Née de la loi de modernisation de notre système de santé 2016, la nouvelle profession d’infirmier.e.s de pratique avancée (IPA) vient améliorer l’accès aux soins et les parcours des patients, dans un contexte où la démographie médicale est en baisse et où les malades chroniques sont de plus en plus nombreux.
Cette mesure est basée sur la montée en compétences, d’infirmier.e.s diplômé.e.s d’Etat (IDE) vers le diplôme d’Etat d’IPA. La 1ère promotion d’IPA est sortie en 2019 et l’on en attend environ 5000 d’ici 2024.
Leur rôle n’est pas d’effectuer les actes dispensés par les IDE, mais de se consacrer au suivi de malades chroniques, et cela uniquement dans le cadre d’une équipe de soins coordonnée par un médecin.
Bien que séduisante sur le papier et sur le terrain – puisque nos témoignages de patients suivis par des IPA sont enthousiastes – cette nouvelle profession est pour l’instant freinée par un modèle économique non viable et des réticences de certains médecins qui y voient une forme de concurrence. Ajoutons à cela le manque de marge de manœuvre dans l’exercice de leur pratique : il n’en faut pas moins pour avoir déjà découragé nombre d’IPA, qui sont retournés à leur exercice d’IDE, faute de patientèle. Cependant, un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), rendu au début du mois de janvier 2022, a d’ores et déjà pointé ces obstacles et semble annoncer un nouveau départ pour les IPA.
Qui sont les IPA et où travaillent-elles (ils) ?
Le diplôme d’Etat d’IPA se passe en 2 ans et est ouvert aux infirmier.e.s diplômé.es d’Etat (IDE) ayant au moins 3 ans de pratique et étant inscrit.e.s à l’ordre national infirmier. Ce diplôme d’Etat correspond à un grade universitaire de master et est dispensé dans une trentaine d’universités en France.
Lors de la seconde année de formation, la ou le futur.e IPA choisit de se spécialiser et 5 filières lui sont proposées :
- Les pathologies chroniques stabilisées, la prévention et les polypathologies courantes en soins primaires
- L’oncologie et l’hémato-oncologie
- La maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale
- La psychiatrie et la santé mentale
- Les urgences
Les IPA peuvent pratiquer en établissement de santé, médico-social, dans un hôpital des armées, ou encore en ambulatoire (par exemple dans une maison ou un centre de santé, un centre médical des armées ou en assistance d’un médecin spécialiste), mais toujours dans le cadre d’une équipe de soins coordonnés par un médecin.
Les IPA peuvent exercer en libéral ou être salariés.
Quelles sont les missions des IPA ?
Concrètement, le rôle des IPA est d’assurer le suivi de patients en coordination avec le médecin. Ainsi que le précise le Code de la santé publique, l’IPA : « est compétent pour conduire un entretien avec le patient qui lui est confié, effectuer une anamnèse de sa situation et procéder à son examen clinique. ». Pour ce faire, les IPA peuvent réaliser :
- Des activités d’orientation (vers des spécialistes par exemple), d’éducation, de prévention ou de dépistage
- Des actes d’évaluation et de conclusion clinique (ils peuvent par exemple interpréter des résultats d’examens, mais si ces derniers nécessitent un diagnostic ou une prescription, les IPA s’adresseront alors forcément à un médecin)
- Des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique (électrocardiogramme, spirométrie, etc.)
- Des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire
- Des prescriptions d’examens complémentaires (bilan sanguin, urinaire et radiologique)
- Des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales (médicaments, soins infirmiers, dispositifs médicaux)
Le terme « infirmier.e » de pratique avancée pourrait cependant induire un peu en erreur car en réalité, les IPA ne réalisent plus les soins infirmiers généraux. Lorsqu’il y a des soins à prévoir, par exemple pour un suivi de pansement de plaie ou des prises de sang, l’IPA oriente ses patients vers un.e infirmier.e diplômé.e d’Etat ou un laboratoire. « Ce serait de la captation, du détournement de patientèle si nous effectuions les actes que nous prescrivons nous-mêmes », explique Sébastien Chapdaniel, Président de l’association SOFRIPA (Société française de recherche des Infirmiers en pratique avancée).
Géraldine, patiente de 55 ans souffrant de diverses maladies chroniques, témoigne : « L’IPA me permet d’assurer un suivi intermédiaire et de me rassurer entre deux visites chez mon médecin. Par exemple, la semaine dernière, l’IPA m’a fait un électrocardiogramme et l’a transmis à un cardiologue pour savoir si mon état nécessitait une prise en charge urgente. Heureusement, il n’y avait rien de grave mais j’ai obtenu, avec l’aide de l’IPA, un rendez-vous avec un cardiologue du CHU en 3 semaines. Seule, j’aurais eu ce type de rendez-vous dans plusieurs mois. ».
Coût, rythme des rendez-vous, remboursement des ordonnances, etc.
Après une première consultation, obligatoirement orientée par un médecin, les visites chez un.e IPA fonctionnent au forfait, par trimestre, et elles ne sont pas limitées.
Le coût pour le 1er trimestre est de 58€, puis 32€ pour les autres trimestres. Les compteurs sont remis à zéro au 1er janvier de chaque année. Le forfait est pris en charge à 100% pour les malades en ALD (Affection Longue Durée).
Ce fonctionnement économique pose cependant problème aux IPA déjà installé.e.s, qui pointent le fait que les visites illimitées et leur durée – a priori plus longues que celles d’une consultation chez un médecin – ne leur permettent pas de gagner leur vie. Tatiana Henriot, IPA en région parisienne commente : « C’est très frustrant de gagner moins bien ma vie alors que je suis retournée à l’université pendant 2 ans. Je suis IPA depuis juillet 2019, et je dois maintenir une activité mixte pour pouvoir subvenir à mes besoins du fait d’un modèle économique non adapté à notre activité d’IPA libérale. Par ailleurs, au cours de nos études, nous apprenons aussi à baliser des parcours de santé sur nos territoires afin de collaborer avec tous les acteurs pertinents et récolter des données probantes pour les intégrer à nos pratiques. Ce sont des missions transversales non financées, qui devraient représenter 30% de notre travail et que nous n’avons pas les moyens d’exercer. ».
Côté ordonnance, les pharmaciens connaissant encore peu le métier d’IPA, il arrive qu’ils mettent du temps à savoir comment fonctionne le remboursement de leurs prescriptions. Le cas d’Eric, dans le Gard le démontre : selon ses trajets et qu’il prend des médicaments pour lui ou pour ses parents, il se sert dans 3 pharmacies différentes et a remarqué que certains pharmaciens refusaient les ordonnances de son IPA mais qu’avec le temps, les choses se sont assouplies.
Un soutien aux médecins, et non pas de la concurrence
L’un des problèmes repris dans le rapport de l’IGAS, par rapport aux IPA, est qu’il est difficile pour eux de trouver leur juste place. Le rapport souligne (p.71) : « La mission note que le nombre de patients confiés a été largement surestimé sans tenir compte des difficultés à constituer une patientèle face aux réticences des médecins et à la méconnaissance de cette profession. ». Ainsi, aujourd’hui, un grand nombre d’IPA envisage tout simplement d’arrêter leur activité d’IPA, déplorent Tatiana Henriot et Sébastien Chapdaniel. Pour Nicolas Brun de l’UNAF, le métier d’IPA est un bénéfice en termes d’accès aux soins pour toutes les personnes qui ont du mal à obtenir un rendez-vous avec leur médecin dans des délais pertinents par rapport à leurs besoins médicaux. Il regrette cependant ce problème récurent de certains médecins qui se disent débordés mais ne veulent pas déléguer quelques unes de leurs missions, craignant que cela les prive de travail.
La mission de l’IGAS propose donc de revoir cette étape de la primo-orientation par un médecin et parle également d’assouplir les conditions de leur exercice.
« Pour l’instant, la loi ne permet donc pas qu’un patient appelle directement un IPA pour un premier rendez-vous. Il doit obligatoirement être orienté par un médecin. Pour ma part, comme je suis installé dans le village dont je suis originaire, plusieurs personnes que je connaissais ont souhaité prendre rendez-vous avec moi. Heureusement, les deux médecins qui travaillent dans le même cabinet que moi sont très coopératifs, et ont accepté de faire cette orientation pour les patients qui désiraient me voir. En outre, à ce jour, dans 80% des rendez-vous que je réalise avec mes patients, je fais appel au médecin car les textes ne permettent pas aux IPA d’exercer sereinement et avec autonomie. En effet, le décret précise que le choix thérapeutique et la conduite diagnostique sont définis par le médecin. Ainsi, par exemple, lorsqu’un patient vient me voir pour son suivi d’asthme et m’indique une douleur car il s’est cogné la veille, je ne peux pas lui prescrire de paracétamol, car il s’agit alors d’un choix thérapeutique. Je fais cependant gagner du temps au médecin, car je lui présente le tableau clinique rapidement et demande une simple validation mais je dois absolument passer par lui. », explique Sébastien Chapdaniel. L’IPA est cependant assez optimiste sur le fait que le rapport de l’IGAS donne lieu à des actions d’amélioration concrètes puisque, selon lui, le ministère et la Caisse nationale d’Assurance maladie semblent ouverts aux changements proposés par ce rapport.
Une publicité scandaleuse pour une médecine de troisième zone, justifiée uniquement par la pénurie de médecins.
Votre ignorance de l’environnement médical vous mène à des propos stériles