Mieux prendre soin de la santé des victimes de pédocriminalité

Ces dernières semaines, la parole se libère sur les affaires d’inceste et de pédocriminalité et les chiffres du Conseil de l’Europe, qui considère qu’1 enfant sur 5 est, ou a été, victime de violences sexuelles, laissent entrevoir l’ampleur des traumatismes passés sous silence.
Or les traumatismes, et bien souvent les silences qui les accompagnent, rongent l’esprit et parfois le corps. Le bien-être et la santé mentale et physique des victimes de violences sexuelles survenues durant l’enfance, sont quasiment toujours fragilisés. Malheureusement, pour ne rien arranger, quand les victimes réussissent à briser le silence, bien peu de dispositifs sont mis en place pour leur offrir un suivi médical adapté et évidemment indispensable.
Sans savoir bien sûr que l’actualité serait si prégnante sur les affaires de pédocriminalité en ce début 2021, la délégation francilienne de France Assos Santé a entamé il y a quelques mois, avec le concours d’une équipe de nombreux experts issus des milieux médicaux, juridiques, associatifs, etc., un travail, sous la forme d’un plaidoyer-action, autour de la question des conséquences sur les victimes de pédocriminalité, en matière de santé publique. Dans les mois qui viennent, France Assos Santé Ile-de-France prévoit d’organiser des groupes de travail sur le sujet, en regroupant des professionnels, des associations et d’anciennes victimes, afin d’en tirer un livre blanc. En attendant, voici les grandes orientations apparues lors de la rédaction du plaidoyer-action.

 

La santé : la grande oubliée pour les victimes de pédocriminalité ?

Selon Jean-Luc Plavis, coordinateur régional de France Assos Santé pour l’Ile-de-France, la question de la santé des victimes de pédocriminalité et d’inceste n’est pas encore au cœur des préoccupations, ni de l’actualité médiatique et politique. « Ce sont surtout les questions de la prescription des faits ou du seuil d’âge du consentement qui font débat en ce moment, et ces questions sont évidemment importantes, mais on parle trop peu des conséquences en matière de santé publique, de la prise en charge médicale des victimes et de leur parcours de santé et de vie. », déplore Jean-Luc Plavis. Il poursuit : « Malgré les recommandations de la Haute Autorité de Santé, notamment sur les maltraitances sexuelles intrafamiliales, malgré la mise en place, des CMP, des CMPP et de centres régionaux du psychotraumatisme, qui peuvent accueillir des victimes de pédocriminalité, les moyens déployés en France pour soigner les victimes sont encore très faibles au regard des millions de personnes concernées. Une fois que la parole est libérée, il faut s’occuper des victimes. On ne traitera pas tout le monde avec un numéro vert et des « chèques psy », même si je reconnais que des solutions à la hauteur du problème seront difficiles à trouver et longues à mettre en place. ». Pour l’heure, en effet, les places dans les structures de soins comme les centres médico-psychologiques sont comptées et il faut attendre souvent plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous. Le recours pour les victimes de pédocriminalité est un suivi en cabinet de ville, par des psychiatres, qui prennent parfois des dépassements d’honoraires ou par des psychologues qui ne sont pas remboursés par l’Assurance Maladie.

 

La formation des professionnels de première ligne pour aider les victimes de pédocriminalité

Le docteur Baudry, médecin généraliste depuis 25 ans en Bretagne, reconnaît que les médecins ne sont pas bien formés à repérer les victimes de pédocriminalité. Alors qu’elle est particulièrement sensible et sensibilisée au sujet, elle constate qu’au cours de ces années d’exercice de la médecine, elle a été confrontée à peu de cas d’enfants chez qui elle soupçonnait des cas de violences sexuelles. En revanche, beaucoup d’adultes se sont confiés à elle à propos d’agressions sexuelles qui datent de leur enfance. Au regard des chiffres qui font état de 1 enfant sur 5 victimes de violences sexuelles, elle suppose bien sûr qu’elle est passée à côté d’un certain nombre d’enfants en détresse. Elle explique : « A mon époque, les médecins n’étaient pas formés aux questions de pédocriminalité. Il y avait des formations optionnelles seulement. Cela montre bien que nous ne sommes pas suffisamment armées pour repérer les enfants victimes de violences sexuelles. En outre, on ne voit les enfants, au mieux, que pour quelques consultations annuelles, finalement assez brèves, et dans la mesure où les parents sont, la plupart du temps, présents, cela ne facilite pas la détection des cas d’inceste. ».
Malheureusement, aujourd’hui encore la formation des médecins reste à améliorer sur le sujet de la pédocriminalité. Maïwenn Méheut, interne en médecine générale analyse, explique qu’elle a été sensibilisée à la question des violences sexuelles de façon très brève et ponctuelle durant sa formation initiale. Elle se souvient que c’est en travaillant aux urgences pédiatriques, pendant son internat, qu’elle a pris la mesure du problème et qu’elle a appris à réagir face à certains comportements, certaines situations ou réflexions faites par les enfants ou les parents.
Le constat sur le manque de formation autour de la pédocriminalité est général et transversal. Fouraha Said-Soilihi, chargée de mission chez France Assos Santé et récemment diplômée d’un master en santé publique s’étonne que dans son cursus universitaire, le sujet des violences sexuelles ait à peine été abordé, et qu’il l’a été moins encore, en ce qui concerne les mineurs.
La formation des professionnels de première ligne face à la pédocriminalité est d’ailleurs le premier des points que le plaidoyer-action de France Assos Santé met en avant. « Il est vraiment temps de sortir du déni ou de l’idée que la pédocriminalité est un sujet niche. Heureusement, nous avons réussi à rassembler des professionnels de santé, des professeurs d’universités, des responsables de l’institut interdépartemental du psychotraumatisme des enfants, des Yvelines et des Hauts-de-Seine, le collège de médecine générale, et d’autres spécialistes, afin de travailler avec nous, notamment sur la sensibilisation et la formation des professionnels de santé qui sont en première ligne. », rapporte Jean-Luc Plavis.

 

Soulager les maux de l’esprit et du corps…

« Aujourd’hui, des associations entre certaines maladies psychiques ou somatiques, et des violences sexuelles survenues dans l’enfance, ont été scientifiquement établis.», explique Fouraha Said-Soilihi. C’est notamment le cas du cancer de l’utérus par exemple. Cela s’explique finalement assez logiquement, par le fait qu’une femme qui a subi des violences sexuelles aura davantage d’appréhension à se faire correctement suivre sur le plan gynécologique et risque donc de développer des cancers, qui pris à temps, comme ceux du col de l’utérus, sont pourtant, la plupart du temps, évitables.
On sait aussi qu’environ 50% des personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires (TCA) ont été confrontées à des violences sexuelles. C’est d’ailleurs à l’occasion de son travail en tant qu’accompagnant de patients, et notamment de patients souffrant de TCA, que Jean-Luc Plavis s’est aperçu qu’il y en avait un certain nombre, parmi eux, qui avaient subi des agressions sexuelles lorsqu’ils étaient enfants et qu’il était temps de s’emparer sérieusement du sujet.
Il a alors fait passer au sein du réseau d’associations de patients de France Assos Santé, son intention de rassembler un groupe de travail en vue de rédiger un plaidoyer sur la santé des victimes de violences sexuelles.

 

L’impact des questions judiciaires et juridiques sur la santé des victimes de pédocriminalité

« Bien entendu, les questions juridiques comme celles de la prescription ou de l’âge du consentement sont importants, mais il est aussi essentiel de travailler sur la façon dont on recueille, dont on reconnaît la parole des victimes, même s’il y a prescription et que les agresseurs ne peuvent plus être condamnés, car cela va avoir un impact sur un éventuel processus thérapeutique pour les victimes. », précise Jean-Luc Plavis.
Cela fait écho à l’histoire de Sébastien Boueilh, violé à l’adolescence par un membre de sa famille. Cette dernière lui a malheureusement tourné le dos lorsqu’il a porté plainte contre son agresseur, une vingtaine d’années après les faits, alors qu’il apprenait qu’un ami d’enfance avait également été violé par ce parent. Il explique que sans l’accompagnement bienveillant et compétent du capitaine de gendarmerie qui a reçu sa plainte, de son avocat et de sa psychologue, il ne sait pas comment il aurait résisté à la pression durant cette période douloureuse de sa vie qui l’a mené jusqu’au procès de son agresseur, à l’issue duquel ce dernier a été condamné à 10 ans de prison. Ce n’est qu’en le voyant condamné et menotté que Sébastien a senti que la résilience était possible, qu’il était officiellement reconnu comme une victime (lire son témoignage ici). Alors qu’en est-il pour les victimes qui ne peuvent pas parler, que l’on n’écoute pas, que l’on n’entend pas, que l’on ne croit pas, qui n’ont pas la possibilité de voir leur agresseur confronté à la justice ? Il y a de toute évidence des ponts à établir entre le judiciaire, la justice et la prise en charge médicale pour créer un accompagnement global au bénéfice de la santé psychique et physique des victimes de pédocriminalité. C’est d’ailleurs ce que Sébastien Boueilh s’attache à faire par le biais de son association Colosse aux pieds d’argile. L’association a mis en place un accompagnement de toute la famille lorsqu’une victime s’adresse à eux et il explique qu’il aurait lui-même eu besoin d’une médiation familiale au moment où il a révélé l’agression, pour éviter que sa famille ne le rejette et qu’il se retrouve seul à traverser cette épreuve (lire son témoignage ici).
Malheureusement pour l’instant, les dénis sont encore légions et le travail des acteurs de première ligne est encore parfois très difficile. Le Dr Hélène Baudry a, au cours de sa carrière, eu plusieurs fois des soupçons d’agressions sur des enfants qu’elle suivait et a, à quelques reprises, fait des signalements. Elle reconnaît pourtant que cela peut être un parcours du combattant même pour les médecins et comprend que certains de ses confrères y renoncent par crainte que les signalements ne se retournent contre eux, via des plaintes et des interdictions d’exercer.

 

Une question de prévention…

« Une véritable politique de prévention est indispensable. En matière de violences sexuelles survenues dans l’enfance, la guérison n’est jamais totalement acquise ! », explique Kathya de Brinon, qui se bat au sein de son association SOS VIOLENFANCE, pour « sensibiliser les adultes, les professionnels de santé, les personnels enseignants, les entraineurs sportifs, etc. à mieux détecter les enfants en détresse », et également pour faire entendre aux enfants que leur corps leur appartient et que nul ne doit y toucher (lire son témoignage ici).
Le docteur Baudry milite également pour la mise en place de dispositifs de prévention et tout particulièrement pour la création d’une page sur le sujet de la violence sexuelle dans le carnet de santé. « Bien sûr, cela ne réglera pas le problème dans les familles où les deux parents sont maltraitants mais c’est une façon de sensibiliser tous les jeunes parents à ce problème et qu’ils apprennent notamment à leurs enfants à se laver tout seul dès que cela est possible, qu’ils les informent sur le fait que leur corps leur appartient, etc. Les anciennes victimes interrogées disent qu’une telle information aurait pu leur servir lorsqu’ils étaient petits car les pédocriminels manipulent souvent les enfants pour leur faire croire qu’ils sont consentants, ce qui aggrave leur sentiment de culpabilité. », précise le docteur Baudry. Pour Maïwenn Méheut, interne en médecine générale, la formation initiale ne sensibilise pas les étudiants en médecine à anticiper d’éventuels sévices sexuels, ni à envisager des actions de prévention. Elle ajoute : « Durant mon internat, j’ai eu l’impression que les seules actions mises en place le sont, une fois que le mal est fait. »
De son côté, depuis 8 ans, Sébastien Boueilh, par le biais de son association Colosse aux pieds d’argile, intervient directement dans les clubs sportifs et dans les écoles pour informer, sensibiliser les enfants et les adultes qui les encadrent, sur le sujet des violences sexuelles. « J’ai tendance à me dire que si j’avais reçu de telles informations en classe, à l’époque où je subissais des viols, j’en aurais sans doute parlé. J’aurais compris alors qu’il ne s’agissait pas de relations homosexuelles consenties, ainsi que mon agresseur me le disait, au point de m’en convaincre. J’aurais compris qu’un adulte n’a pas le droit de se comporter ainsi avec un enfant. », souligne-t-il, en déplorant que malheureusement, en 8 ans, à chaque intervention de son association, il y a au moins un ou deux enfants, parfois des adultes également, qui viennent se confier et parler de violences sexuelles dont ils ont été victimes. Bien entendu, le sujet de la prévention primaire et secondaire est au programme du plaidoyer-action de France Assos Santé Ile-de-France, qui milite pour que se mettent en place des campagnes à destination du grand public, ainsi qu’au sein des établissements scolaires et sur internet.

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