Alcool et réseaux sociaux : comment les industriels incitent les jeunes à la consommation

« Les réseaux sociaux, un nouveau Far West ». Tel est l’intitulé du rapport d’Addictions France qui dénonce la promotion massive de l’alcool sur les plateformes numériques. Objectif, pousser les jeunes, voire les très jeunes à consommer. L’association demande l’interdiction de la publicité en faveur de l’alcool sur les réseaux sociaux. Une requête soutenue par France Assos Santé et son réseau, qui ont porté plainte contre la RATP pour « provocation directe à la consommation d’alcool à l’encontre des mineurs ».

Quand on parle des risques d’addiction pour les jeunes publics à trop fréquenter les réseaux sociaux, on ne pense pas si bien dire. Accros aux écrans, c’est une chose, être poussés à consommer de l’alcool, quand on a entre 13 et 17 ans, c’est autrement plus dangereux. Voire hors la loi, encore faudrait-il que celle-ci s’applique sur ces médias très, pour ne pas dire essentiellement fréquentés par les adolescents.

Après quasi trois années de veille, d’observation et d’enquêtes, avec des partenaires comme l’EHESP, pour analyser et objectiver l’impact du marketing et autres biais, tels que le recours aux influenceurs, sur la consommation d’alcool des jeunes, l’association Addictions France publie un rapport édifiant sur ce qu’elle nomme « un nouveau Far West ». Son président, Bernard Basset, parle volontiers aussi de « zone grise » pour qualifier les réseaux sociaux, et l’usage de la publicité qui y est fait. « Les supports ont considérablement changé depuis l’adoption de la loi Evin en 1991, explique-t-il. Les réseaux sociaux n’existaient pas, par exemple. Or, pour ce qui est de la diffusion de l’alcool, ils représentent une opportunité phénoménale pour les alcooliers qui ont toujours tout fait pour contourner la loi Evin. » Pas d’encadrement de la publicité, pas de message de santé obligatoire, comme sur tous les autres supports, bref, un vide juridique propice à un racolage illimité. « L’équilibre est rompu », résume-t-il.

En jeu, la santé et l’avenir des jeunes, ciblés par les influenceurs et les pratiques marketing, qui leur vendent une « vie rêvée, pour reprendre les mots de Bernard Basset, qui n’existe pas ». La réalité se place même plutôt sous le signe de la gueule de bois. En près de trois ans, Addictions France a recensé plus de 11 300 contenus valorisant l’alcool sur Instagram et sur Tik Tok. De son côté, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) rapportait, en janvier 2024, que près de 15 % des élèves de 4e et 3e, et plus d’un tiers des jeunes de 17 ans, avaient connu un épisode de « binge drinking », ce qui correspond à une forte consommation d’alcool en un temps court, durant le mois précédant l’enquête.

Certes, la loi du 9 juin 2023, dite loi « Influenceurs », a été votée pour encadrer l’activité desdits influenceurs, sur le modèle de ce qui se fait sur les autres médias. Sauf que ce souci de protection des jeunes n’a pas été appliqué à l’alcool, 2e facteur de risque de cancer et d’accidents de la route. France Addictions appelle les politiques à agir, en interdisant la publicité pour l’alcool sur les réseaux sociaux, comme cela a été mis en œuvre à la télévision, à la radio et au cinéma, et en renforçant les contrôles, entre autres propositions.

France Assos Santé, également engagée contre le marketing publicitaire des alcooliers ciblant les jeunes, soutient toutes ses demandes.

« Aujourd’hui, nous avons toutes les données nécessaires pour que la publicité sur les réseaux sociaux soit interdite »

Myriam Savy, responsable du plaidoyer à Addictions France

Quel a été le point de départ de cette enquête au long cours ?

Le point de départ a été déclenché par les premiers influenceurs qui ont commencé à faire de la publicité pour certaines marques de bières sur les réseaux sociaux. L’infraction à la loi Evin était flagrante. Par ailleurs, les jeunes sont hyperprésents sur les réseaux sociaux, ils y passent en moyenne 2,5 heures chaque jour. On s’est donc dit qu’on devait établir une sorte d’état des lieux des pratiques pour voir si la loi Evin était suffisante ou au contraire devait être renforcée. Le rapport que nous publions est l’aboutissement de tout ce travail qui conclut à la nécessité de modifier effectivement la loi Evin pour qu’elle interdise aussi la publicité en faveur de l’alcool sur les réseaux sociaux.

Les influenceurs sont-ils conscients de la portée de leurs messages ?  

Il y a sûrement une part d’ignorance, mais également une part d’instrumentalisation. Les alcooliers font faire des choses aux influenceurs, alors que ces derniers ne sont pas toujours conscients que c’est eux qui vont porter la responsabilité, en cas de non-conformité avec la loi Evin. Clairement, il y a des marques qui se servent des influenceurs comme de paravents. C’est pourquoi nous voulons interdire la publicité, pour mettre un terme à ce genre de manipulation et de supercherie.

Votre enquête a-t-elle permis de mesurer l’impact de cette exposition sur la consommation d’alcool des jeunes ?   

Cela faisait partie de notre projet. C’est l’Ecole des hautes études en santé publique qui s’est chargé de ce travail. Le résultat montre bien que la publicité incite à consommer – si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas tant de matraquage publicitaire – et, quand on est jeunes, on est encore plus vulnérables, encore plus sensibles aux stimuli qu’on voit sur les réseaux sociaux. Face à une belle publicité, ils le reconnaissent : ça leur donne envie d’essayer. Grâce à notre rapport, nous avons aujourd’hui toutes les données nécessaires, factuelles, pour faire taire les producteurs d’alcool qui, certainement, vont probablement tout faire pour combattre notre proposition d’élargir la loi Evin pour que la publicité sur les réseaux sociaux soit interdite, renforcer les moyens de contrôle et les sanctions, en les rendant dissuasives. Aujourd’hui, le risque d’avoir une amende ne pèse rien face aux retombées de la publicité.

McFly et Carlito font leur mea culpa : une surprise bienvenue !

McFly et Carlito, deux youtubeurs suivis par 7,5 millions de personnes, ont annoncé qu’ils mettaient un terme à leur concept de vidéos de dégustation d’alcool. Ce choix marque une prise de conscience saluée par Addictions France, et souligne la responsabilité des créateurs face à l’influence qu’ils exercent sur les jeunes.

En publiant des vidéos de dégustation, ces stars du web allaient à l’encontre de la loi Evin, qui limite la publicité pour l’alcool afin de protéger les plus jeunes.

Pendant trois ans, Addictions France a sensibilisé des influenceurs à ces restrictions, mais malgré leurs efforts, près de la moitié des créateurs contactés ont continué à promouvoir l’alcool. Cette situation est d’autant plus complexe que les publications virales et éphémères sur les réseaux rendent leur contrôle difficile. L’association en appelle donc à l’interdiction totale de la publicité pour l’alcool sur les réseaux sociaux, afin de mieux protéger les jeunes.

La décision de McFly et Carlito, qui ont salué Addictions France pour son travail, est une première étape vers une prise de conscience plus large. Ce revirement montre que les influenceurs jouent un rôle clé dans l’éducation et la protection de leur communauté face à des sujets sensibles comme la consommation d’alcool.

Il est crucial que d’autres créateurs emboîtent le pas et adoptent des comportements responsables pour le bien-être de leur audience.

1 commentaires

  • Alex M. dit :

    Votre article est très interessant! Vous présentez bien les potentiels impacts et dangers face à l’exposition massive des jeunes aux publicités et contenus liés à l’alcool sur les réseaux sociaux. Notamment, la « vie rêvée » que les jeunes se font vendre par les inlfuenceurs et les pratiques marketing. De ma part, j’ai analysé le tout dans mes recherches universitaires et je me suis moi-même rendu compte que ces publicités sont, en effet, ciblées envers les jeunes, influençant leur perception de l’alcool en l’associant au plaisir et à la réussite sociale. De plus, cette exposition sur les réseaux sociaux est directement liée à une initiation plus précoce et à une augmentation des comportements à risque… J’espère que cela complémente bien votre bel article!

    Lien: https://digital.hec.ca/blog/alcool-reseaux-sociaux-chez-les-jeunes-danger/

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