Tout n’est pas si bon (ni rose) dans le cochon

Près de deux milliards d’euros par an ! C’est ce que coûtent les pathologies liées à la surconsommation de charcuterie à la Sécurité sociale, selon un rapport rendu public ce lundi 6 octobre par la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH). Sans compter le coût environnemental de la filière. La Ligue contre le cancer appelle à nouveau à une interdiction des nitrites.  

Jambons, saucissons et saucisses en tous genres… les Français en sont très (trop !) friands. Les ventes sont au beau fixe d’année en année, avec un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros pour les produits porcins, l’un des plus élevés de la grande distribution. Et les exploitations agricoles porcines génèrent des revenus deux fois plus élevés, en moyenne, que l’ensemble des exploitations agricoles, selon le rapport Filière porcine : un modèle qui nous coûte cher, publié ce jour par la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH).

Mais l’addition est salée pour la santé et l’environnement. Surconsommée par 63% des Français, la charcuterie constitue un lourd facteur de risque pour de nombreuses pathologies, en premier lieu le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer colorectal. Certes, ce n’est pas une surprise. L’alerte avait déjà été lancée par l’OMS en 2015, suite à la parution d’une étude sans équivoque dans The Lancet oncology. Et depuis, d’autres études se sont succédées, notamment celle de l’Inserm en 2023 pointant le lien entre exposition aux nitrites et surrisque de diabète de type 2.

Diabète, cancer… trop d’années en bonne santé perdues 

Là où ce rapport va plus loin, c’est qu’il évalue précisément le coût de cette sur-consommation pour la santé publique, selon une méthodologie basée sur le Global Burden of Disease (GBD) et le nombre d’années de vie en bonne santé perdues (indicateur DALY). « Une alimentation trop riche en charcuterie contribue à la survenue de 7 pathologies identifiées par le GBD : le diabète de type 2 (avec 19,3% d’années en bonne santé perdues), le cancer du côlon et du rectum (10,6%), l’insuffisance rénale chronique (4%), la maladie artérielle périphérique (4,6%), la cardiopathie ischémique (3,6%) et l’accident vasculaire cérébral (1,3%) », souligne ainsi le rapport.

Le cas du diabète est le plus frappant puisque près d’un décès sur cinq s’expliquerait par la surconsommation de charcuterie ! Les rapporteurs ont calculé que les traitements et soins du diabète représentent 1,3 milliards d’euros, soit 71 % du total des dépenses de santé liées à ces excès.

« De plus en plus d’études établissent un lien solide entre consommation élevée de viande rouge et/ou de charcuterie, mais aussi globalement de tous les aliments ultra-transformés, et diabète de type 2, confirme Bastien Roux, directeur général de la Fédération française des diabétiques (FFD). Nous alertons régulièrement sur ce risque. Pour marteler ce message, il est essentiel d’avoir des rapports de plus en plus précis et détaillés. Celui-ci est génial car il donne une vision à 360° sur tous les impacts de la filière ! ».

Le cancer est la deuxième pathologie listée et la Ligue contre le cancer salue aussi ce travail documenté. « Comme pour avancer dans notre lutte contre le tabac et l’alcool, il faut des chiffres. On ne peut pas laisser les industriels et les pollueurs continuer à externaliser les conséquences de leurs mauvaises pratiques sur la santé des Français ! Ce coût est beaucoup trop élevé et nous le payons trois fois : avec nos cotisations, nos impôts et au moment de l’achat puisque les nitrites gonflent artificiellement le poids du jambon », dénonce Emmanuel Ricard, délégué au service Prévention à la Ligue contre le cancer.

Sans nitrites, c’est mieux, mais beaucoup plus cher !

Les nitrites, ces additifs utilisés pour empêcher certaines bactéries de proliférer, sont au cœur du problème. « Une consommation élevée de nitrite de sodium (E250) est associée à un risque accru de développer un diabète, jusqu’à 53% en plus chez les forts consommateurs de charcuterie. Par ailleurs, l’ANSES a confirmé l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites », rappelle le rapport.
De nombreuses associations, parmi lesquelles la Ligue contre le cancer, Foodwatch et Yuka montent régulièrement au créneau pour demander leur interdiction, depuis fin 2019. Grâce à d’intenses mobilisations, l’Assemblée nationale adoptait la Loi nitrites en février 2022 et le gouvernement annonçait un plan de réduction. « Nous avons bataillé pendant des années pour l’interdiction des nitrites. Ce qui a été adopté en 2022 est une simple réduction et un plan d’action frileux, mais c’est mieux que rien. Nous avons constaté depuis l’arrivée de produits sans nitrites dans les rayons », rappelle Emmanuel Ricard. Problème : ces jambons sans nitrites sont en moyenne 15 à 50% plus chers que les autres, souligne le rapport de la FNH, après relevé de prix. Avant de rappeler que le fait d’enlever des nitrites ne règle pas l’ensemble du problème car la charcuterie reste trop grasse, salée et transformée.

Ces dégâts sur la santé affectent toutes les classes sociales, mais les moins favorisées sont les plus concernées. « La viande porcine, reprend Emmanuel Ricard, étant une source de protéines animales relativement peu chère, les familles les plus modestes consomment deux fois plus de charcuterie en libre-service (500g par semaine) que les familles aisées (230g par semaine), ce qui constitue dans les deux cas un dépassement de la recommandation maximale du PNNS (150g) ». Ce que confirme Bastien Roux pour la FFD : « Pour le diabète de type 2, qui touche près de 4 millions de Français, il y a une forte composante sociale, avec une superposition des cartes entre les populations en situation de précarité, celles avec de forts taux de surpoids-obésité et la forte prévalence du diabète de type 2 ». Evidemment, ce ne sont pas ces familles défavorisées qui vont pouvoir s’offrir des charcuteries sans nitrites… Une inégalité scandaleuse pour la Ligue contre le cancer. « Il y a d’un côté des produits sains pour les personnes aisées et, de l’autre, des produits à cancer pour les personnes défavorisées », dénonce Emmanuel Ricard.

Quelles propositions ?

Le plan d’action en fin de rapport liste des propositions déjà connues, mais non suivies par les pouvoirs publics pour le moment. La Ligue contre le cancer et la Fédération Française des diabétiques espèrent qu’elles seront rapidement adoptées et non pas repoussées, comme encore récemment la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC)…

Parmi ces propositions :

  • la réduction de moitié de la consommation de porc, conformément aux trajectoires de transition agroécologique, et la suppression des nitrites ;
  • la montée en gamme des produits, notamment le développement du Bio ;
  • l’incitation des consommateurs prêts à payer plus pour une meilleure qualité à se tourner vers des produits agroécologiques français plutôt que vers des produits importés, sans garantie de durabilité ;
  • l’interdiction de la publicité et des promotions pour les produits dont la consommation est à limiter selon les recommandations du PNNS.

162 millions d’euros pour le coût environnemental

Au-delà de ces dépenses pour notre système de santé, le rapport chiffre à 162 millions d’euros les sommes dépensées chaque année pour traiter les pollutions environnementales générées par les élevages porcins, dont 138 millions concernent la pollution de l’air, via le traitement des maladies respiratoires provoquées par les polluants (ammoniac et particules fines). Enfin, la gestion des nitrates provenant des lisiers de porc et qui s’infiltrent dans les cours d’eau et les nappes phréatiques coûte 24,6 millions d’euros par an, dont 15 millions pour la seule région Bretagne.

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