La France compte 9 millions de personnes ayant un usage excessif de l’alcool, ce qui place l’Hexagone à la troisième place des pays les plus grands consommateurs d’alcool de l’OCDE. Comme la Cour des comptes avant lui, l’Inserm appelle, dans son expertise collective parue en 2021, à une prise de conscience collective. Substance psychoactive licite, l’alcool est responsable près de 450 000 morts en dix ans. France Assos Santé appelle à instaurer un prix minimum à l’unité sur cette boisson. Pourquoi cette mesure et avec quels résultats escomptés ? Eléments de réponse.
« Instaurer une taxe santé sur les produits nocifs pour la santé afin de permettre de réduire leur consommation. » C’est en ces termes qu’est formulée la demande de France Assos Santé dans son document « 20 propositions pour améliorer la participation des usagers au système de santé », concernant notamment l’alcool. Quels dispositifs mettre en place ?
Un empilement de données concordantes
Au printemps 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié une expertise collective, intitulée Réduction des dommages liés à la consommation d’alcool. Un titre-programme qui sonne comme un signal d’alarme. On y lit notamment que l’alcool est potentiellement dangereux dès le premier verre. En clair, il n’existerait pas de consommation sans risque. Les experts pointent également le fait, mal connu, que l’alcool est la première cause d’hospitalisation en France. Quant à son coût social, il est estimé à 118 milliards d’euros. « L’alcool est responsable de 41 000 morts par an, il est impliqué dans 30 % des condamnations pour violences, en particulier intra-familiales, et il est, complète Laurent Muraro, coordinateur général de la Fédération Entraid’Addict, la première cause de mortalité chez les jeunes Européens entre 18 et 25 ans ». Sans oublier que les consommations durant cette période de la vie peuvent ouvrir la voie à une addiction future, comme l’a souligné le Pr Mickael Naassila, directeur de recherche du groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances à l’Inserm, et coauteur de l’expertise collective, à l’occasion de sa présentation à la presse : « S’adonner au binge drinking (une alcoolisation importante en un laps de temps court) entre 19 et 25 ans multiplie par trois le risque de devenir alcoolodépendant ». Bref, les chiffres sont accablants. Rappelons que les dernières recommandations de Santé publique France ont été revues à la baisse pour les adultes : pas plus de 10 verres standard par semaine, et pas plus de deux verres par jour, avec des jours sans alcool.
Certes, le tabagisme tue chaque année environ 75 000 personnes. Et la France compte encore 13 millions de fumeurs. Mais les hausses successives des prix, l’adoption du paquet neutre et le remboursement des substituts nicotiniques ont permis d’amorcer une baisse de la consommation de tabac, notamment chez les jeunes, qui ne se dément pas depuis 2016. Or force est de noter que rien de comparable n’a été entrepris vis-à-vis de l’alcool pour le rendre moins attractif et même, tout bonnement, faire respecter la loi. L’interdiction de vente aux mineurs n’est, par exemple, pas toujours appliquée avec la rigueur attendue. De nombreuses institutions demandent le durcissement du cadre réglementaire et des augmentations de prix, que ce soit l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE), l’Institut national de recherche du cancer (INCA) ou encore l’Inserm. « Aujourd’hui, il y a clairement une unanimité sur le fait que l’alcool est toxique et qu’il faut prendre des mesures pour réduire ses dommages », constate Laurent Muraro.
Efficience démontrée du prix minimum par unité
C’est dans ce sillage que s’inscrit la demande de France Assos Santé en faveur d’une taxe santé sur tous les alcools, en appliquant un prix minimum par unité d’alcool. « Dans son rapport Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales, publié en 2014, le Sénat relève l’incohérence de la fiscalité française en ce qui concerne l’alcool, rappelle Laurent Muraro. Si 71 % du chiffre d’affaires provient des ventes de vin, elles ne comptent que pour 3,6 % dans les recettes fiscales, alors que les spiritueux qui représentent 15 % du chiffre d’affaires des ventes d’alcool contribuent pour 81 % aux recettes fiscales. » Le décalage est saisissant – et éloquent – et la marge de manœuvre importante, suffisante en tout cas pour promouvoir le prix minimum par unité d’alcool. L’objectif vise à réduire la consommation des Français en général, et en particulier des consommateurs excessifs et des jeunes qui se reportent massivement sur les alcools bon marché, soit au total quelque 15 millions de personnes. Car l’efficacité du prix minimum à l’unité est avérée. L’impact de cette mesure est invariablement positif partout où elle a été mise en place. « C’est mathématique, déclare le Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé, l’augmentation du prix entraîne une réduction de la consommation. »
Au Canada, l’application de ce dispositif, en 2009, a eu pour effet de diminuer de 9 % les admissions en urgence, dès la première année. Même constat en Australie, où cette mesure, mise en place dans les territoires du nord, davantage marquée par des consommations d’alcool élevées, a entraîné, en seulement six mois, une réduction de moitié des admissions en réanimation pour les maladies aigües et des accidents dus à l’alcool. « La Russie a réussi à réguler sa consommation d’alcool, remarque le Dr Thierry, ce qui lui vaut une 7e place au classement de l’OCDE sur les consommations d’alcool dans les 55 pays membres, derrière la France, dans le trio de tête. » En Europe, trois pays ont adopté le prix minimum par unité, dit « PUM » en anglais : l’Ecosse en 2018, le Pays de Galles en 2020 et l’Irlande depuis le 4 janvier dernier. « En Ecosse, l’augmentation de 7,6 % des prix s’est accompagnée d’une baisse de 7,7 % des achats d’alcool pur, rapporte Laurent Muraro. Au Pays de Galles, où les prix ont connu une hausse de 8,2 %, l’impact a été le plus fort dans les catégories de la population qui consommaient le plus d’alcool. En outre, les dépenses d’alcool hebdomadaires par ménage n’ont pas augmenté, ce qui revient à dire que les consommations ont baissé. » Dans ce contexte, même le pack de bière, autrefois avantageux, finit par peser sur le budget.
De la nécessité d’une approche globale
Aussi efficace soit-il, le prix minimum à l’unité doit toutefois s’inscrire dans une démarche globale, défend Laurent Muraro, se référant au plan d’action mondial contre l’alcool 2022-2030 de l’OMS, engagée dans cette stratégie depuis 2010. Lequel s’articule autour de cinq axes qui vont de l’augmentation des prix et de la limitation de la promotion publicitaire et des points de vente jusqu’à la répression des abus liés aux consommations excessives en passant par le dépistage précoce et l’accompagnement des personnes à risque. De même, insiste Laurent Muraro, « il faut une harmonisation au niveau de l’Union européenne (UE), pour des raisons sanitaires, bien sûr, mais aussi pour éviter des achats aux frontières, comme cela se produit avec les cigarettes ». Dans sa lettre ouverte adressée le 2 février dernier au Président Macron, Président du Conseil européen jusqu’en juin prochain, appelant à « la mobilisation en faveur d’un plan de santé publique européen ambitieux », France Assos Santé écrit que « les dommages liés à l’alcool constituent un problème majeur de santé publique dans l’UE ».
Une chose est sûre, constate le Dr Jean-Pierre Thierry, « rares sont les interventions de santé publique qui peuvent se prévaloir d’un effet aussi important et rapide que celui induit par le prix minimum à l’unité ». L’Ecosse a dû mener, durant six ans, une bataille acharnée contre le lobby des producteurs de whisky, qui ont multiplié les recours, jusqu’à saisir la Cour européenne de justice. En vain. « Ce qui s’est passé avec l’industrie du tabac montre qu’une autre voie est possible », conclut Laurent Muraro.
Laisser un commentaire public