Le taux de mortalité infantile augmente depuis 2012 en France

Une analyse des données d’état civil de l’INSEE entre 2001 et 2019, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’AP-HP et du CHU de Nantes, en collaboration avec des équipes de l’Université de Californie, ont révélé que le taux de mortalité infantile augmente régulièrement depuis 2012 en France.

Selon Jennifer Zeitlin, épidémiologiste à l’INSERM et qui a participé à cette analyse, il n’y a cependant pas de quoi inquiéter les futures mamans qui ont prévu d’accoucher en France. En revanche, maintenant que les pays développés atteignent une mortalité infantile assez basse et que leur taux diminue de façon plus lente, il n’est pas normal que cette mortalité stagne, voire qu’elle augmente, même légèrement, durant plusieurs années consécutives.

Sans avoir encore pu identifier clairement les facteurs responsables de cette tendance, la chercheuse de l’INSERM a répondu aux questions de 66 Millions d’Impatients pour contextualiser ces données et pour suggérer des pistes d’explication.

66 Millions d’Impatients : Comment a évolué, en France, durant ces dernières décennies, le taux de mortalité infantile et avons-nous de bons résultats par rapport aux pays avec qui ce taux est comparable ?

Jennifer Zeitlin : En France, avec un taux de 3,56 décès pour 1000 naissances vivantes en 2019, nous sommes proches de pays voisins, comme le Royaume-Uni (3 ,7/1000 naissances), les Pays-Bas (3,6/1000) ou encore l’Allemagne, où le taux est légèrement plus bas (3,2/1000).

Pour rappel, depuis 60 ans, la mortalité infantile en France a été divisée par 2 environ tous les 15 ans. En 1960, elle était de 28/1000, en 1975, elle était de 14/1000 et en 1990 de 7,3/1000 naissances. Bien-sûr, plus on arrive à des chiffres bas, comme c’est le cas dans la plupart des pays développés, moins on fait de progrès sur la mortalité infantile. Il y a pourtant des pays européens, notamment les pays nordiques, dont le taux de mortalité infantile a continué de baisser ces toutes dernières années et qui sont désormais autour de 2/1000 naissances, comme la Norvège ou l’Islande. Cela nous laisse un espoir d’améliorer encore significativement nos résultats.

66 Millions d’Impatients : Loin d’améliorer nos résultats, au contraire, depuis 2012, la mortalité infantile en France a augmenté un peu chaque année ?

Jennifer Zeitlin : Tout à fait puisque l’on observe une légère augmentation entre 2012, où la mortalité infantile était à 3,32/1000, et 2019 où elle était à 3,56 décès pour 1000 naissances vivantes. Pour l’instant nous n’avons pas fait d’analyses permettant de dire que cela est lié à tel ou tel phénomène ou facteur.

Il n’y a cependant pas de quoi affoler les mamans ; cela reste une grande chance d’accoucher en Europe car dans certains pays développés, le taux de mortalité infantile est bien plus élevé que chez nous. Il était par exemple de 5,7 pour 1000 aux États-Unis en 2018.

66 Millions d’Impatients : Quels sont les facteurs sur lesquels il est difficile d’agir ?

Jennifer Zeitlin : Il y a effectivement certaines composantes de la mortalité infantile sur lesquelles n’importe quel pays aura du mal à agir une fois qu’elle atteint un niveau très bas. C’est le cas pour la très grande prématurité ou pour les anomalies congénitales létales. Sur ces anomalies congénitales, une des façons d’agir est de dépister pendant la grossesse et de pratiquer une interruption médicale de grossesse. Sur ce point, en France, il existe une politique très active de dépistage des anomalies congénitales et de proposition d’interruption médicale de grossesse. Ce n’est donc probablement pas un levier sur lequel nous pourrions beaucoup intervenir, en l’état actuel des connaissances, pour faire baisser le taux de mortalité infantile dans notre pays. Certains analystes pointent le fait qu’il y a une tendance, depuis quelques années, chez les couples concernés, à vouloir poursuivre la grossesse jusqu’à son terme, malgré des chances de survie extrêmement faibles pour l’enfant. Il s’agit, je crois, d’une tendance à la marge qui ne peut pas vraiment expliquer l’augmentation des taux de mortalité infantile constatée depuis 2012.

66 Millions d’Impatients : Et sur le sujet de la grande prématurité, quelle est votre analyse ?

Jennifer Zeitlin : C’est un point intéressant car il met en lumière le fait que le taux de mortalité est lié à la façon de comptabiliser les naissances. En l’occurrence, avant 2015 en France, on intervenait peu pour réanimer les extrêmes prématurés par rapport aux autres pays européens et cela commence à changer. Ainsi, plus d’enfants probablement, depuis ces années-là, sont comptabilisés dans les bébés nés vivants et cela pourrait expliquer en partie l’augmentation du taux de mortalité infantile, car leur taux de survie est très bas..

66 Millions d’Impatients : Quels autres facteurs pourraient expliquer cette hausse de notre mortalité infantile et comment pourrait-on inverser cette tendance ?

Jennifer Zeitlin : Il n’y a probablement pas un seul facteur qui explique l’augmentation du taux de mortalité infantile en France, mais très vraisemblablement un faisceau de facteurs. Plusieurs hypothèses sont émises. La première est liée à l’évolution des caractéristiques des femmes enceintes. Par exemple les mères sont aujourd’hui de plus en plus âgées. En effet, avec l’âge, non seulement les chances d’être enceinte s’amenuisent, mais les complications durant la grossesse augmentent très nettement. L’obésité également pourrait être un facteur faisant obstacle à l’amélioration du taux de mortalité infantile, car elle a sérieusement augmenté ces dernières années dans notre pays, or le surpoids et l’obésité peuvent aussi entrainer des complications pendant la grossesse. Enfin, le pourcentage de femmes, en France, qui continuent de fumer pendant leur grossesse est élevé. C’est un facteur qui nous distingue, par exemple, des pays nordiques où le tabagisme diminue chez les jeunes femmes.

Sur les deux derniers facteurs, des politiques de prévention pourraient être menées et permettraient sans doute d’améliorer le taux de mortalité infantile. Sur l’âge des mères, il semble plus difficile d’agir, même si en Finlande par exemple, l’Etat a mis en place, pendant quelques temps, une politique visant à encourager les femmes à faire des enfants un peu plus jeunes.

Il y a un autre facteur significatif sur lequel il serait possible d’agir et qui est lié au fait que partout dans le monde, et la France n’y échappe pas, les taux de mortalité infantile sont plus élevés chez les femmes socialement défavorisées, notamment parce qu’elles sont plus nombreuses à accoucher prématurément. Cela semble logique puisque l’on sait déjà que la santé des femmes les plus défavorisées, et a fortiori des femmes migrantes ou réfugiées, est moins bonne, en partie parce qu’elles connaissent moins bien le système de soin et ont des difficultés à y accéder. En affinant la compréhension des facteurs qui expliquent cette situation ou en réussissant à réduire les inégalités sociales, il y a une chance que cela permette de réduire le taux de mortalité infantile.

66 Millions d’Impatients : Saura-t-on bientôt pourquoi le taux de mortalité infantile en France a augmenté ?

Jennifer Zeitlin : Pour l’instant aucune analyse n’a été entreprise pour expliquer cette tendance à la hausse du taux de mortalité infantile en France. Ce type d’analyses est d’ailleurs dépendant de nombreuses données encore trop éparpillées, car récoltées par diverses institutions en France (données hospitalières, INSEE, INSERM, CNAM, etc.). Cependant, avec la mise en place du Système national des données de santé (SNDS), on progresse et nous pourrons bientôt plus facilement croiser ces données pour  identifier les facteurs qui influent sur l’évolution de la mortalité infantile. Comprendre les facteurs en cause dans la mortalité infantile permettra aussi d’améliorer, dans son ensemble, la santé périnatale. Je vous propose donc un rendez-vous dans 5 ans pour vous expliquer les raisons qui ont conduit à la hausse de la mortalité et énoncer des pistes d’action.

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