EHPAD-Alzheimer-COVID19

« Votre mère n’est pas prioritaire ! »

Alors que la levée des restrictions concernant les visites des proches en EHPAD a été annoncée, la présidente de l’association France Alzheimer en Dordogne témoigne : les limites imposées par la crise sanitaire et le confinement ont bouleversé les proches. Des moments d’impuissance et d’inconnu qui forcent à s’interroger sur la juste place des proches en EHPAD.

« Votre mère n’est pas prioritaire !». Ce sont les mots entendus par la fille de Mme D. lorsqu’après plusieurs mois de confinement, elle a demandé à rendre visite à sa maman, résidente dans une EHPAD. Effectivement Mme D. « perd la tête » comme on lui a expliqué, elle ne peut faire explicitement la demande d’une visite selon le protocole reçu par les directions des établissements.

Les conditions de visite, très strictes, se sont petit à petit assouplies dans certaines structures, peu ou pas du tout dans d’autres, mettant à mal les familles, les soignants et sans doute évidemment les personnes vivant avec une maladie neuro-évolutive elles-mêmes.

Ce désir bien légitime de revoir son parent, son conjoint, se double d’une incompréhension de protocoles d’autant plus stricts qu’ils diffèrent selon que l’EHPAD est hospitalière ou non, de petite taille ou plus importante, ayant eu à subir la présence de l’épidémie ou non. Des désirs légitimes des proches confrontés à la peur – non moins légitime – des directions, hantées par les risques du dépôt de plaintes, épuisées par des semaines de lutte pour protéger les résidents et le personnel, déstabilisées par ce qu’elles rapportent d’injonctions paradoxales.

Alors la colère est montée : les courriers envoyés aux directeurs, aux agences régionales de santé, au ministre, aux départements, aux associations ne se comptent plus. De même pour les sollicitations de la presse et les invectives parfois violentes dont font les frais les secrétaires chargé.es de planifier les rendez-vous avec les proches en établissements…Rendez-vous fixés parfois des semaines après le coup de fil.

Au fil des jours, en accompagnant les familles dans ces visites dites « réglementées » sur plusieurs établissements, nous avons pu mesurer au sein de notre association la reprise de ces relations fragiles, apaisées et rassurantes parfois, mais le plus souvent pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou apparentée, source d’incompréhension, de souffrance décuplée par la distance, l’absence de toucher et les désafférentations sensorielles.

« Je ne comprends rien… pourquoi tu es loin…une bise mon petit… »

Ce retour des familles aimantes, avides de reconnaissance, inquiètes pour leurs proches, malheureuses de cette distance et de longues semaines d’absence pose de manière plus forte encore la question du lien. La maladie et l’entrée en institution a mis à mal ce lien et les loyautés qui s’y réfèrent avec le sentiment d’abandon et de culpabilité de n’avoir pas pu tenir les promesses, de n’avoir pas su prendre soin et accompagner jusqu’à la fin du chemin celui ou celle que l’on aime tant, à qui l’on doit tant.

Une entrée en EHPAD n’est pas le fait de familles inconséquentes, incapables ou abandonniques ; elle est le fait d’une aggravation de la maladie, d’un besoin de soins continus pour permettre que la relation affective ne s’abîme pas ou puisse se reconstruire. Et si les personnes vivant avec une maladie neuro-évolutive ont toujours un besoin indéfectible de cette affection, les proches éprouvent eux aussi la même nécessité et l’absence de ce lien précieux leur est douloureux.

« J’ai perdu ma mère quand elle est entrée ici, me disait ce fils, c’est comme si elle était déjà morte quelque part »

« Ça me fait comme un divorce, alors qu’on s’aime toujours » confiait cette épouse en larmes.

Alors quand l’épidémie et le confinement sont venus fracasser ce lien déjà fragilisé, avec son cortège d’incertitudes et de peurs, les proches ont été bouleversés. Certes ils ont bien entendu la nécessité de protéger les plus vulnérables, certes ils ont pu mesurer, malgré les insuffisances dont ils étaient les témoins, l’exceptionnel engagement des professionnels, certes grâce à des trésors d’imagination et aux prouesses des nouvelles technologies, ils ont pu vérifier que leurs parents, leur conjoint allaient sinon bien, au moins le moins mal possible. Et ils s’en sont remis à la médecine et aux soignants.

Mais l’attente a duré et a creusé le manque avec l’angoisse de ne plus revoir l’être cher, et le doute s’est installé : allait-il me reconnaître ? Lui avais-je manqué comme elle me manquait jour après jour pendant l’arrêt de ces visites ? Me disait-on la vérité dans les brèves nouvelles obtenues par téléphone ? Si le virus ne l’emportait pas, allait-il mourir de chagrin et d’ennui par ma faute ?

La famille est, on le sait, un lieu d’échanges et d’écriture d’une histoire familiale unique, avec ses rites, ses secrets et ses loyautés ; comment ignorer, enfermer dans un protocole purement d’hygiène hospitalière ou banaliser alors le regard de l’enfant adulte sur la souffrance réelle ou supposée de son parent ? Comment entendre ces mots signés par les proches à chaque visite : « tout manquement au respect des règles de sécurité sanitaire pourra entraîner une interdiction des visites »?

Dans cette quête de sens qui envahit la relation des proches désemparés depuis l’annonce de la maladie, encore plus depuis l’entrée en EHPAD et davantage depuis l’irruption de l’épidémie venue interrompre le fragile aménagement du quotidien, l’inconnu, l’incertitude et l’incompréhensible sont venus mettre à mal une relation déjà tellement douloureuse.

La colère alors, la recherche d’un coupable (personne ou institution) dans une urgence à retrouver le temps d’avant pour éloigner le temps d’après…D’après lui ou elle, d’après sa disparition…Il y a urgence, urgence à le revoir, urgence de la fête des mères, urgence à dire tant de mots dans les trente minutes autorisées alors que je restais auprès de lui ou d’elle quatre ou cinq heures.

Mais le temps des soignants n’est pas le même que celui des familles, et encore moins celui des personnes malades ! Et le risque est grand de penser pour l’autre, de décider ce qu’on pense bon pour l’autre, de projeter ses attentes et ses angoisses. Qui décide de ce qui est bon pour les personnes vivant avec une maladie neuro-évolutive ? Y va-t-il des lieux de pensée, de réflexion collégiale, de concertation avec ce que l’on sait de ces malades en général et de chacun en particulier ?

« Votre mère n’est pas prioritaire ». Pour qui, face à quoi, de quel droit ?

Se pose alors la question de la juste place des familles en EHPAD en ces périodes d’épidémie et plus largement de risque sanitaire. En reconnaissant d’abord au résident son appartenance au corps familial, comme un corps mémoire qui s’exprime à travers les plaintes familiales, en partageant les informations avec le souci de médiatiser les entretiens si besoin, de respecter la confidentialité et l’intimité de l’échange, dans des lieux appropriés.

Les deux fils de Mme B. n’ont pas vu leur mère depuis plus de 4 mois. Lorsque la soignante amène avec bienveillance la maman sur son fauteuil roulant (elle qui marchait avant) les fils restent sans voix, au bord des larmes. Toute la rencontre se passera en tentatives désespérées de capter l’attention de Mme B. à travers la cloison en plexiglas et derrière leurs masques alors que Mme B. n’a de regard que pour l’aide-soignante qui lui tient la main

En plus de la vision déformée, des troubles de l’attention, et des difficultés à s’entendre voilà que s’impose le risque de ne plus être reconnu

– « Elle n’en n’a que pour vous » murmure un des fils

– « C’est normal on se voit tous les jours » réponds l’aide-soignante

Encore plus en ces moments de grande fragilité, quelle est alors la juste place des familles en EHPAD ? Quelle confiance réciproque fait le socle de la relation de soins ? Quelle compétence reconnaît-on aux familles ?

Compétence singulière, non pas pour pallier un supposé manque de personnel, pour refaire comme à la maison ou décider de ce qui est bon pour mon proche, non pas en m’appropriant les lieux jusqu’à les envahir ou être dans le ressenti et la suspicion, mais plutôt dans la rencontre et la recherche de ce qui est bon pour la personne, de ce qu’elle peut en dire ou le donner à voir, dans le respect et l’écoute mutuelle entre ceux qui soignent et ceux qui aiment ; pour autant que le malade, le résident, le proche reste au cœur de toute décision qui le concerne.

Les soignants nous confient, à demi-mot, qu’ils ont remarqué que beaucoup de ces personnes vivant avec une maladie d’Alzheimer ou apparentée ont retrouvé pendant ce confinement une autonomie de relation, une vie sociale dans les unités protégées…
Qu’en est-il en réalité ? Et comment réconcilier ces différents regards posés sur ce qu’éprouve la personne vivant avec une maladie neuro-évolutive ?

Comment assumer et promouvoir des valeurs et des pratiques qui concilient l’intérêt direct de la personne et lui permet de rester acteur de sa vie jusqu’au bout en continuant d’être partie prenante d’une histoire familiale qui va lui survivre ? Prendre en compte le savoir expérientiel de la personne et de ses proches tout en reconnaissant l’expertise des professionnels ? Eviter que la sécurité de nos proches ne soit ramenée à la seule prise en compte du principe de précaution au nom d’une sollicitude dont elle ne serait que l’objet et non le sujet ? Comment enfin accepter la prise de risque qui engage, l’ouverture d’esprit à d’autres choix, à des organisations encore inconnues au prix d’ébranler nos certitudes ? Face à ces questionnements, comment garantir une gouvernance juste et une hospitalité qui engage ?

Peut-être alors si l’on essaie de se rencontrer, de s’écouter et d’imaginer une démarche éthique, serons-nous capables de traverser nos peurs, nos culpabilités, nos aigreurs, nos certitudes et ce, quel que soit notre place, personnes fragiles, familles, professionnels de santé ou décideurs, afin de construire ce que Paul Ricœur exprimait : « Une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ».

 

Geneviève Demoures

Présidente de France Alzheimer Dordogne, représentante des usagers

2 commentaires

  • Guérineau Elisabeth dit :

    De beaux sentiments, mais ce n’est malheureusement pas la réalité de l’ehpad KORIAN, Paris 14è, à qui j’ai confié mon mari en perte d’autonomie, dont j’étais l’aidante depuis 5/6 ans, pour un COURT SEJOUR, à 6000 euros/mois, pendant que je faisais une cure rhumato pour mes problèmes de dos. C’était avant l’épidémie covid. Nous allions fêter nos 50 ans de vie commune. Court séjour très préparé par moi, assurances données par la direction de l’ehpad, pour la prise en charge de l’alimentation et des médicaments, visite de la cadre à notre domicile, en face de l’ehpad, mes sms avec la direction et la cadre: la 11ème nuit, le médecin du Samu me téléphone, hospitalisation de mon mari en urgence vitale et décès à l’hôpital quelques jours plus tard: dénutrition sévére, tous ses médicaments ne lui ont pas été donnés, on m’a menti, j’ai découvert qu’il n’y avait plus de médecin coordonnateur, la direction n’a même pas appelé le médecin traitant de mon mari qui habite à 200 mètres de l’ehpad, etc.. Mon mari avait une prise en charge par des médecins extraordinaires, compétents et humanistes, gastro de l’hôpital Saint Antoine, rhumato et dermatologue de la Salpétrière, qu’on voyait dans leur cabinet, un binôme infirmier très compétent, un kiné et moi à ses côtés, qui avait appris beaucoup, entre autre grâce à l’hôpital Saint Antoine et le site internet de l’AFA. Il avait retrouvé une certaine autonomie, aimait la vie, on allait au bistrot, dans les expositions, au restaurant avec les amis.
    J’ai pu enfin trouver un avocat pour porter plainte, j’ai un dossier malheureusement avec plein de preuves des négligences graves et des maltraitances qu’il a subies, mais aucune nouvelle du procureur. J’ai donc été obligée de déposer une deuxième plainte, cette fois avec constitution de partie civile, mais j’attends toujours. Malgré les plaintes qui se sont accumulées contre la multinationale KORIAN, celle-ci continue à engranger ses » bénéfices » en toute tranquillité, avec les financements de nos impôts – 40% de leur rentrées sont de l’argent public selon les informations de la presse d’investigation – et les sommes exorbitantes payées par les résidents et les familles, et recommence ses publicités pour les « soins à coeur » qu’elle prodigue. J’ai découvert que dans la République française, le procureur n’a aucun délai pour traiter les dossiers de plainte. Je découvre le coût de la justice pour le citoyen lambda, et je comprends maintenant pourquoi ALMA 75, qui m’a conseillée au départ, m’a téléphoné pour me féliciter de porter plainte. J’ai découvert qu’il y a 3 fois moins de juges en France qu’en Allemagne, etc..
    Mon mari était membre de l’Association François Aupetit, l’une des associations de France assos santé. Je ne savais rien des ehpad. J’ai découvert la réalité après la mort de mon mari. Je conseille la lecture du livre de Jean Arcelin « Tu verras maman, tu seras bien ». Il a dirigé pendant trois ans l’Ehpad KORIAN La Riviera de Mougins, avant de démissionner écoeuré. Un ehpad KORIAN champion depuis des décès covid. J’ai découvert que l’ehpad KORIAN à qui j’avais confié mon mari et l’ehpad La Riviera ont la même direction! Seule l’implication des usagers peut améliorer la situation des vieux, comme l’implication d’une partie des femmes de ma génération a permis la liberté de la contraception et de l’avortement, avec l’aide de quelques médecins formidables et courageux (certains l’ont payé très cher) et l’hostilité de la majorité d’entre eux, je n’oublie pas.

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