La voix d’un patient

Faire entendre la voix d’un patient : cette communication assume tous les aspects subjectifs et partiaux d’une telle parole. Je parle, à titre strictement personnel, sans aucun mandat, ni ambition, une parole libre.

Ma relation avec mes soignants

Je savoure la chance que m’offre cette conférence tant la voix du patient est inaudible. Il attend sagement dans la salle d’attente en lisant des revues insipides et hors d’âge. Si cette attente devient trop longue pour son endurance, le patient impatient hurle sa colère, déverse des injures et part, sous l’œil désabusé des personnels d’accueil (tranche de vie des Urgences dans un Hôpital de l’AP-HP).

Je dispose d’un grand privilège, la maîtrise de la parole et du dialogue en face à face. Le soignant ne m’imposera pas une dépendance par son expertise, même si le dialogue reste asymétrique entre le sachant et le patient. L’entretien devient rapidement échange, questions et réponses s’alternant entre nous.

Si je consulte, c’est à cause de symptômes ressentis et/ou de contrôles périodiques indispensables pour toutes les affections chroniques, dont je souffre à 80 ans bien révolus. Mon ressenti des symptômes produit un auto-diagnostic dont j’attends la confirmation ou l’infirmation par le professionnel. Concernant les traitements permanents, je les gère à partir des résultats d’analyse, autocontrôle qui certes doit être périodiquement évalué. J’ai conscience de l’impact de mon comportement sur celui du soignant qui doit s’adapter à un patient informé et « cérébré », comme le dit mon médecin traitant. Je revendique d’être acteur de ma propre santé et je choisis en conséquence mes médecins dont je respecte la compétence et la capacité d’écoute, pour que tout se déroule de manière harmonieuse.

Ma relation avec ma fin de vie

Je constate que mes capacités physiques et intellectuelles diminuent graduellement. Comment faire le deuil de mes renoncements progressifs, marcher 15 km au lieu de 20, prévoir un dénivelé de 500 m au lieu de 800, faire 9 trous de golf au lieu de 18, comment aussi faire le deuil de ne plus avoir d’ambition de pouvoir tout en maintenant le désir utopique de pouvoir influencer le cours des évènements.

J’appréhende la mort comme tout le monde. Je recherche comment la préparer et l’apprivoiser sans sombrer dans la déprime, ni fuir dans le déni, ni m’enfermer dans l’obsession.

Pour les quelques années qui me restent à vivre, j’appréhende l’entrée dans une zone grise où des protocoles de soins sophistiqués sont mis en place, où la vie se transforme en survie, où la camisole chimique masque l’angoisse. Une zone grise où tout désir disparait, même celui de lutter contre la déchéance. Une zone grise où le malade s’abandonne au système de santé qui n’a pas la capacité de préparer la mort et préfère la retarder.

Ma volonté demeure de maîtriser mon destin : je devrais donc anticiper autant que faire se peut. Je désire laisser une image claire, j’espère donc avoir conscience du moment où un point de non retour est arrivé. Ce sera parce qu’une maladie violente m’aura atteint sans pour autant provoquer la mort. Ce sera parce que mon élan vital et ma joie de vivre seront en train de s’éteindre. Je demande alors aux professionnels de santé de calmer mes douleurs avec compassion, de me laisser partir tranquillement si je ne souffre pas ou de m’aider à mourir si j’en exprime le souhait, une fin de vie accompagnée par tous ceux que j’aime.

La relation de confiance avec mes soignants constitue un appui précieux. Mes médecins disposent de mes directives anticipées et savent que j’ai signé un mandat de protection future, actes destinés à maîtriser la qualité d’une fin de vie tous le jours plus proche. Un contrat implicite se construit ainsi pour les ultimes soins, si besoin est.

« Le sage ne cherche pas à esquiver la vie, ni ne craint sa fin,
car la vie ne l’offense pas et l’absence de vie ne lui semble pas un mal.
 »
Épicure, Lettre à Ménécée

Daniel CARRÉ

Cette communication a été retenue dans le cadre de la Conférence internationale sur l’éthique clinique (ICCEC 2014) sur le thème de la voix du patient, organisée par le centre de Cochin et le Dr Véronique Fournier qui ont rassemblé 500 personnes venues de très nombreux pays. LA conférence s’est déroulée sur deux journées du 24 au 26 avril dernier, à l’Université Paris Descartes.

Daniel Carré est vice-président du CISS, en charge du secteur Santé et Vieillissement, délégué national de l’ADMD, membre de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie(CRSA) d’Ile-de-France.

 

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