En France, 8 à 11 millions de personnes soutiennent un proche en situation de handicap, en perte d’autonomie ou porteur d’une maladie chronique. Parmi eux, 500 000 mineurs âgés de 5 ans ou plus. La journée nationale des aidants ce 6 octobre est l’occasion de braquer les projecteurs sur les proches aidants, pour sensibiliser le grand public mais aussi les professionnels de santé afin qu’ils puissent les repérer, les orienter et leur apporter leur soutien.
Dans un contexte de transition écologique, où les professionnels de santé et du secteur médico-social manquent, où les besoins, loin d’être couverts sur tout le territoire, augmentent en raison du vieillissement de la population, des maladies chroniques et du virage domiciliaire, « les aidants sont une richesse pour notre système de santé. Ils permettent aussi de faire des économies considérables » rappelle Alexine Geller, chargée de Mission au pôle Protection Sociale – Santé – Vieillesse à l’Union nationale des Associations familiales (UNAF).
Pour Gwenaëlle Thual, présidente de l’Association Française des aidants, de par leur expérience, les proches aidants sont extrêmement précieux pour les professionnels de santé, que ce soit en établissement ou au domicile. « Ils ont la connaissance de l’intime au quotidien. Beaucoup d’entre eux par exemple ont l’expérience de l’alimentation de la personne accompagnée et savent quels éléments de savoir-faire et de savoir être vont permettre que le repas se passe dans les meilleures conditions. » Les proches aidants voient aussi la crise venir et connaissent les gestes qui vont apaiser. Ils savent dire, médier quand une personne en situation de polyhandicap ne verbalise pas.
Alice Steenhouwer, directrice de l’association Avec nos proches, souligne aussi que « médecins généralistes et infirmiers disent que s’il n’a pas d’aidant pour prendre en charge le patient, le maintien à domicile est très compliqué car l’absence d’aidant amène les soignants à prendre des responsabilités qui ne sont normalement pas les leurs. Le proche aidant est le pivot du maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. »
Le proche aidant joue aussi un rôle de soutien psychologique, indique Philippe Diet, ancien aidant et répondant bénévole de l’association Avec nos proches : « Lors des appels que nous recevons, les proches aidants évoquent souvent le problème de l’acceptation des traitements par les personnes accompagnées. Les situations ne sont pas figées, elles peuvent évoluer positivement avec une bonne communication aidant – soignant, cela facilite beaucoup l’acceptation des soins par le patient ».
Se reconnaître comme aidant
La prise de conscience collective du rôle des proches aidants mais aussi de l’impact de ce rôle sur leur vie personnelle, professionnelle, leur situation financière et surtout leur santé, qu’elle soit mentale ou physique, est à la fois inachevée et indispensable pour garantir collectivement des conditions de vie et d’accompagnement dignes et soutenables.
Afin de prévenir les risques d’épuisement, les troubles musculo-squelettiques, les douleurs articulaires mais aussi le stress, le sentiment de solitude et la dépression, fréquemment signalés chez l’aidant, la première étape est que l’aidant prenne conscience lui-même de la charge qu’il porte et se reconnaisse comme proche aidant.
« Accompagner un conjoint atteint de la maladie d’Alzheimer, c’est du 24 heures sur 24 et cette maladie dure entre huit et douze ans à partir du moment où elle est diagnostiquée. L’aidant a tellement de choses à faire et à penser qu’il s’oublie. Il privilégie la personne malade. Je connais des aidants à qui, suite à infarctus, on a proposé de poser un stent ou de faire un pontage. Ils ont choisi le stent pour ne pas laisser l’aidé seul trop longtemps, alors qu’un pontage aurait peut-être été préférable », rapporte Monique Dufour, Présidente de l’association France Alzheimer Jura.
Jean Baptiste Méric, Directeur médical du Centre hospitalier de Bligny, témoigne aussi de conversations régulières avec des aidants pour qui la priorité absolue est d’éviter l’institutionnalisation en EHPAD de leur proche et qui négligent leur propre santé : « Il faut souvent leur répéter que s’ils tombent malades, leur conjoint n’aura plus aucun soutien, et qu’ils n’auront plus alors d’autre choix que celui de l’institutionnalisation. On leur dit régulièrement de nous laisser les aider. »
Dans le documentaire « Ma chère famille », le Pr Régis Aubry, médecin chef au CHU de Besançon souligne que « l’aidant qui ne se reconnaît pas en tant qu’aidant ne va pas penser nécessaire d’être aidé, voire va refuser des aides. Des aides qui nous apparaissent comme nécessaires pour anticiper l’épuisement ou la fatigue de l’aidant. »
Accompagner les aidants dans l’auto-reconnaissance
Dans le cadre de la Stratégie nationale pour les aidants, la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) lance actuellement une campagne d’information pour mettre en lumière les aidants, intitulée : « Un aidant sur deux en France s’ignore » Alexine Geller souligne que « parmi les visuels, il y a celui d’une femme qui déclare « Ça ne se voit pas mais je ne suis pas seulement une maman, je suis aussi aidante. » Cette phrase résume bien le problème. » De fait, avant d’être l’aidant de quelqu’un, la personne est d’abord son conjoint, son parent, son enfant. Et il est parfois difficile de dissocier cette relation affective de son rôle d’aidant.
« En tant que soignant, nous avons aussi ce rôle de faire comprendre aux aidants qu’ils apportent une aide souvent indispensable, estime Jean-Baptiste Méric, mais que ce n’est pas naturel de le faire, que d’autres ne le feraient pas, que cela nécessite une énergie énorme et donc un soutien, éventuellement une formation. »
Les soignants doivent « pouvoir considérer les besoins des proches eux-mêmes, pour eux-mêmes, de façon à ne pas avoir une vision utilitariste, par rapport à ce qu’ils peuvent apporter à la compréhension ou à l’accompagnement de la personne aidée », souligne Gwenaëlle Thual. Ce qui suppose de les accompagner et de les soutenir aussi.
Pour les pharmaciens, identifier l’aidant et engager le dialogue est parfois plus facile qu’avec la personne aidée, observe Juliette Le Rouge, pharmacienne en zone rurale dans la commune d’Annequin (Pas-de-Calais) : « L’aidant est une personne très importante pour nous. À la différence des autres professionnels de santé, on ne voit quasiment que l’aidant. C’est lui qui nous informe de la santé de l’aidé, s’il mange, s’il bouge, s’il prend ses médicaments. En fonction de ce que nous dit l’aidant, on appelle le médecin pour le tenir au courant, le cas échéant. Quand le patient n’a pas d’aidant et qu’il ne se déplace plus, on le livre. L’aidant est un atout sur de nombreux points ».
Les échanges soignant – aidant permettent alors d’accompagner l’aidant, poursuit Juliette Le Rouge. « Nous essayons de savoir comment va l’aidant, si la charge n’est pas trop lourde, s’il est possible de mettre des aides en place, notamment quand l’aidant est toujours actif professionnellement, pour lui faire gagner du temps. Nous remettons aussi aux aidants le Journal de santé de l’aidant créé par l’association Avec nos proches. Il rassemble de nombreuses informations utiles pour l’aidant. » Ce magazine propose des pages informatives et des exercices personnalisés pour permettre à l’aidant de cheminer dans son rôle, mais aussi de « (re)devenir acteur de sa santé pour prévenir les risques d’épuisement », souligne Alice Steenhouwer, la directrice de l’association.
Indispensables mais parfois invisibles
Néanmoins encore trop de soignants ignorent que leurs patients sont accompagnés au quotidien par un aidant parce qu’ils ne le voient jamais, note Jean-Baptiste Méric : « L’invisibilité des aidants reste un problème. Si l’aidant dépose en voiture le patient à l’hôpital et que celui-ci vient seul à la consultation, on ne peut pas identifier l’aidant ». C’est notamment le cas pour les patients atteints de maladies psychiatriques.
Certaines représentations des soignants peuvent également faire obstacle à la prise en compte des aidants, en particulier lorsque les aidants ont un profil « atypique ». « Pour certains soignants, qu’un enfant soit l’aidant d’un parent malade n’est pas normal. Ils ne vont donc pas y penser alors même que les enfants aidants ont des besoins spécifiques. En diabétologie, nous avons plusieurs patients étrangers dont les aidants sont des enfants. Comme ils manquaient l’école pour pouvoir accompagner leur parent en consultation, nous avons organisé certaines consultations le soir en visioconférence pour qu’ils puissent aller en classe normalement », illustre Jean-Baptiste Méric.
Pour Philippe Diet, ancien aidant et répondant bénévole de l’association Avec nos proches, le rôle des soignants est primordial pour encourager l’aidant à prendre soin de lui. « Même en cinq minutes, en posant quelques questions et en étant attentif, un soignant peut évaluer l’état d’un aidant, voir s’il est à bout. Les aidants spontanément ne parlent pas d’eux-mêmes, ils se disent que ça va passer, qu’ils vont prendre des trucs pour tenir, mais c’est pernicieux. On s’affaiblit. » Le risque ? Faire un patient de plus. « Il est aussi important pour l’aidant de se questionner sur ses limites », encourage Philippe Diet.
Apprendre à s’autodéterminer
L’une des missions de l’Association française des aidants est précisément de proposer des formations aux aidants bien sûr, mais aussi aux professionnels de santé pour les accompagner au mieux. « Nos formations visent à répondre à leurs questionnements sur l’accompagnement des proches, la place de chacun dans le triangle soignant – patient – proche aidant, la communication et les retours d’expériences. Nos formations pour le proche aidant ont, quant à elles, pour but de lui permettre de déterminer à la fois ce qu’il peut, ce qu’il veut ou, au contraire, ce qu’il ne peut pas, ne veut pas dans la relation », détaille Gwenaëlle Thual, la présidente de l’association.
Aider un proche soulève une quantité de questions, de doutes, liés bien souvent à l’angoisse de mal faire. Prendre du recul est en cela important. La confirmation avec Fernanda Pimenta, aidante depuis vingt-neuf ans de sa grand-mère, puis de sa mère et, par ailleurs, aide‑soignante de nuit dans un EHPAD : « C’est compliqué de placer un membre de sa famille dans une institution parce qu’on a l’impression de l’abandonner. Si c’est nécessaire, et financièrement possible, je ferai en sorte que ma mère ne soit pas prise en charge dans l’établissement dans lequel je travaille. Je pourrai ainsi retrouver ma place de fille. J’aurai toujours un regard de soignante sur les soins qui lui seront apportés, mais je ferai un travail sur moi‑même pour faire confiance aux personnels qui s’occuperont d’elle. »
Pour aller plus loin
Formation pour les proches aidants
- Formation les proches aidants qui accompagnent des malades d’Alzheimer
https://www.francealzheimer.org/nos-actions-nos-missions/actions-adaptees-aidants/la-formation-des-aidants/ - Formation en ligne pour les aidants, gratuite et ouverte à tous, Association Française des aidants
- les Ateliers Comprendre pour agir pour les proches aidants, Association Française des aidants
Formations pour les professionnels de santé
- France Alzheimer propose également des formations à destination de tout professionnel intervenant auprès des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, à domicile ou en établissement., notamment Développer la relation avec les familles
- Le centre de formations pour les professionnels de l’Association Française des Aidants
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