VIH : La science au galop, la prévention au pas

Si les progrès médicaux réalisés depuis les premiers cas identifiés d’infection par le VIH permettent aujourd’hui aux personnes séropositives de vivre une vie presque normale, les mentalités peinent à évoluer au même rythme et alimentent une sérophobie encore prégnante.

Quatre décennies seulement se sont écoulées depuis l’identification des premiers cas d’infections par le VIH en France. C’était en 1982. L’année précédente, la publication d’une agence épidémiologique américaine relevait une recrudescence anormale de pneumocystoses et de tumeurs cutanées appelées sarcome de Kaposi, des pathologies habituellement retrouvées chez les personnes immunodéprimées. 40 ans et quelque 40 millions de morts plus tard (source OMS 2022), le virus de l’immunodéficience humaine n’est plus le synonyme d’une condamnation à mort. Les innombrables travaux menés dans des laboratoires aux quatre coins du monde ont permis de jalonner ces 40 années d’avancées majeures. Mais les mentalités, elles, ont avancé à un rythme plus lent, encore parfois engluées dans une représentation archaïque du VIH et de ses conséquences.

Des médicaments toujours plus performants

« Pendant plusieurs années après la découverte du virus, il n’existait aucun traitement, souligne Julia Charbonnier, directrice de l’association de patients Actions Traitements. La première grande avancée date de 1987, avec l’AZT. » De façon inédite, un médicament antirétroviral montre enfin une efficacité pour contrôler la maladie, suscitant d’immenses espoirs. En réalité, le traitement n’est pas le miracle attendu et n’augmente que marginalement l’espérance de vie des personnes séropositives. La situation reste compliquée jusqu’à la conférence de Boston et l’adoption des trithérapies, en 1996. Ces combinaisons de trois molécules sont beaucoup plus efficaces pour réduire la multiplication du virus quantifiée par la charge virale et réduire le risque de survenue du Sida. Mais elles sont souvent mal tolérées, avec jusqu’à 10 comprimés à prendre chaque jour. Au cours des années 2000, ces produits commencent à être distribués sous forme de médicaments génériques, permettant aux pays en voie de développement d’y avoir moins difficilement accès. Les inégalités entre régions du monde restent néanmoins vertigineuses.

Dans le même temps, des médicaments nouveaux voient régulièrement le jour. « Le dernier événement majeur en la matière est la mise au point des inhibiteurs de l’intégrase, qui bloquent l’intégration du génome du VIH dans celui de la cellule cible, illustre Olivier Lambotte, professeur d’immunologie à l’Université Paris-Saclay. Disponibles depuis 2008, ils remplacent désormais les anti-protéase, qui étaient historiquement un élément majeur des trithérapies. » A la clé, la réplication virale est encore mieux endiguée, les résistances aux traitements se raréfient et les effets indésirables s’allègent. Une nouvelle étape importante est franchie en 2021, avec la possibilité laissée aux médecins généralistes de prescrire la PrEP, un traitement prophylactique préexposition jusqu’alors uniquement disponible en milieu hospitalier. « La PrEP fonctionne très bien, observe Le Pr Lambotte. C’est l’une des mesures qui a permis d’infléchir la courbe des contaminations dans la communauté des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). »

La conjugaison de toutes ces avancées participe enfin à l’allègement thérapeutique. « Allègement moléculaire, d’une part, en passant sur des traitements à base de bi bithérapies pour une meilleure tolérance par les patients, reprend Julia Charbonnier. Allégement séquentiel, d’autre part, c’est-à-dire un nombre décroissant de comprimés à prendre quotidiennement. »

Indétectable = intransmissible

Mis bout à bout, ces 40 ans de progrès ont radicalement changé la vie des personnes vivant avec le VIH. « La plupart des 170 000 personnes séropositives en France prennent un seul médicament par jour, qui est généralement bien supporté, résume Camille Spire, présidente de l’association Aides. La situation est parfois compliquée pour les patients qui ont connu les premières lignes de traitements et en subissent encore les effets indésirables, mais la grande majorité des patients ne rencontre pas de souci particulier et profite de la même espérance de vie que celle de la population générale. » De fait, les médicaments actuels permettent de rendre la quantité de virus tellement faible dans l’organisme qu’elle en devient indétectable. Par conséquent, le VIH ne peut plus être transmis.

C’est ce qu’a confirmé de façon éloquente l’étude Partner 2[1], publiée en 2019. Conduite auprès de 972 couples homosexuels sérodifférents (l’un est séronégatif, l’autre séropositif sous traitement), elle observe qu’aucun cas de transmission n’a été relevé entre les partenaires, malgré 75 000 actes sexuels sans préservatif. L’équation est donc simple : i = i, soit indétectable = intransmissible. Cela ne signifie pas la guérison, car le virus reste présent et prolifèrerait à nouveau si le traitement était interrompu. Mais, cette possibilité de contrôler parfaitement sa réplication change radicalement la donne pour les personnes infectées. De la sexualité à la possibilité de porter un enfant, tous les interdits autrefois opposés aux patients séropositifs relèvent désormais de l’archaïsme. « Vivre avec le VIH aujourd’hui en France, pour les porteurs les plus récents du virus, c’est finalement « juste » avoir une maladie chronique pour laquelle on doit suivre un traitement, et qui n’empêche pas de vivre une vie normale », commente Camille Spire.

Une infection qui reste mal connue

Reste que les progrès médicaux ont, jusqu’à présent, été insuffisants pour changer profondément les images associées au VIH et, par ricochet, celles des personnes séropositives. « La méconnaissance sur le sujet reste abyssale, regrette Camille Spire. En 2016, une enquête montrait que 85 % de la population ignoraient qu’une personne séropositive sous traitement ne pouvait pas transmettre le virus. Depuis, la situation n’a guère progressé ». Elle s’est même peut-être aggravée, en particulier parmi les 15-24 ans. Dans un sondage de l’IFOP publié en mars 2022, ils sont ainsi 31 % à s’estimer mal informés sur le VIH, soit 20 points de plus qu’en 2009. Et moins d’un sur deux affirme disposer d’une bonne information sur les lieux où il peut être dépisté. « Pour les plus jeunes, l’épidémie de VIH est souvent vue comme le problème d’une autre génération, analyse Camille Spire. Ils se sentent moins concernés et souffrent d’un déficit de connaissances, y compris à propos des modes de transmission. Près du quart d’entre eux pensent par exemple que le VIH peut être transmis par le baiser. Les pouvoirs publics portent assurément une part de responsabilité. D’abord en n’abordant pas suffisamment les questions relatives à la sexualité et à la prévention dès le collège. Ensuite, par des lacunes en termes de campagnes de santé publique. Rien notamment sur la PrEP au niveau national. Pas davantage de communication de grande ampleur sur l’absence de transmission chez les personnes sous traitement. D’une façon plus générale, les grandes avancées et l’état de la science sont trop peu communiquées au grand public. »

Mais au-delà d’un déficit de culture scientifique et médicale, cette ignorance entretient de surcroît un rejet des personnes infectées par le VIH. Les associations de patients sont unanimes : 40 ans après les débuts de l’épidémie, la sérophobie est toujours d’actualité en France. Qu’elle se nourrisse d’incompréhension, de peur, d’homophobie, de considérations religieuses ou morales, elle perdure dans toutes les strates de la société. « La science a clairement avancé plus vite que les mentalités, rapporte la présidente de Aides. Cela s’illustre par la peur d’engager une relation sentimentale avec une personne séropositive, par la crainte de révéler son statut sérologique auprès de ses proches… Dans les entreprises, des salariés sont parfois mis au placard et près d’un quart des Français seraient gênés de travailler avec une personne séropositive. On retrouve des discriminations jusqu’au sein du monde médical, avec des rendez-vous décalés en fin de journée voire des refus de soins, notamment chez les dentistes et les gynécologues. Au total, c’est une accumulation de stigmatisations, comme un bruit de fond, qui obère la qualité de vie des patients et qui touche avec d’autant plus de violence les plus fragiles, qui sont aussi les plus exposés au virus. » Dans leurs rangs, les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes migrantes, les usagers de drogues, les HSH, les personnes incarcérées : autant de minorités particulièrement concernées par l’épidémie de VIH mais vers lesquelles ne s’orientent pourtant pas prioritairement les efforts de prévention et de dépistage. « C’est un public qui n’intéresse pas vraiment le monde politique, tempête Camille Spire. Mais tant qu’il existera des discriminations, il sera impossible de mettre fin à l’épidémie. De nombreuses mesures pourraient pourtant aider à réduire les risques : meilleure reconnaissance de l’accompagnement communautaire, abrogation de la loi de 1970 sur l’usage de produits psychoactifs, évolution de la politique migratoire avec un véritable accès de fait à l’Aide médicale d’urgence, dépénalisation des clients des travailleuses et travailleurs du sexe… »

Du mieux à l’horizon

Fort heureusement, le tableau n’est pas complètement noir pour les personnes séropositives. Alors que l’accès aux métiers de la sécurité publique leur était encore interdit par principe jusqu’à très récemment, la loi relative aux restrictions d’accès à certaines professions en raison de l’état de santé, adoptée définitivement le 21 novembre 2021, a mis fin à cette situation. Clin d’œil à la Journée mondiale de lutte contre le Sida, c’est le 1er décembre 2022 que ce texte doit entrer en vigueur et permettre aux personnes porteuses du VIH de candidater aux métiers de l’armée, la police et la gendarmerie. Autre modification importante pour les patients, la convention AERAS (Assurer et emprunter avec un risque aggravé) a récemment été assouplie pour offrir un accès à l’emprunt financier plus facile aux personnes séropositives. Concrètement, fini les surprimes et les exclusions de garantie dès lors qu’on présente une charge virale indétectable et un taux de CD4 supérieur ou égal à 500 CD4/mm3 depuis 12 mois.

Dépistages en baisse, l’effet Covid

La crise du Covid a participé à la dynamique de désintérêt et de méconnaissance, notamment en monopolisant l’espace médiatique. « La perception des risques induits par les maladies en population générale peut varier dans le temps, sans nécessairement refléter l’importance relative du risque propre à chacune, rappelle le Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé. Les comportements sont susceptibles d’être influencés par des coups de projecteurs donnés à d’autres pathologies. » Il n’est donc pas surprenant que le nombre de dépistages ait nettement reculé en 2020. S’il remonte doucement depuis 2021, il n’a pas encore rattrapé son niveau pré-Covid. « Difficile de savoir ce qu’on découvrira quand les dépistages auront retrouvé leur rythme, soulève Camille Spire. Le retard occasionné par la crise sanitaire entraînera nécessairement des diagnostics tardifs. » Avec, à la clé, des comportements à risques susceptibles d’avoir perduré pendant tous ces mois perdus, et une prise en charge médicale plus difficile que lorsqu’elle intervient rapidement après l’infection.

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