Les maladies rares concernent plus de 3 millions de Français, mais sont si nombreuses et différentes que leur diagnostic nécessite souvent de trop longues années.
C’est un curieux paradoxe : les maladies rares sont très fréquentes. Une maladie est qualifiée de « rare » quand elle touche moins d’une personne sur 2 000, soit un peu moins de 34 000 individus à l’échelle de la France. Si tout le monde connaît la myopathie de Duchenne ou la mucoviscidose, bien d’autres pathologies rares ne bénéficient d’aucune visibilité médiatique, voire restent méconnues d’un grand nombre de professionnels de santé. Rien d’étonnant quand on constate combien ces maladies sont nombreuses. Orphanet, la plateforme d’information sur les maladies rares, coordonnée par l’Inserm, en recense plus de 6 000 qui touchent quelque 3 millions de personnes et constituent de fait l’une des premières causes de pathologies en France.
Des années sans savoir potentiellement délétères
Si elles diffèrent sur bien des aspects – origine, fréquence, manifestations, etc. –, elles partagent souvent des points communs : elles sont chroniques, invalidantes et, dans 95 % des cas, ne bénéficient d’aucun traitement curatif. « Autre similitude, elles s’accompagnent très fréquemment d’une longue errance diagnostique, qui dépasse quatre ans pour une personne sur quatre », constate Cécile Foujols-Gaussot, vice-président de l’Alliance maladies rares. Pour Alice Salomone, atteinte d’une anomalie du gène MYT1L entraînant un retard global de développement, une atteinte du langage et d’autres troubles du comportement, de la coordination, etc., il lui a fallu attendre l’âge de 7,5 ans pour qu’un diagnostic soit enfin posé. « Les premiers symptômes sont apparus vers deux ans, se souvient Valérie Salomone, sa maman, mais le pédiatre qui la suivait nous rassurait. Lorsqu’elle est entrée à l’école, ses limites sont apparues de façon plus évidente. Pourtant, toujours pas de cause médicale avancée. Un psychologue consulté dans un Centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) a même évoqué un défaut de guidance parentale ! » Finalement, c’est en passant par un Centre de ressources autisme (CRA) que la situation se débloque et que l’intérêt de réaliser des tests génétiques est abordé pour la première fois. Cinq ans après les premiers doutes, le diagnostic est enfin posé.
Pour Pauline, l’attente a duré sept ans. Depuis ses huit ans, la petite fille souffre de claudication – d’abord mise sur le compte d’un rhume de hanche – puis voit son état général se dégrader et des douleurs difficilement supportables l’assaillir. « Nous alternions les consultations chez les médecins, à l‘hôpital, aux urgences, rapporte Amélie, sa maman, sans qu’aucune cause ne soit jamais trouvée. » La jeune fille, incomprise, s’isole, finit par être déscolarisée lors de son année de 5e puis fait une intoxication médicamenteuse volontaire en juillet 2020. « Un appel à l’aide », décrypte sa maman. Loin d’accélérer la recherche sur l’origine de ses douleurs, cet épisode tend au contraire à psychiatriser sa prise en charge. « Je me suis battue contre les équipes médicales qui voulaient l’interner en psychiatrie alors que je demandais un séjour en médecine interne. J’ai même été considérée comme une maman dysfonctionnelle et affronté les menaces de signalement à l’Aide sociale à l’enfance. J’ai finalement eu l’intuition d’une maladie rare. » A force de faire des pieds et des mains, Amélie parvient à convaincre les médecins du centre de référence de l’hôpital Necker, à Paris, de recevoir Pauline. Là, les spécialistes constatent tout de suite un rythme cardiaque anormal. Pauline est opérée en urgence en région parisienne pour un double pontage et la pose de prothèses aortiques et carotidiennes. Enfin, après sept années d’errance, le diagnostic tombe : Pauline souffre de la maladie de Takayasu, une pathologie qui touche une personne sur 1 à 2 millions et se caractérise par une inflammation des artères. « Si elle avait été prise en charge plus tôt, elle serait différente aujourd’hui sur les plans physique et psychologique », déplore sa maman.
Démocratiser les procédures
Pourquoi faut-il attendre aussi longtemps avant d’avoir un diagnostic ? « D’abord parce que 80 % des maladies rares sont d’origine génétique et que seuls 60 000 séquençages sont réalisés chaque année en incluant les familles des personnes malades, explique le Pr Guillaume Canaud, néphrologue à l’hôpital Necker et en charge, avec le Pr Agnès Linglart, de coordonner le 4e plan national maladies rares (PNMR), lancé cette année. Les difficultés concernent à la fois l’accès aux tests et aux généticiens, et les délais de rendus des résultats. » Face à un problème d’origine inconnue pour lequel la cause génétique est suspectée, la première étape consiste à orienter le patient vers un centre de génétique, à réaliser des prélèvements et ensuite à les envoyer vers une des deux seules plateformes nationales capables de les analyser. « L’un des objectifs du 4e plan national est de démocratiser les tests moléculaires en ouvrant la possibilité à d’autres acteurs de les réaliser. Ce pourrait être par exemple des centres d’oncologie ou des acteurs privés de l’analyse biologique », reprend le Pr Canaud. Deuxième étape : les médecins lancent soit des tests sur des gènes ciblés – une technique appelée panel – soit une analyse complète de l’ADN, via les techniques de décryptage de l’exome et du génome. « On se retrouve alors avec des données astronomiques à analyser, développe le Pr Canaud. Pour cela, il faut des spécialistes, c’est à dire des bio-informaticiens, qui ne sont pas suffisamment nombreux. » Là encore, le PNMR entend faire bouger les lignes en revalorisant cette profession afin de la rendre plus attractive. Ensuite les anomalies éventuellement détectées doivent être interprétées par des généticiens hospitaliers : « Si d’autres professionnels de santé que les seuls généticiens pouvaient valider les tests, le circuit de dépistage s’en trouverait accéléré ». Cela éviterait sans doute à de nombreux patients de ne jamais recevoir les résultats de leurs analyses moléculaires. Sur les 10 à 12 patients que je reçois chaque jour, la grande majorité n’a jamais entendu parler des résultats, témoigne Guillaume Canaud.
Développer la culture du doute
Un autre enjeu important de l’amélioration des délais de diagnostic tient à la possibilité de mettre en place une prise en charge aussi précoce que possible. « C’est par exemple le cas de la phénylcétonurie qui, si elle n’est pas traitée très tôt, entraîne un retard mental et des troubles neuropsychiatriques, souligne Cécile Foujols-Gaussot. Grâce à son dépistage systématisé depuis 1972, il est possible de mettre en place un régime alimentaire spécifique qui empêche le développement de la maladie. » En 2023, les autorités sanitaires ont élargi de 6 à 13 le nombre de dépistages réalisés à la naissance avec le test dit « de Guthrie ». Problème, il existe des pathologies pour lesquelles des traitements existent, mais qui ne font pas encore partie des dépistages néonataux. Il en va ainsi de l’amyothrophie spinale (SMA), pour laquelle trois traitements sont disponibles. « Les tests ne sont pas réalisés avant l’apparition des symptômes, regrette le Pr Canaud. Or, il s’agit d’une maladie qui évolue rapidement dès lors que les symptômes sont présents. » C’est pour limiter ce genre de situation que le PNMR propose d’augmenter sensiblement le nombre des pathologies dépistées dès la naissance. A titre de comparaison, l’Italie en réalise plus de 40.
C’est enfin du côté des médecins que les personnes atteintes de maladies rares et leurs proches souhaitent voir renforcée la culture du doute pour abréger l’errance diagnostique. « Quand ils ne trouvent pas l’origine d’une maladie ou de symptômes inhabituels, ils devraient toujours se demander s’il ne s’agirait pas d’une maladie rare », espère Cécile Foujols-Gaussot. Les professionnels de santé peuvent notamment s’appuyer sur l’application RDK (Rare Disease Knowledge), codéveloppée par l’Inserm qui, en fonction des symptômes, de l’âge et du sexe, suggère une liste de pathologies avec un pourcentage de probabilité et indique les centres experts capables de poser le diagnostic. » Du côté du grand public, toute personne en errance diagnostic qui s’interroge peut contacter ligne d’écoute téléphonique Maladies rares Info Services au 0 800 40 40 43 pour être informée et orientée.
Le rôle essentiel des associations
Didier Buggia est le père de Rémi, un jeune homme de 23 ans atteint du syndrome d’Angelman, une maladie d’origine génétique qui se caractérise par un lourd polyhandicap. Comme de très nombreux parents d’enfants touchés par une maladie rare, il juge indispensable le travail associatif pour accompagner et aider les proches. L’Association française du syndrome d’Angelman (AFSA), dont Didier Buggia est le vice-président, met par exemple en place un grand projet pour former les professionnels des établissements médico-sociaux à ce syndrome : « L’expérimentation en cours montre d’excellents résultats, les professionnels de santé interprètent mieux les comportements des malades et savent mieux y répondre ». Autre initiative, l’association rémunère une assistante sociale pour aider les parents en difficulté à effectuer des tâches administratives souvent compliquées, comme la demande de reconnaissance auprès des Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH), la recherche d’un médecin spécialisé dans la pathologie ou la prise de rendez-vous dans un centre de référence. De son côté, Amélie, la maman de Pauline, s’est tournée vers France Takayasu : « Je peux ainsi constater la façon dont vivent les adultes atteints par cette maladie et me sentir moins isolée. Surtout, j’ai envie d’agir pour que d’autres enfants ne traversent pas la même errance médicale ». Quant à Valérie Salomone, elle a créé l’association Les Extra-Vaillants MYT1L qui multiplie les efforts pour assurer une information fiable et validée médicalement sur la pathologie à destination du personnel soignant et des patients. « Grâce à l’action commune de l’association, des médecins et des filières de santé, nous avons obtenu la reconnaissance de la maladie et la création d’un code Orphanet dédié », se félicite-t-elle.
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