Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) 2021 : votée par le parlement le 29 novembre. Analyse et vigilances.

Mis à jour le 06/01/2022

Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs  dispositions considérées comme des « cavaliers sociaux » (c’est-à-dire considéré comme sans rapport avec le projet de loi de financement). Ces mesures sont donc censurées sur la forme mais non sur le fond (éventuelle inconstitutionnalité).

Concernant la prévention

Nous saluons la généralisation des programmes de prévention de l’obésité pour les enfants, ainsi que la gratuité du dépistage VIH en laboratoire de ville et l’élargissement de la prise en charge intégrale de la contraception jusqu’à 25 ans. Nous rappelons néanmoins que les pilules de 3ème et 4ème générations ne sont toujours pas prises en charge.

Le texte introduit également une avancée majeure en instaurant la prise en charge de séances de psychologues, sélectionnés par l’Agence Régionale de Santé (ARS) et qui feront l’objet d’une convention avec l’Assurance Maladie. Si les modalités précises seront fixées par décret, le texte prévoit néanmoins que ce suivi s’inscrive dans le cadre d’un parcours de soins coordonné, après adressage par le médecin traitant ou à défaut par un médecin impliqué dans la prise en charge du patient. Nous regrettons le rejet de notre proposition d’amendement qui visait à permettre dans les zones sous-dotées en offre de soins, un accès direct au psychologue agréé par l’ARS, afin qu’il effectue un bilan permettant de valider ou non les conditions de prise en charge par l’Assurance maladie. Si nous soutenons la démarche de parcours de soins coordonné, dans la mesure où elle permet une meilleure coordination des soins, l’hétérogénéité de l’offre de soins selon les territoires induit une double peine pour les personnes qui ne pourront pas avoir accès à des séances de psychologues prises en charge faute de médecin disponible.

Concernant l’accès à la complémentaire santé solidaire

Le PLFSS pour 2022 introduit enfin l’ouverture automatique pour les bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA), et facilite l’accès aux bénéficiaires de l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées (ASPA), mais laisse encore de côté les bénéficiaires de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) et de l’Allocation Supplémentaire d’Invalidité (ASI), alors même que le rapport charges et produits de l’Assurance maladie pour 2020 avait mis en lumière leur grande difficulté d’accès aux soins et le non recours élevé à la complémentaire Santé. Les réponses du gouvernement concernant la difficulté technique d’examen automatique pour ces bénéficiaires qui nous sont opposées chaque année ne nous satisfont pas et nous réclamons en urgence la mise en œuvre des solutions techniques pour permettre de lutter contre le non-recours de ces publics pouvant avoir des besoins de santé importants.

Concernant les réformes tarifaires hospitalières

Le texte adapte le calendrier des réformes tarifaires, et notamment la réforme du ticket modérateur avec la mise en œuvre des Tarifs Nationaux Journaliers de Prestation qui permettra d’homogénéiser les tarifications pratiquées sur lesquelles sont calculées les tickets modérateurs à la charge des patients. Cette réforme si elle a le mérite d’harmoniser les tarifs, fait totalement l’impasse sur la problématique des restes à charge hospitaliers, alors qu’une récente étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) met en lumière que 9 % des patients ayant eu au moins un séjour hospitalier, soit près de 700 000 patients, restent exposés à des restes à charge hospitaliers après assurance maladie obligatoire de plus de 1 000 euros annuels. Le projet de loi introduit une prolongation des coefficients de transition qui permettront aux établissements dont les tarifs pratiqués dépassent le tarif national fixé, de ne pas s’aligner immédiatement afin de ne pas déstabiliser leurs recettes : si nous soutenons les établissements et les personnels en difficulté, nous n’acceptons pas que la variable d’ajustement soit le porte-monnaie des patients, sachant que les données indiquent des variations de prix pour des établissements de même catégorie allant de 1 à 13. Cette prolongation de la période de transition si elle est favorable aux établissements qui appliquent les tarifs les plus élevés, est en revanche défavorable aux patients qui devront s’acquitter d’un ticket modérateur toujours élevé.

Concernant la mise en œuvre du Forfait Patient Urgences (FPU) en 2022, si nous nous réjouissons de l’intégration, demandée l’année dernière par France Assos Santé pour le PLFSS 2021, des titulaires de pensions d’invalidité civiles et militaires, ainsi que de rentes accident du travail et maladies professionnelles dans les situations d’exonérations, nous dénonçons l’exclusion des personnes en Affection de Longue Durée (ALD) qui aujourd’hui bénéficient de l’exonération du ticket modérateur lorsque les actes et les soins sont liés à leur maladie chronique, mais qui ne seront pas exonérées du FPU même dans le cadre de leur ALD. Cette facturation remet en cause le principe même de l’ALD.

Concernant les indemnités journalières (IJ) 

Des dispositions viennent améliorer le régime des IJ pour les indépendants et le secteur agricole, afin d’harmoniser les protections et de prendre en compte les difficultés spécifiques liées à la crise sanitaire. Aucune disposition en revanche concernant le régime des IJ ALD, alors que nous dénonçons depuis des années la rigidité de ce système, et que la crise est venue encore aggraver les difficultés, car même si des mesures dérogatoires ont été mises en œuvre, elles n’ont pas permis de couvrir l’ensemble des malades chroniques, qui pour un certain nombre, ont été arrêtés par leur médecin dans le cadre d’arrêt classiques avec un épuisement prématuré de leurs droits.

Recherche clinique : vigilances

Le texte entérine une réforme majeure du dispositif de surveillance des recherches impliquant la personne humaine en substituant des comités d’éthiques locaux pour certaines catégories de recherche non interventionnelles désormais qualifiées de « recherche ne comportant aucun risque ni contraintes dans lesquels tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle ».

Ces dispositions ont été invalidées par le conseil constitutionnel ; nous avons rappelé nos vigilances aux autorités dans la perspective d’éventuels nouveaux textes législatifs.

  • Nous considérons que certaines recherches très spécifiques correspondant à à la définition de « recherches non interventionnelles » peuvent néanmoins faire l’objet de certains risques pour les personnes (en psychiatrie par exemple) ou plus généralement concernant la collecte des données.
  • Nous appelons à une extrême vigilance quant aux potentiels conflits d’intérêt entre les services des hôpitaux et les comités d’éthique locaux qui se trouvent en leur sein ; ces comités étant amené à instruire –pour cette catégorie de recherche- les projets de leur hôpital sans procédure de tirage au sort.
  • Ces nouvelles modalités doivent s’accompagner de textes encadrant les missions et le fonctionnement des comités d’éthiques locaux dans les hôpitaux et introduire officiellement une représentation des usagers.
  • Nous demandons à être associés à l’ensemble des textes d’application

Le texte prévoyait également de faciliter les essais cliniques en ambulatoire, en permettant la réalisation de prélèvement aux domiciles du patient sans autorisation spécifique.

  • Nous appelons à toute vigilance pour assurer une complète information et un consentement éclairé des participants à ces recherches.

Lutte contre les pénuries de médicaments 

Le texte prévoyait le renforcement des sanctions contre les grossistes répartiteurs qui ne remplissent pas leurs obligations de service public en assurant l’approvisionnement continu du marché national de manière à couvrir les besoins des patients sur leur territoire de répartition.

Ces dispositions ont été invalidées par le conseil constitutionnel ; nous le regrettons car ces pratiques continuent à engendrer d’importantes conséquences pour les personnes malades, pour la santé publique mais aussi d’ordre économique (temps de gestion des différents acteurs pour gérer ces pénuries notamment).

Depuis plusieurs années les associations dénoncent les activités d’exports de certains grossistes qui profitent de différentiels de prix entre les pays de l’UE, au détriment des personnes malades. La loi mérite cependant d’être appliquée (2446 médicaments à intérêt thérapeutique majeurs en rupture d’approvisionnement en 2020…2 sanctions !)

Nous déplorons le rejet de notre amendement visant à instituer 4 mois de stocks pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur, et ce malgré l’importante mobilisation de parlementaires (que nous remercions). Pour rappel la LFSS 2020 a consacré l’obligation pour les industriels de constituer pour chaque médicament un stock de sécurité de 4 mois de couverture des besoins destiné au marché national, le décret d’application de mars 2021 a revu à la baisse le dispositif   « au moins » 2 mois de stock pour  ces médicaments.

En 2018, une mission sénatoriale mentionnait une durée moyenne des pénuries de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur de 14 semaines.

Le texte renforce la prise en compte de l’empreinte industrielle  dans la fixation du prix des médicaments dans un objectif de limiter les risques de rupture d’approvisionnement.

Afin d’assurer le bon usage de l’argent public, la prise en compte des coûts supplémentaires découlant  d’une production locale doit être ciblée pour  prendre justement en compte les surcoûts occasionnés.  Ces aides doivent s’accompagner de conditionnalités de disponibilité et de stabilité des prix.

Lutte contre les pénuries de dispositif médicaux : un dangereux retard

Les parlementaires ont approuvé un premier cadre de gestion des situations de rupture d’approvisionnement des dispositifs médicaux.

Ces dispositions ont été invalidées par le conseil constitutionnel, le retard pris dans la lutte contre les pénuries de médicaments est particulièrement inquiétant, nous demandons que ces dispositions soient introduites le plus rapidement possible dans un nouveau texte législatif.

A ce jour il n’existe en effet aucune disposition permettant l’information des autorités sanitaires par les opérateurs économiques en amont de toute situation qui pourrait conduire à la rupture de stock de certains dispositifs médicaux et dispositifs médicaux in vitro. Le texte devait introduire la mise en place de mesures d’anticipation par les industriels et préciser les modalités de fixation des critères permettant de qualifier un dispositif médical d’indispensable.

  • Un dispositif médical est qualifié d’indispensable (par les industriels ou à défaut l’ANSM) selon des critères définis par voie réglementaire ; France Assos Santé et les associations concernées demandent à être consultées sur les textes à venir.

Production de médicament à l’hôpital : à suivre

Le texte élargit le champ des préparations magistrales et hospitalières aux médicaments préparés « lorsqu’il n’existe pas de spécialité pharmaceutique adaptée ou disponible, y compris du fait de l’absence de commercialisation effective ».

Cette mesure structure et élargit –sur la base de l’expérience née du COVID-la production de certains médicaments à l’hôpital. Elle permettrait de répondre à des situations d’urgence pour des médicaments non disponibles mais ne peut en l’état remplir un objectif de prévention des pénuries.

  • Nous considérons nécessaire de poursuivre les réflexions pour mettre en place une production publique ou à but non lucratif (sur le modèle de Civica aux Etats-Unis) de médicaments jugés insuffisamment rentable par les industriels.

Accès rapide aux médicaments innovants : à consolider

La LFSS 2022 propose la mise en place d’une expérimentation en complément de l’accès précoce, dit dispositif d’accès direct. Cette expérimentation permettra à certains médicaments de bénéficier, dans une indication donnée, d’une prise en charge dès la publication de l’avis de la HAS et pour une durée d’un et d’assurer une jonction avec le droit commun en cas de durée de négociation exceptionnellement allongée.

  • La mesure d’accès direct proposée dans le cadre du PLFSS présente l’intérêt majeur de faciliter l’accès à des médicaments dont l’analyse bénéfice-risque a déjà été évaluée (ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché) sans déroger au droit commun (en aval de l’évaluation de la HAS)
  • Les autorités ont mis en place un système de remise dans un objectif de maitrise des dépenses
  • Un décret en conseil d’Etat doit préciser l’application de cet article, nous demandons que ces dispositions ne soient pas limitées à certains établissement de santé comme le suggère le texte de loi.

Substitution par des médicaments biosimilaires en pharmacie d’officine : vigilance

L’arrivée progressive des médicaments biosimilaires constitue potentiellement d’importantes économies pour notre système de santé, les enjeux sont importants. Les médicaments biosimilaires ne sont pas identiques mais équivalents aux médicaments biologiques de référence, les changements de traitements ne sont pas sans conséquences pour les personnes malades

  • Les futurs travaux sous l’égide de l’ANSM visant à définir les médicaments biologiques doivent se dérouler par étape, en concertation avec les associations de personnes malades, dans un climat de confiance.

Utilisation effective des dispositifs de télésurveillance et remboursement : un dangereux précédent

L’entrée dans le droit commun du programme ETAPES est en soit un élément positif (Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours en santé).  Nous regrettons une disposition spécifique de cet article potentiellement lourde de précédent qui introduit dans la loi une disposition envisagée en 2014 « observance contre remboursement » dans le traitement de l’apnée du sommeil et rejetée en conseil d’Etat.  L’adhésion des traitements par les patients est un défi de santé publique avant d’être un défi économique. Des économies, nous devons en faire, mais nous devons collectivement réfléchir à la sur-prescription, au mésusage et aux raisons de la non-observance plutôt que de faire courir des risques avant tout aux patients les plus vulnérables. Le numérique doit favoriser l’autonomie et la responsabilité du patient et non instaurer le contrôle des populations.

Accès direct au PS paramédicaux

Concernant l’accès direct aux professions paramédicales : c’est une bonne mesure, qui compte tenu des pratiques de soins dans les territoires aurait pu être généralisée bien plus tôt. Nous avons toute confiance dans les professions paramédicales historiques dont l’expertise n’est plus à prouver.  Concernant les nouvelles professions, comme les Infirmier.e.s en Pratique Avancée (IPA), peu identifiées par les usagers, et surtout dont l’implantation dans le système de santé français n’est pas effective , celles-ci méritent une évaluation plus approfondie tant en termes de qualité/sécurité des soins que d’expérience patient.

Le Conseil constitutionnel a enfin censuré le renforcement de l’information des patients et professionnels en cas d’alerte sur un produit de santé sous l’égide de la Cnam

France Assos Santé alerte sans relâche sur l’absence d’outil centralisé permettant d’informer les personnes concernées par une alerte de sécurité liée à  un médicament ou à dispositif médical.

Cet outil est d’autant plus important que les effets indésirables des médicaments et de certains dispositifs médicaux sont parfois connus plusieurs années après leur commercialisation, les risques perdurent et les personnes ne sont parfois plus suivies par leur prescripteur initial.

2 commentaires

  • carvalho dit :

    Bonjour
    Les articles sont très intéressants mais pourriez vous noter les noms entiers plutôt que des sigles.
    Exemple : IPA qui veut dire ?
    Même si les personnes lisant vos articles ont une certaine connaissance en Démocratie en santé ne savent pas tout.
    Merci d’avance
    Anabela

    • Admin France Assos Santé dit :

      Bonjour, et merci pour votre commentaire.
      Vous avez entièrement raison, et nous nous efforçons de limiter les sigles ou du moins de les expliquer pour justement faire en sorte que nos articles soient accessibles à tous.
      Nous ajoutons la signification de IPA dans l’article, qui veut dire « Infirmier.e en Pratique Avancée »
      Très bonne journée
      L’équipe France Assos Santé

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