Depuis les années 1960 et la libération sexuelle, deux comportements féminins ayant de fortes implications sur leur santé n’ont pas cessé d’augmenter : le recours à la pilule contraceptive puis le tabagisme.
Si les dangers du tabac ne sont plus à démontrer, les accidents cardio-vasculaires liés à la prise de la pilule ne sont pas à négliger. En outre, on entend souvent dire que le mélange des deux augmente les risques de phlébites voire d’AVC, mais à quel point ?
Une fumeuse sous contraception orale doit-elle remettre sérieusement son traitement en cause ?
Interview du docteur Jean-Pierre Thierry, médecin en santé publique
66 Millions d’Impatients : Les fumeuses sous pilule mettent-elles davantage leur santé en danger que les non-fumeuses ?
Dr Thierry : Dans la mesure où le tabac et la pilule augmentent chacun les risques cardio-vasculaires, les cumuler représente évidemment un risque supplémentaire. Ce risque est pourtant très difficile à évaluer. D’ailleurs, le fait de fumer n’est pas une contre-indication à la prescription d’une contraception orale, ce qui est le cas, par exemple, pour des femmes présentant des troubles ou des maladies cardio-vasculaires connus et à qui le gynécologue peut proposer d’autres méthodes, dont le stérilet.
Parmi les autres risques cardio-vasculaires, l’obésité cumulée à la prise de la pilule est sans doute tout aussi dangereuse que le tabac. Il ne faut pas se tromper d’accusés, entre la pilule, le tabac et l’obésité, ce sont bien les deux derniers qui sont les plus dangereux et potentiellement meurtriers.
J’ai envie de rappeler quelques chiffres au passage : les femmes savent qu’une sur dix, vivant jusqu’à l’âge de 90 ans, sera touchée par un cancer du sein. Mais elles savent moins qu’environ 50% d’entre elles seront victimes d’accidents cardio-vasculaires. Le tabac, l’obésité et le diabète ou encore l’hypertension augmente considérablement ce risque, surtout si la même personne les cumule.
66M : Pourquoi les risques de mélanger pilule et tabac sont-ils si difficiles à évaluer ?
Dr Thierry : Par définition, la pilule est prescrite à des femmes jeunes, à un âge où n’apparaissent pas encore trop les problèmes de santé graves, notamment cardio-vasculaires. C’est surtout après la ménopause que l’on observera les ravages cardio-vasculaires causés par le tabagisme, car les femmes sont relativement protégées avant. N’oublions pas enfin de rappeler que le cancer du poumon chez la femme va bientôt dépasser le nombre de cancer du sein : fumer est vraiment dangereux et, contrairement au cancer du sein qui peut être diagnostiqué, traité mais non prévenu, il existe une prévention du cancer du poumon : l’arrêt du tabac !
66M : Dans le doute, pourquoi les gynécologues continuent-ils alors de prescrire la pilule aux femmes qui fument ?
Dr Thierry : Les gynécologues avec leur patient, mais avant eux les instances qui autorisent la mise sur le marché des médicaments sur la base des essais cliniques prennent en compte la balance « bénéfices/risques ».
Or dans le cas de la contraception orale, toutes générations de pilules confondues, cette balance est toujours favorable.
L’une des raisons qui l’explique est, comme nous en avons parlé, que la pilule est prescrite à des femmes jeunes qui sont relativement protégées. De fait, le nombre d’accidents reste faible.
Pour mieux expliquer cette balance bénéfices/risques, laissez-moi prendre l’exemple du risque de thromboses veineuses (phlébites), la complication la plus fréquente sous pilule. Il est environ de 2 à 4 cas par an sur 10 000 femmes qui ne prennent pas de contraceptif hormonal, il passe de 6 à 12 cas pour 10 000 femmes sous pilule mais il faut surtout savoir qu’il peut passer à 29 cas pour 10 000 femmes enceintes, et qu’il peut être encore plus élevé juste après l’accouchement si des mesures préventives sont insuffisantes (faire marcher et porter des bas de contention par exemple). Une femme qui vivrait une grossesse non désirée serait donc 3 à 10 fois plus exposée aux risques de phlébite. On comprend tout de suite pourquoi la balance bénéfices/risques est donc très favorable et pourquoi les gynécologues continuent de prescrire la pilule même aux femmes qui fument. Ce qui est vraiment dommage selon moi, c’est qu’il y ait une prise en charge très insuffisante pour aider les femmes à cesser de fumer et à faire de l’exercice. Cela pourrait s’amorcer notamment chez les gynécologues, car c’est vraiment le tabac l’un des principaux ennemis, avec l’obésité et la surconsommation d’alcool.
66M : Abordons le sujet de la différence entre les différentes générations de pilule, certaines sont-elles plus dangereuses pour les fumeuses ?
Dr Thierry : Certes, le risque « relatif » augmente puisque pour l’exemple de la thrombose, il double entre les pilules des deux premières générations et celles des deux dernières. Mais encore une fois, la balance bénéfices/risques est toujours favorable car le risque « absolu » reste très faible.
Nous avons discuté du risque de thrombose (phlébites) mais il faut savoir qu’elles sont traitées et heureusement rarement mortelles. Le risque de mortalité est estimé à 1% des phlébites, ce qui fait que le risque absolu, rapporté à une année dans la vie d’une femme, est comparable au risque de chute, de noyade ou encore de mort des suites de violences domestiques. Le danger est-il plus marqué pour les fumeuses ? Il l’est certainement, mais encore une fois, c’est le niveau de consommation et le nombre d’années de tabagisme qui va faire vraiment la différence, avec la présence d’autres facteurs de risques comme l’obésité ou la surconsommation d’alcool, avec d’ailleurs pour les plus jeunes le développement très inquiétant du « binge drinking ».
66M : Comment aider les femmes fumeuses, sous contraceptif, à évaluer le risque pour elle-même ?
Dr Thierry : Ceci est souvent une question d’appréciation personnelle en réalité.
On a, bien sûr, en tête le traitement médiatique de la pilule Diane 35, une pilule de 3ème génération accusée d’être la cause de plusieurs complications graves et de décès liés à des complications de thromboses veineuses. Sa balance bénéfices/risques reste pourtant favorable, mais le tout est de savoir si elle est acceptable dans sa généralité, et également au cas par cas. D’ailleurs la Diane 35 est toujours sur le marché européen après l’audit réalisé par l’Agence européenne du médicament à la demande de la France et qui a réaffirmé que le rapport bénéfice était favorable. En France, elle est recommandée pour traiter les problèmes d’acné (ce qui était son indication à l’origine) et non plus comme contraceptif.
Les statistiques restent des chiffres abstraits jusqu’à ce que nous soyons touchés personnellement ou un membre de la famille ou une amie ou collègue. Le risque a été jugé acceptable par les autorités sanitaires, mais l’est-il pour vous, par rapport à ce que vous en attendez ? Les femmes qui continuent à fumer connaissent bien le risque, même si elles le sous-évaluent par rapport à d’autres pathologies au risque comparativement surévalué comme le cancer du sein. Mais lorsqu’il s’agit d’une pilule, prescrite par un médecin, l’impact psychologique est très différent.
On peut faire remarquer également que l’on assiste à une sorte de perte de confiance dans l’industrie pharmaceutique après une succession de scandales sanitaires et d’affaires largement médiatisés. Les femmes sont d’ailleurs beaucoup revenues aux pilules de 1ère et 2ème générations, se méfiant de plus en plus des discours « marketing » et, sauf exception, les médecins n’ont pas de problèmes pour y « revenir » dans leur prescription. Et je pense que c’est une bonne chose que les patients deviennent vigilants. Certains éléments sont d’ailleurs difficiles à comprendre et peuvent alimenter la suspicion : les pilules de 4ème génération de la société Bayer sont autorisées sur le marché américain. Cependant, après une menace de procès en nom collectif engagé par celles qui s’estiment victimes d’effets secondaires, Bayer a choisi de négocier à l’amiable avec les plaignantes. La société a déjà déboursé 400 millions d’euros et provisionné au moins autant pour les futures « compensations » concernant quelques milliers de cas. Il faut également savoir que si Bayer choisit de débourser en moyenne 100 millions d’euros par an, cela ne représente que 10% du chiffre d’affaires générés annuellement par ces deux pilules sur le marché américain (Yaz et Yasmin).
Prendre la pilule présente des risques mais fumer, manquer d’exercice, trop boire ou encore l’obésité en présentent bien plus encore ; la question est : ces risques sont-ils acceptables pour vous ? Si vous pensez devoir à tout prix éviter ce que vous considérez comme un sur-risque inacceptable malgré les évidences scientifiques, c’est-à-dire comparé au risque naturel d’une grossesse que la pilule vous permettrait d’éviter, il reste la solution du stérilet. Le stérilet est privilégié désormais par de nombreux pays et nous avons un recul plus que suffisant pour savoir qu’il peut être posé même chez des jeunes femmes n’ayant pas encore eu d’enfants. Dans la plupart des pays, ils reviennent un peu moins chers que la pilule si on compte sur plusieurs années. Pour celles qui doivent absolument se rassurer et être rassurées, il présente encore moins de risques que les pilules contraceptives.
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