la mise en place d’un dispositif d’information en temps réel qui renseigne les professionnels de santé des médicaments en rupture et du délai attendu de remise sur le marché. 

Ce dispositif qui s’appuie sur l’infrastructure du dossier pharmaceutique est appelé à se déployer dans les prochains mois, indique Isabelle Adenot. « Il permettra au pharmacien d’agir en meilleure connaissance de cause afin de répondre aux attentes du patient ». Soit par exemple en l’adressant à l’un de ses confrères ou en lui commandant le médicament si la rupture est localisée, soit en l’invitant à consulter à nouveau son médecin afin que celui-ci identifie une alternative thérapeutique.

Les pouvoirs publics et les professionnels à la manœuvre

L’article 36 du Projet de loi santé adopté à l’Assemblée nationale le 14 avril dernier prévoit par ailleurs différentes mesures visant à circonscrire le problème. Comment ? Par exemple en contraignant les fabricants à mettre en place pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur un plan de gestion des pénuries « dont l’objet est, dans l’intérêt des patients, de prévenir et de pallier toute rupture de stock ». 

Une « avancée majeure », commente Isabelle Adenot, qui obligera les fabricants à identifier les moyens de prévenir la rupture et les solutions à apporter pour qu’elle soit le moins durable possible, si toutefois elle devait se produire. La présidente de l’ONP retient par ailleurs de l’article 36 du Projet de loi santé l’interdiction faite aux grossistes répartiteurs de vendre ces médicaments à l’extérieur du territoire national.

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