Handicap : focus sur les consultations blanches ou d’habituation

Pour certains patients en situation de handicap, avec des troubles cognitifs et/ou du comportement ou encore des difficultés à communiquer, une simple visite chez un médecin généraliste peut se révéler très pénible. L’anxiété peut être décuplée lors de soins intrusifs, voire douloureux, comme une banale prise de sang. Des dispositifs d’habituation ont donc été mis en place ces dernières années afin que ces publics ne soient pas en situation de devoir renoncer aux soins, ce qui arrive très souvent, alors même leur santé est souvent plus fragile comparée à celle de la population générale.

Depuis le 1er avril 2022, dans le cadre de l’avenant n°9 à la Convention médicale, signé en 2021 entre les médecins libéraux et la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM), les médecins généralistes et spécialistes peuvent effectuer et facturer normalement une consultation dite « blanche ». Les textes indiquent qu’« une « consultation blanche s’entend d’une part comme le temps de rencontre planifié entre le patient vivant avec un handicap et le praticien ainsi que son lieu de consultation (appropriation de l’espace, du matériel, reconnaissance des personnes), ou d’autre part comme une consultation au cours de laquelle les soins prévus n’ont pas pu être réalisés compte tenu du handicap du patient ».

Manque de notoriété

Dans les faits, les consultations blanches ne semblent pas encore très connues, ni répandues. Fabien Ragouat, infirmier depuis deux ans à la Maison d’accueil spécialisée (MAS) de FontColombe, à Montpellier, a l’habitude d’accompagner ses résidents présentant des troubles du spectre autistique (TSA) à leurs consultations chez divers médecins. Il constate que peu de praticiens connaissent les consultations blanches ou prévoient des temps d’habituation. Ayant travaillé dix-huit ans aux urgences à l’hôpital public, il n’en avait d’ailleurs jamais entendu parler lui-même jusqu’à ce qu’il débute à FontColombe. Avec le recul, il trouve anormal qu’il n’y ait pas à l’hôpital de circuit dédié pour recevoir les personnes en situation de handicap et déplore que 3 des résidents de la MAS attendent depuis longtemps une solution pour passer un scanner, heureusement sans caractère d’urgence.

Jordi Valenzuela, directeur de l’association « A tes côtés », qui favorise le développement de l’autonomie et le lien social pour les personnes en situation de handicap, a également l’habitude d’accompagner, pour leurs soins, des jeunes qui souffrent de troubles du comportement et d’autisme. Il constate que même les neurologues et les psychiatres, qui ont pourtant vocation à suivre régulièrement ces patients ne proposent pas de consultation d’habituation, pas plus, que les médecins généraux et spécialistes libéraux de son réseau. Le Pr Sophie Siegrist, médecin généraliste, contactée par le Collège de médecine générale qui a interrogé ses membres suite à notre demande, reconnaît qu’elle et son interne entendent parler de consultations blanches pour la première fois, alors qu’elle est parallèlement vice-présidente de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de son territoire.

Des refus plus ou moins directement signifiés 

L’enquête de France Assos Santé de 2019 sur les Français et l’accès aux soins, incluant 1 002 répondants, révélait que 77 % des personnes en situation de handicap avaient renoncé ou reporté un soin. De son côté, le dernier baromètre d’Handifaction indique que 16 % des personnes en situation de handicap ont subi un refus de soins de la part d’un professionnel de santé, ce qui est illégal. Les refus de soins sont rarement ouvertement exprimés, mais dès lors que les praticiens ne changent absolument rien à leurs pratiques pour recevoir ces patients qui requièrent davantage d’attention, de temps et d’adaptation, ou font comprendre qu’il sera difficile d’organiser un autre rendez-vous, ces patients et leurs proches peuvent sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus et renoncer aux soins.

Pour le Pr Siegrist, « la formalisation par le législateur des consultations blanches peut être un moyen de faire prendre conscience des difficultés d’accès aux soins rencontrées par les patients porteurs de handicap ». Cependant, dans sa pratique quotidienne, il lui semble qu’elle a toujours « officieusement » pratiqué ce type de consultations, qui sont, pour elle, un soin en soi, même si elles ne donnent pas lieu à un acte technique ou à une prescription. La création des consultations blanches ne lui apparaît pas « aussi pertinente en médecine générale que pour d’autres spécialités impliquant des actes plus couramment techniques comme l’ophtalmologie, le dentaire ou la gynécologie ».

L’expérimentation d’habituation de HandiConsult34 pour aller plus loin

A Montpellier, l’article 51 de la loi de financement de 2018 de la Sécurité sociale, qui permet de tester des modèles de pour des organisations innovantes en santé, a permis à HandiConsult34 d’asseoir une expérimentation autour d’un ambitieux dispositif de consultations d’habituation particulièrement bien organisées, appelées « consultations dédiées ». Nées à la suite d’une instruction ministérielle de 2015 et jusqu’alors sous financées, les consultations dédiées, concernent, à l’origine, des publics de tous âges, tous handicaps, tous lieux de vie. Les équipes d’HandiConsult34 se sont, pour leur part, spécialisées dans l’accueil des personnes dyscommunicantes, atteintes notamment de troubles du spectre autistique ou de handicaps physiques lourds, toutes en échec de soins en milieu ordinaire. Au Centre Mutualiste Neurologique PROPARA, où HandiConsult34 est installée, les équipes soignantes proposent 6 types de consultations en médecine générale et somatique, en dentaire, en gynécologie, en ophtalmologie, en ORL et en imagerie. Le Dr Michel Delcey, médecin coordonnateur au sein de la structure précise qu’« une consultation dédiée l’est en termes de temps, de lieu, d’intervenants, d’attente, ou plutôt d’absence d’attente et qu’elle est avant tout un accompagnement aux soins ».

Au centre montpelliérain, cet accompagnement est réalisé par des personnels infirmiers et des aides-soignants, spécifiquement formés puis supervisés pendant deux ans, pour prendre en charge ces consultations d’habituation. Les autres praticiens se concentrent donc plutôt sur leur expertise, acceptent de « perdre le contrôle » de la consultation et viennent prendre leur place au moment où le patient est prêt à accepter les soins. Plus poussées que les consultations blanches, les consultations dédiées avec habituation sont financées dans l’expérimentation grâce à différents forfaits à la séquence de soins, qui se déclinent selon les spécialités médicales et les types de soins à prévoir. Le modèle a été validé fin 2023 par le rapport de l’évaluation finale, et sa transposition au niveau national est prévue dans les mois qui viennent. Fabien Ragouat qui accompagne de nombreux résidents de FontColombe à HandiConsult34 en parle comme d’un phare dans la nuit. De son côté, Jordi Valenzuela, qui fréquente aussi la structure pour les jeunes dont il a la charge, ajoute : « Je suis particulièrement touché par la bientraitance dont font preuve les équipes d’HandiConsult34 qui prennent tout le temps nécessaire et cherchent absolument à éviter l’immobilisation, que ce soit via une anesthésie générale ou une contention ». Restent à formaliser le cahier des charges des consultations dédiées et les modalités de leur généralisation, en espérant que l’exemple de l’Hérault sera une source d’inspiration et permettra aussi d’améliorer, de valoriser et de faire mieux connaître le récent dispositif des consultations blanches.

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