Evénement ce 7 février, à Paris, avec le premier colloque international sur l’Advance Care Planning jamais organisé en France. La Planification Anticipée des Soins, selon l’appellation en usage dans la communauté francophone, est un dispositif encore mal connu dans notre pays. Ce colloque est l’occasion de s’y intéresser…et d’en parler.
C’est écrit noir sur blanc dans la nouvelle stratégie décennale (2024-2034) des soins d’accompagnement pour le renforcement des soins palliatifs, de la prise en charge de la douleur et de l’accompagnement de la fin de vie : « Un plan personnalisé sera mis en place pour chaque personne ». Cette promesse constitue même l’intitulé du 3e article qui précise : « Mesure d’anticipation, ce plan personnalisé permettra, dès le diagnostic, aux patients d’exprimer leurs préférences et aux professionnels d’élaborer la prise en charge globale adaptée à leur situation ». Anticipation, personnalisé, préférences, prise en charge globale adaptée…autant de termes directement empruntés à l’Advance Care Planning (ACP), à l’affiche du colloque international de ce 7 février, à Paris. Organisé par la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP), ce rendez-vous est le premier sur ce sujet en France, où cette démarche reste encore bien abstraite. La participation de pays à la pointe sur cette pratique, à l’instar de l’Australie, du Canada, du Royaume-Uni ou de la Belgique, contribuera a minima à une meilleure connaissance de l’ACP, appelée Planification Anticipée des Soins dans les pays francophones.
Les valeurs et la temporalité du patient
Anglais ou français, une seule question : comment définir cette approche ? Lyn Silove, en charge du groupe Advance Care Planning au sein de la SFAP et de l’organisation du colloque, nous explique ses grands principes : « L’ACP est un processus permettant à la personne, malade ou pas, de réfléchir et noter ses valeurs et ses volontés, ainsi que ses préoccupations et ses préférences en cas de maladie. Il peut s’agir de tout ce qui est lié aux soins futurs, dans le sens du care, et aux traitements éventuels. Ce document est mis à disposition dans le cas où la personne ne pourrait plus s’exprimer. L’idée, c’est que l’équipe soignante comprenne mieux qui est la personne ». Ces souhaits, également partagés avec les proches, peuvent à tout moment être révisés. « Le patient tient les rênes », résume Lyn Silove. Bien sûr, il est déjà possible de rédiger ses directives anticipées – 18 % des Français déclarent l’avoir fait – et de désigner sa personne de confiance. Mais, observent les auteurs d’une des rares expérimentations d’ACP conduites en France, en l’occurrence deux médecins exerçant en soins palliatifs au CHU de Rennes et un médecin généraliste, « ce n’est pas une fin en soi ».
Dans le bilan de leur étude, qui a consisté à sonder les attentes pour leur avenir de 12 patients considérés dans leur dernière année de vie par leur médecin traitant, en recourant à la conversation d’ACP, ils notent que « c’est une approche plus progressive qui tient compte avant tout de la temporalité du patient et qui peut être mise en place très précocement même lorsque le patient n’envisage pas sa fin de vie ». Et même si la fin de vie n’est pas directement abordée, ajoutent-ils, cette méthode qui considère le patient dans sa globalité permet de recueillir « des informations utiles sur la personnalité des patients ».
Pas en savoir moins, mais plus
Ce processus de cheminement centré sur le patient, le Pr Mark Taubert le met en pratique depuis plusieurs années déjà. Médecin en soins palliatifs et responsable national de l’Advance Care Planning pour le Pays de Galles, il a participé à la mise en place d’une approche unique de l’ACP pour tous les établissements de santé et médico-sociaux gallois. Construction à laquelle ont été associés, outre les soignants (médecins, infirmiers…) et les autorités de santé, les patients – qui préfèrent d’ailleurs parler de Future Care Planning, appellation en vigueur au Pays de Galles, en Ecosse et en Irlande, qui partagent cette approche unifiée et, donc, facilitante. Différents contenus, questionnaires, outils ont été élaborés pour aider l’équipe médicale à mieux connaître les aspirations des patients au fur et à mesure de l’évolution de leur parcours de soins, en particulier en ce qui concerne les traitements, dont certains peuvent être très agressifs et en même temps peu efficients.
« Le patient doit être impliqué, c’est un droit fondamental, souligne le Pr Taubert. Dans le centre de cancérologie où je travaille, nous avons établi une liste de traitements, des plus banals, comme une transfusion sanguine ou une réhydratation par voie intraveineuse, aux plus lourds, de type nouvelle chimiothérapie, intubation ou, au top de la liste, la réanimation cardiopulmonaire. L’objectif est de connaître les limites de la personne et ce qu’elle souhaite privilégier (être avec ses proches, dans un environnement calme…). Dans la majorité des cas, 99 % des traitements sont maintenus, seuls les plus lourds sont retirés. En fait, la plupart des patients réclament de connaître la vérité sur l’impact des traitements sur le corps. Ils ne veulent pas en savoir moins, mais plus. » En exprimant cette volonté de comprendre et, en fonction, leur choix du refus de l’obstination déraisonnable, ils formulent aussi le désir de ne pas subir.
Parler n’enlève pas l’espoir
Pratique quotidienne, formation, recherche, financement, leviers, défi : c’est l’intitulé, compact, de la table ronde de l’après-midi, à laquelle est inscrit le Pr Mark Taubert. En charge de l’animer, Hélène Delmotte, collaboratrice au pôle des politiques publiques de France Alzheimer. Pour les représentants de l’association, qui s’intéresse à l’Advance Care Planning depuis 2020, ce colloque sera l’occasion de nourrir leur réflexion. « Des maladies comme celles d’Alzheimer et apparentées induisent des questions supplémentaires, par exemple sur les techniques de recueil du consentement du patient, relève Lorène Gilly, responsable du suivi des politiques publiques. A cet égard, nous serons particulièrement attentifs aux retours de la Belgique qui a mis en place l’ACP pour les personnes vivant avec Alzheimer ou une maladie apparentée. » Un premier contact, en tout cas, qui va permettre, complète Hélène Delmotte, « d’identifier les atouts et les freins de cette démarche avec, derrière, les enjeux de formation et de financement que cela implique ».
Pour Lyn Silove, la question du coût, souvent brandie pour ne pas s’engager dans l’ACP, est un faux problème. « L’idée de l’Advance Care Planning n’est pas de coûter plus cher, mais de dépenser l’argent là où c’est mieux de le dépenser, et pas là où ce n’est pas utile ou pas voulu par les personnes malades », explique-t-elle. Quant à la formation, en particulier sur la manière d’engager la conversation d’ACP avec une personne, de nombreux outils, guides, documents sont déjà disponibles. « Il y a toujours des moments, qu’il s’agisse d’une situation (post-opératoire, douleur, etc.), d’un mot ou d’une phrase du patient, qui vont permettre d’ouvrir cette conversation, témoigne le Pr Mark Taubert. Il faut savoir se saisir de ces moments-là, tout en sachant aussi rappeler que l’échange peut s’arrêter quand la personne le désire. La plupart du temps, les patients veulent parler. » Contrairement à ce que l’on imagine trop souvent, parler n’enlève pas l’espoir, ça le déplace, estime Lyn Silove : « L’ACP n’est pas un danger ni une source d’angoisse. Il faut se méfier de cette forme de paternalisme qui fait obstacle à l’échange sur le futur du patient au prétexte de le protéger. En réalité, cette démarche est aidante pour tout le monde, les proches compris. » C’est un poids en moins, celui du silence et, partant, de l’anxiété qu’il génère.
« Je me sens soulagée »
Mark Taubert l’observe au quotidien. « Les personnes me disent qu’elles sont heureuses d’avoir eu cette conversation qui leur a permis de faire savoir à leurs proches ce qu’elles veulent et ne veulent pas. Le sujet est difficile à aborder, mais au moins l’entourage n’a pas pu y échapper, en appelant, par exemple, la personne malade à rester positive ! » Au final, et ce n’est pas le moindre des bénéfices de cette démarche, la personne, qu’elle soit malade ou pas, qui écrit et partage avec ses proches ses préférences éprouve une forme d’apaisement. « Je me sens soulagée, confirme Lyn Silove qui a écrit son Advance Care Planning et échangé avec ses proches sur ses préférences. J’ai grandi dans une famille où le sujet n’a jamais été tabou. On ne sait pas comment cela se passera le moment venu. Pour ne pas prendre de risque, il est préférable d’en parler tranquillement avant. Je n’ai pas envie que l’équipe médicale prenne des décisions en qui concerne mes soins avec lesquelles je ne serais pas d’accord. » En sachant que rien n’est définitif et que les objectifs de vie de la personne peuvent évoluer.
Ajoutons que si la SFAP est à l’initiative de ce premier colloque international, l’ACP n’a pas vocation à rester circonscrite aux soins palliatifs. D’autres spécialités, telles que la cancérologie, la gériatrie, la cardiologie respiratoire, la néphrologie ou encore la neurologie, s’intéressent à cette démarche. Elargir sa diffusion, tel est le vœu de Lyn Silove, « pour que d’autres personnes puissent en bénéficier ». Dans tous les cas, il est toujours possible de consigner ses souhaits et valeurs dans son dossier médical numérique, Mon espace santé.
« L’Advance Care Planning est un sujet pour France Assos Santé, c’est ce qui est ressorti de la consultation sur la fin de vie auprès de notre réseau. Car même s’il existe des dispositifs, on se rend compte qu’ils peinent à être utilisés. Dans le cas des directives anticipées, le formulaire a un côté très administratif qui ne permet pas à la personne d’évoquer ses limites, ses préférences, ses peurs, sa philosophie de la vie. Ce constat est un peu moins vrai pour la personne de confiance. Pour autant, son rôle n’est pas toujours très bien compris. Résultat, cette confusion n’est guère opérante. L’ACP est un outil plus dynamique, dans le sens où les désirs exprimés par la personne peuvent régulièrement être réinterrogés et les traitements réévalués, lors de discussions avec le médecin soignant, en présence, s’il y en a une, de la personne de confiance.
L’Advance Care Planning marque une rupture : il faut changer cette approche binaire, avec d’abord le tout curatif puis, quand les traitements ne sont plus efficients, le tout palliatif. Il faut conjuguer les deux et introduire le dispositif d’anticipation plus tôt dans le parcours de soins. France Assos Santé demande également que le plan personnalisé d’accompagnement prévu dans la stratégie décennale ne concerne pas que les patients à qui l’on diagnostique une maladie grave, mais également les personnes en perte d’autonomie, atteints de maladie chronique ou en situation de handicap. Ce colloque est une opportunité pour voir comment l’Advance Care Planning s’est implanté ailleurs. En France, il a quelques expérimentations, mais ça manque de structuration. Les pays qui ont mis en œuvre l’ACP ont construit des sortes d’écosystèmes, avec des modules, des outils, des formulaires adaptés à ce processus d’accompagnement. On est loin de cette cohérence. »
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