Parcours de soins coordonnés… à l’avantage des médecins, mais sans grand intérêt pour leurs patients, les usagers

Parcours de soins coordonnés… à l’avantage des médecins,

mais sans grand intérêt pour leurs patients, les usagers


 

Rappelons que le parcours de soins coordonnés est né avec la loi Douste-Blazy du 13 août 2004 et est entré en application le 1er juillet 2005, dans un objectif de rationalisation des soins. Il impose à chaque assuré social de plus de 16 ans de désigner un médecin traitant de son choix avant de consulter un autre spécialiste, pour bénéficier d’un remboursement à taux plein (sauf en cas d’urgence, et pour les consultations en ophtalmologie, gynécologie, odontologie, psychiatrie pour les moins de 26 ans) ou chez les spécialistes pour lesquels l’assuré dispose d’une dispense permanente d’autorisation notamment en cas d’affection de longue durée. Depuis le 31 janvier 2009, si le patient ne respecte pas le parcours de soins coordonnés, le montant de ses remboursements est amputé de 40 %.

 

La coordination des soins portait de grands espoirs pour une offre de soins réformée, efficiente et articulée autour de l’usager et de ses besoins de santé. Ainsi, depuis 2004, les pouvoirs publics, dans un objectif d’optimisation de la dépense publique par une meilleure organisation du système de santé, réaffirment la nécessité d’investir dans la coordination des soins et ses dérivés que sont  l’amélioration des processus et des parcours de santé notamment.

 

Cette notion de coordination présente plusieurs avantages :

 

  • Elle rassemble tous les experts en santé qui, unanimement, déplorent l’« isolationnisme » des offreurs de soins répartis en une mosaïque qui se complexifie à mesure que le système de santé s’enrichit, soit par la diversification des professionnels intervenant dans la prise en charge des usagers du système, soit par la reconnaissance de nouvelles structures.
    Les exhortations aux « décloisonnements » sont nombreuses et sont le fait d’acteurs reconnus pour leur objectivité indépendante de toute approche partisane. Cet objectif peut ainsi se transmettre de gouvernement en gouvernement comme l’héritage d’une réflexion commune, bien utile pour couper le feu en cas de grogne de certains corps constitués.
  • Le deuxième avantage que présente la coordination des soins en tant que concept, c’est qu’en invoquant ses dysfonctionnements, on désigne un mal invisible et, de cette façon, personne ne se sent particulièrement visé, ni des établissements de santé, ni des médecins. Insister sur les problèmes d’organisation, c’est éviter habilement de pointer les carences de certains offreurs de soins dont chacun connaît pourtant la tendance au repli et à l’auto-centrisme.
  • Enfin, dernier avantage, c’est une notion fortement qualitative, d’inspiration extra-économique. Ainsi, en promouvant ses déclinaisons pratiques, les pouvoirs publics peuvent donner l’impression d’agir dans une logique bienveillante, dont le mobile comptable est secondaire.

On gagne ou on économise de l’argent, tant mieux ; on en perd, tant pis. La fin justifie les moyens dans bien des circonstances dans le domaine de la santé.

 

Pour autant, la coordination des soins reste effectivement une clé capitale pour améliorer significativement la qualité de la prise en charge des usagers. Plusieurs années de cris de ralliement — d’autant plus faciles à pousser que cette notion est consensuelle et non agressive — n’ont pas corrigé beaucoup de pratiques et, dans cette affaire, il convient maintenant de sortir du slogan et d’oser désigner les causes de l’échec.

 

C’est ce que commence à entreprendre la Cour des comptes avec son dernier rapport annuel, dans lequel elle adresse une note sévère aux « parcours de soins coordonnés » :

« Les suppléments de rémunération médicale directement induits par le parcours de soins coordonnés s’élèvent ainsi au total à près de 600 millions d’euros par an, dont 285 millions d’euros au bénéfice des médecins traitants et 310 millions d’euros au bénéfice des médecins correspondants (qui sont des spécialistes).


Les médecins traitants étant à 95 % des généralistes, on peut estimer qu’au total l’effort financier annuel de l’assurance maladie se répartit entre 324 millions d’euros (soit 54,5 %) pour les spécialistes et 271 millions d’euros (soit 45,5 % pour les généralistes) ».


« La part assumée par les ménages, directement ou indirectement, soit 305 millions d’euros, apparaît ainsi légèrement supérieure à celle qui incombe à l’assurance maladie obligatoire, soit 290 millions d’euros. La mise en œuvre conventionnelle du parcours de soins coordonnés a contribué à la hausse non négligeable du reste à charge des assurés, qui est passé de 8,8 % à 9,6 % du coût des soins entre 2004 et 2011. »

 

En lieu et place de « coordination » — la Cour relève l‘« incapacité du parcours de soins coordonnés à installer effectivement et à généraliser une approche décloisonnée et transversale de la trajectoire des patients dans le système de santé » —, le parcours de soins au sens « Assurance maladie » s’est donc traduit par de nouvelles rémunérations complémentaires pour de nombreux médecins, au détriment  de leurs patients qui paient « la douloureuse » depuis plusieurs années.

 

En ce sens, le rapport de la Cour des comptes est instructif car les médecins, principaux gagnants du dispositif mis en place avec la réforme de 2004, se gardent bien de citer ces chiffres quand leurs représentants revendiquent des compléments de rémunération qu’ils estiment mériter « depuis le temps que leurs actes n’ont pas été revalorisés »…

 

Quant au Dossier Médical Personnel, accessoire incontournable de la coordination des soins, la Cour des  Comptes en fait un triste constat :

« Les retards de déploiement du DMP (seuls 260 000 dossiers étaient ouverts fin 2012) ont été particulièrement préjudiciables au médecin traitant et à l’organisation du parcours de soins coordonnés.

Faute de DMP, les médecins traitants ont dû, pour la plupart, se doter de logiciels permettant la création et la gestion des dossiers dématérialisés de leurs patients.

Au demeurant, la relance récente du DMP s’effectue principalement auprès des établissements de santé car le réseau de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés n’est pas véritablement mobilisé sur ce sujet […]. »

 

Le DMP est  :

« considéré par les professionnels comme peu utilisable en raison, d’une part, de l’accumulation d’informations ni synthétisées ni hiérarchisées qui le caractérise et, d’autre part, de la possibilité ouverte au patient de s’opposer à l’incorporation de certaines données (droit au masquage). »

 

Voilà donc établi le bilan désastreux d’une politique de coordination qui, loin d’améliorer l’organisation des soins autour de l’usager, accorde tous les ans des avantages financiers conséquents aux médecins libéraux sans parvenir à les impliquer, pour ce qu’il est, dans le DMP… l’outil élémentaire de cette dynamique de coordination.

 

L’année 2013 sera consacrée à l’élaboration d’une stratégie nationale de santé qui envisage de placer la notion de « parcours de soins » au premier rang des priorités. Espérons que ce sera l’occasion pour les pouvoirs publics  de mener une réflexion nouvelle sur les conditions de réussite de la coordination entre les acteurs, condition nécessaire mais certainement pas suffisante de la réussite des parcours de soins.




Consulter le rapport public annuel 2013 de la Cour des comptes


> En savoir plus sur le parcours de soins :

Parcours de soins, fiche CISS Pratique n° 13, 2011.

http://vosdroits.service-public.fr/F10870.xhtml

« Le parcours de soins coordonnés », présenté sur Ameli.fr



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