En avant marche ! Les irréductibles fibromyalgiques de la Maison de Santé de Prayssas

Avec 11,5 généralistes pour 10 000 habitants, ainsi que des délais d’attente et des temps de trajets très longs pour consulter un spécialiste, le Lot-et-Garonne est un département où l’accès aux soins est loin d’être simple.

Pourtant, à Prayssas et Port-Sainte-Marie, près d’Agen, deux maisons de santé ont conjugué leurs ressources et leurs talents pour créer un Pôle santé dynamique et attractif. Il n’est pas rare que des professionnels de santé veuillent s’y installer et participer à un véritable travail d’équipe qui met en avant une pratique résolument centrée sur les patients. Ces derniers plébiscitent évidemment ce modèle bienveillant et se sont d’ailleurs engagés pour soutenir leurs professionnels de santé en créant une association de patients et divers groupes, dont un autour de la fibromyalgie.

En effet, le docteur Kempler, installé à la Maison de santé de Prayssas, généraliste et titulaire d’un DU « douleur », y a initié une consultation spécialisée sur les douleurs chroniques et il n’a pas tardé à identifier sur son territoire, un grand nombre de patients fibromyalgiques, malheureusement souvent en errance diagnostique depuis plusieurs années. Sous l’impulsion du docteur, soutenu par l’équipe de soin du Pôle santé, ces patients se rencontrent et s’entraident désormais régulièrement.

Une consultation douleur en ville ?

Après une thèse portant sur le parcours de patients douloureux, le docteur Kempler se met en tête de créer un centre de la douleur en médecine de ville, et de la traiter comme une spécialité de soins primaires. Il précise :  « 2/3 des douloureux chroniques en parlent à leur généraliste, malheureusement seuls 3% d’entre eux finiront par pousser, après de très nombreuses années d’errance et de souffrance, les portes d’un centre anti-douleur, qui sont surchargés et par ailleurs tous rattachés à un centre hospitalier. Il est temps de multiplier des consultations douleur en ville et non plus seulement à l’hôpital. ». C’est donc à la Maison de santé de Prayssas que le docteur Kempler lance son projet, non pas vraiment en ville d’ailleurs, mais en pleine zone rurale, dans un département où il n’y a qu’un seul et unique médecin algologue qui répartit ses consultations entre plusieurs petits hôpitaux du Lot-et-Garonne et qui a 3 à 6 mois d’attente. Après 4 ans, le Dr Kempler en est désormais à une centaine de consultations douleur par an, pour des patients qui viennent de tout le département et dont les 2/3 pour de la fibromyalgie. Après quelques mois, il a donc mobilisé une équipe pluridisciplinaire au sein de son Pôle santé, dédiée à la fibromyalgie, avec des infirmiers, des kinésithérapeutes et des psychologues, pour assurer une prise en charge optimale de ces patients. Un réseau de sophrologues et d’ostéopathes qui ont l’habitude de travailler avec le Pôle santé a également été sensibilisé à l’accompagnement des patients fibromyalgiques.

Ainsi Laurence, infirmière Asalée* rattachée au Pôle santé, a-t-elle tout particulièrement travaillé sur de la remise en mouvement des patients douloureux chroniques. Pour cela, elle propose, en plus des consultations individuelles classiques avec une approche globale du retentissement de la douleur sur la vie des patients, un modèle de consultations qui se déroulent en marchant.

La naissance des « Cafés-Fibro »

Pourquoi cette surreprésentation des patients fibromyalgiques aux consultations douleur du Pôle Santé ? Elle s’explique notamment par le fait que cette pathologie est encore trop peu reconnue ou enseignée en faculté de médecine, même si les choses bougent ces dernières années, par exemple grâce à l’expertise collective sortie par l’INSERM en 2020. Les personnes qui ont des migraines vont chez le neurologue, ceux qui ont des lombalgies voient un rhumatologue, un chirurgien ou un kinésithérapeute, selon des protocoles bien établis. En revanche, mis à part quelques rhumatologues sensibilisés à la fibromyalgie, les patients qui en souffrent n’ont personne vers qui se tourner, sans compter que pour beaucoup de professionnels de santé, c’est une maladie énigmatique, pour ne pas dire parfois fantômatique.

Fort de ce constat, l’équipe douleur du Pôle santé inaugure une première rencontre avec une vingtaine de patients fibromyalgiques et des soignants, le 12 mai 2021 à l’occasion de la Journée mondiale de la fibromyalgie. Il est alors proposé aux malades de continuer à échanger entre eux, au travers d’un groupe fermé créé sur Facebook (Groupe Fibromyalgie 47) et d’événements réguliers, notamment les « Cafés-Fibro », qui se passent, soit exclusivement entre patients, soit avec la présence d’un des professionnels du Pôle santé. L’un des Cafés-Fibros a ainsi eu lieu dans le jardin thérapeutique d’une des patientes formées à la naturopathie, un autre autour de la réflexologie également pratiquée par l’une des participantes fibromyalgiques.

Le but est que les patients soient autonomes dans l’organisation du groupe fibromyalgie, même si les professionnels de santé répondent présents à leurs sollicitations. Trois professionnels du Pôle santé suivent le groupe sur Facebook mais ils interviennent rarement : « C’est arrivé dernièrement, car sur Facebook, plusieurs patients se sont plaints d’avoir la voix enrouée. J’ai donc fait des recherches qui m’ont effectivement conduit à ajouter à la fibromyalgie ce symptôme supplémentaire. De la même façon, j’ai également apporté un niveau de preuve scientifique par rapport à la balnéothérapie que certains patients pratiquent. », relate le docteur Kempler.

Les patients au cœur de la pratique du Pôle Santé

« Durant mon DU Douleurs, j’ai été très sensible à l’intervention en faculté de médecine, de Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France et patiente-experte sur cette pathologie. Je trouve très important que des patients viennent parler aux étudiants. La médecine est devenue très technique et spécialisée et les généralistes ne peuvent pas être experts en tout. En outre les patients ont désormais la possibilité de s’informer de plus en plus et de mieux en mieux sur leur maladie. Cela a du sens de travailler sur des décisions partagées avec les patients. », expose le Dr Kempler. C’est aussi l’avis de Françoise Trégoat, Présidente de l’association des Usagers du Pôle santé de Port-Sainte-Marie et Prayssas, qui compte une dizaine de personnes actives et environ 35 adhérents et dont l’objet est de faire le lien entre les usagers et professionnels de santé, de donner son avis et de faire des propositions sur le fonctionnement du Pôle santé, et également de mettre en place et favoriser des actions autour de la santé. Elle commente : « Nous nous réunissons régulièrement, parfois avec le personnel soignant, et mettons en commun des réponses à des attentes émises par eux ou par nous. Par exemple, au début, il y avait un problème d’isolation phonique entre les salles d’attente et les salles de consultation. Nous avons donc soutenu une demande auprès de la communauté de communes, qui est à l’origine de la création des locaux, pour l’installation d’un matériel sono dans les salles d’attente, afin de réduire ce désagrément. Nous avons également créé et installé des « totems » en bois munis de « boîtes à idées » dans les salles d’attente, pour faire remonter les remarques des patients. Nous y affichons nos actions comme les ciné-débats-santé où nous convions des professionnels, notre travail autour des gestes de premiers secours qui a eu lieu dans la salle des fêtes du village avec le concours des pompiers et des médecins du Pôle santé, nos journées de rencontres entre usagers et professionnels au sein de la Maison de santé, etc. Les divers groupes qui se forment autour du Pôle santé, comme celui sur la fibromyalgie, ou celui qui concerne la lutte contre le tabagisme, renforcent la coopération entre usagers et professionnels de santé et cela améliore évidemment notre système de santé. ».

Paroles de patientes des cafés-fibros

C’est compliqué de se faire soigner dans le Lot-et-Garonne, toutes maladies confondues.
Je souffre de fibromyalgie depuis l’adolescence mais j’ai été diagnostiquée il y a une quinzaine d’années seulement, à Toulouse, par un rhumatologue, suite à une orientation par mon médecin traitant. J’ai commencé mes rendez-vous à la consultation douleur du Pôle Santé après la journée de la fibromyalgie organisée à Prayssas en 2021. Aujourd’hui j’ai pris du recul par rapport à la maladie, j’ai acquis une certaine autonomie et j’arrive à apprécier les bons moments.
J’aime partager mes expériences avec les autres malades d’autant que mes enfants sont également fibromyalgiques. J’aime pouvoir donner du temps pour les autres. Je modère beaucoup le groupe Facebook avec Jeanne.
En tant que patient fibromyalgique, on a tous une expérience plus ou moins longue par rapport à nos douleurs. Le rôle des médecins est surtout de nous apporter leurs compétences médicales mais c’est aux patients de faire bouger les lignes, notamment sur la reconnaissance de cette maladie. Il y a encore tant de gens qui souffrent et s’isolent.
Au sein du groupe, on n’a pas toujours le temps de se rencontrer physiquement, d’autant que dans notre département les distances en voiture sont longues, mais grâce aux réseaux numériques, on peut penser souvent aux autres, se soutenir mutuellement. Nous partageons nos expériences de thérapies non médicamenteuses. De mon côté, j’expérimente par exemple un dispositif de neurostimulation appelé TENS et grâce aux échanges dans le groupe, j’ai également essayé la méditation alors que je n’y croyais pas trop. Ca me paraissait être une perte de temps, et cela m’a plu finalement.
Nos participations au groupe dépendent de notre état de santé mais nous sommes toujours enthousiastes à l’heure de nous retrouver.
Pour moi l’objectif est aussi de réussir à sensibiliser la population, de faire comprendre au grand public que cette maladie, ce n’est pas dans notre tête. Et également faire bouger les lignes sur le plan administratif car on peut rapidement se retrouver sans travail, ni revenu et il faut absolument que les soignants et les institutions reconnaissent à quel point cette maladie peut être invalidante.
C’est une aubaine d’avoir un jeune médecin spécialiste de la fibromyalgie sur notre territoire et il faut aussi savoir être reconnaissants envers des médecins aussi engagés et les accompagner à notre façon en tant que patients.

Sylvie, 52 ans

Mon diagnostic de fibromyalgie se mêle à des signes de poly-neuropathies diffuses. Les douleurs sont apparues il y a une dizaine d’années et la démographie médicale mal spécialisée du Lot-et-Garonne explique, en partie, ma grande errance diagnostique. J’ai été adressée au Dr Kempler par mon médecin traitant qui ne savait plus comment m’aider face à ma maladie qui a empiré ces deux dernières années et mon traitement ne me soulageant pas. J’ai rejoint le groupe fibromyalgie qui est également un bon soutien. La parole est libérée et se fait sans jugement. L’intérêt des Cafés-Fibro est toujours grand, surtout quand de nouvelles personnes arrivent. Pour continuer à l’animer, il est nécessaire de renouveler les thématiques et les modes de rencontres. C’est pourquoi j’ai volontiers ouvert au groupe mon potager thérapeutique pour l’un de nos rendez-vous. C’est important pour nous d’échanger afin d’éviter de nous isoler dans notre maladie. En outre, cette façon d’impliquer autant les patients est innovante mais essentielle. Je suis moi-même infirmière, et il y a quelques années, alors que j’ai eu un grave problème de santé, j’ai réalisé qu’il fallait que le corps médical change de posture vis à vis des malades. Tout ne peut pas être descendant, depuis les professionnels de santé vers les malades. Il faut initier plus d’échanges. Heureusement les choses bougent avec la nouvelle génération de médecins qui sont beaucoup plus centrés sur les patients, qui se soucient des retours qu’ils leur font.

Jeanne, 46 ans

On m’a posé un diagnostic de fibromyalgie il y a 3 ans, mais j’en souffre depuis l’âge de 17 ou 18 ans. Jusque-là j’ai surtout souffert de grosses fatigues plus que de douleurs, qui sont apparues assez récemment. Rejoindre le groupe m’a fait beaucoup de bien car je me sentais très seule face à ma maladie. Mes proches ont surtout considéré que ma fatigue était la conséquence de mes études, puis de problèmes digestifs dont j’ai souffert, puis de mes grossesses. Je peux mieux réaliser grâce au groupe, qu’il s’agit bel et bien d’une maladie en soi, et que nous avons toutes cette crainte de paraître « folles » quand on parle de nos symptômes qui ne se voient effectivement pas, surtout que je suis encore jeune et que mes amis ne comprennent pas toujours que je décline leurs invitations. J’ai également mis du temps à admettre qu’il n’y avait pas de solution miracle pour guérir de la fibromyalgie, qu’il allait falloir que je l’accepte, que j’apprenne à vivre avec. Le fait qu’il y ait une vraie coordination entre les patients et les professionnels de santé me fait me sentir encore plus soutenue, entendue, comprise. Inversement, j’ai l’impression de participer à un projet qui peut aider d’autres malades. Il se trouve que par ailleurs, je suis réflexologue de formation et je suis contente de pouvoir réfléchir à ma pratique par rapport à la fibromyalgie et à la prise en charge de la douleur, grâce aux retours des autres patients du groupe. Au sein du groupe, nous nous échangeons des astuces non médicamenteuses et certaines m’ont aidées à me soulager. Le regard des professionnels de santé sur notre groupe est très intéressant et permet parfois de nourrir les échanges avec des validations scientifiques.

Edith, 33 ans

A noter à l’occasion de la journée mondiale de la Fibromyalgie

  • Les événements organisés par FibromyalgieSOS : Voir le programme
  • Et bien sûr, la Journée mondiale de la fibromyalgie organisée par le groupe Fibromyalgie 47, qui aura lieu le 12 mai à la salle des fêtes de Prayssas (voir affiche ci-dessous)

*Asalée (Action de santé libérale en équipe), est un dispositif de coopération entre infirmiers.ères et médecins généralistes, créé dans le but d’améliorer la prise en charge de patients souffrant de certaines pathologies chroniques.

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