Thérapie génique : un défi technique, économique et politique

Depuis quelques mois, les premiers médicaments de thérapie génique ont été mis sur le marché. Dans un précédent article de 66 Millions d’IMpatients, Anne Galy, directrice de l’Unité de Recherche Inserm Integrare (UMR_S951) à Généthon, nous a présenté les différentes techniques développées par les chercheurs de Généthon, le laboratoire de l’AFM-Téléthon, et qui aujourd’hui permettent de développer des traitements prometteurs.  Ils ne concernent d’ailleurs plus uniquement les maladies génétiques monogéniques, c’est à dire les maladies causées par l’anomalie d’un seul gène. Les recherches en thérapie génique ont également permis de mettre au point des traitements pour soigner, par exemple, certains cancers.

Aujourd’hui, la thérapie génique commence à faire ses preuves et arrive en force. 8 médicaments sont actuellement sur le marché et, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence américaine du médicament) il devrait y en avoir 40 d’ici 2023. Mais il reste des défis à relever. Pour produire ces traitements de demain à un prix juste et maitrisé, la France doit se doter d’une véritable filière pour passer d’une production suffisante pour des essais cliniques, à celle de traitements à grande échelle.  Et cela nécessite de créer des techniques complètement nouvelles. Fabriquer un médicament de thérapie génique n’a en effet rien à voir avec les procédés que les industriels pharmaceutiques utilisent actuellement. Cela suppose de devoir faire des investissements considérables dans le secteur du médicament, où le modèle économique est en pleine mutation puisque grâce à la thérapie génique, on pourrait en une seule injection, guérir, et non plus seulement soigner des maladies.

Dans ce contexte, Christophe Duguet, directeur des affaires publiques à l’AFM-Téléthon, estime que la France, qui est à la fois initiatrice et leader dans le domaine de la recherche fondamentale en thérapie génique, notamment grâce à Généthon, ne doit pas laisser échapper la production des médicaments à l’étranger et faire valoir ses compétences et son intérêt à se positionner sur ce nouveau marché.

Découvrez l’interview de Christophe Duguet qui sera suivie dans quelques jours de la position de plusieurs associations de patients quant à leurs attentes sur les thérapies innovantes.

Interview de Christophe Duguet, directeur des affaires publiques à l’AFM-Téléthon

66 Millions d’IMpatients : Avec les progrès notables en thérapie génique, notamment grâce à Généthon, peut-on espérer que l’on arrivera à soigner beaucoup de maladies génétiques ?

On parle d’un champ de 7000 à 8000 maladies rares, majoritairement génétiques, où il n’y a pratiquement aucune solution pour le moment. Les thérapies issues de la connaissance des gènes représentent un formidable espoir. Notre stratégie à l’AFM-Téléthon, en soutenant la recherche depuis des années, est de permettre le développement des outils qui permettent de corriger les anomalies des gènes. La maîtrise de ces techniques de « correction » peut potentiellement permettre d’intervenir pour des centaines de maladies y compris extrêmement rares.  L’arrivée des premières thérapies géniques sur le marché permet d’accélérer le développement de ces nouvelles technologies. Leur impact dépassera largement les premières maladies concernées et permettra de raccourcir les délais de développement, pour les maladies suivantes. Aujourd’hui, c’est concret, les traitements arrivent et parfois même avec de la concurrence sur certaines maladies. C’est difficile de donner un pourcentage de patients qui pourront bientôt bénéficier plus ou moins rapidement de traitement mais des centaines d’essais cliniques sont en cours, partout dans le monde.  Les choses vont s’accélérer et pour certaines maladies très graves, d’évolution très rapide, où il est assez relativement facile d’estimer l’efficacité du traitement, les processus règlementaires pourraient être plus rapides.

En France, les malades ont-ils facilement accès à ces thérapies innovantes ?

Aujourd’hui, à 2 ou 3 exceptions près qui sont en cours de négociation, en France, nous sommes leaders dans le monde pour l’accès des patients à l’innovation thérapeutique. Nous sommes donc un pays exemplaire et il faut absolument que nous le restions, notamment par rapport à l’accès précoce à l’innovation grâce au système assez unique des ATU (Autorisations Temporaires d’Utilisation, délivrées à titre exceptionnel pour les spécialités pharmaceutiques ne bénéficiant pas encore d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et ne faisant pas l’objet d’un essai clinique), que beaucoup de pays d’Europe nous envient. Pour la thérapie génique, qui concerne des maladies très graves, il est particulièrement important que l’accès précoce soit possible pour les malades.

La recherche concernant les maladies rares pourrait bénéficier également aux maladies courantes ?

Cela fait 25 ans que nous le répétons, la recherche concernant les maladies rares est un modèle pour imaginer de nouveaux traitements pour les maladies fréquentes. Par exemple, une des premières thérapies géniques sur le marché concerne une maladie très rare de la rétine. Elle ouvre directement la voie pour des maladies fréquentes comme la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge).

On annonce des prix excessivement chers pour les traitements de thérapie génique. Vont-ils baisser avec le temps ?

On a fait de grands progrès au niveau de la recherche, mais désormais l’enjeu est de faire en sorte que le plus grand nombre de malades, pour le plus grand nombre de maladies, puissent y avoir accès, dans des conditions financières compatibles avec les systèmes de santé. Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable avec ce qui s’est passé lors de l’apparition des premières greffes d’organes. Au début, elles coûtaient extrêmement cher et leurs résultats étaient aléatoires et peu à peu, on a amélioré les techniques et notamment les problèmes de rejet de greffe, au point qu’aujourd’hui, les greffes sont des interventions courantes. Comme pour toute technologie de rupture les coûts sont vite décroissants. Mais le problème aujourd’hui, c’est que les prix revendiqués sont déconnectés des coûts !

En dehors des investissements, quels sont les freins au développement des médicaments de thérapie génique ?

L’un des enjeux principaux est celui de l’industrialisation des traitements. Aujourd’hui, personne dans le monde ne dispose des technologies industrielles permettant de produire à grande échelle. Et pourtant c’est indispensable pour soigner des centaines, des milliers, voire des millions de malades. Pour vous donner une image simple, c’est comme si l’on devait passer de la réalisation, en une seule fois, d’une omelette pour 5 personnes, à une omelette pour 1 million de personnes. Cela supposerait d’inventer du matériel spécifique, une nouvelle façon de manipuler les ingrédients, etc. On en est là avec les traitements de thérapie génique, toute la chaîne de production industrielle est à inventer. Partout dans le monde, ce sont des sujets qui animent les acteurs du secteur. En France, d’un point de vue scientifique nous sommes parmi les leaders. Mais aujourd’hui nous sommes en train de rater le virage de l’industrialisation. Toutes les inventions françaises partent à l’étranger et nous reviennent à des prix exorbitants. Il est impératif que la France investisse dans une véritable filière industrielle. Les traitements de thérapie génique sont les traitements de demain pour des centaines de milliers de malades français touchés par des maladies très graves et aujourd’hui sans aucun traitement. En tant qu’association de malades nous ne pouvons pas accepter de risquer que les malades français soient totalement dépendants de guerres économiques et de priorités commerciales qui pourraient les priver de cet accès.

Est-ce que faire baisser les coûts des traitements suffira à faire baisser leur prix pour soigner les malades ?

Il y a une différence bien sûr entre les prix et les coûts de ces traitements. Ce n’est pas uniquement valable en thérapie génique, mais dans l’ensemble des thérapies innovantes. En effet, les prix de ces thérapies ne sont pas fixés en fonction des coûts réellement supportés par les industriels mais en fonction de ce qu’ils estiment que la société est prête à payer pour accéder à ces traitements. Dans le cadre des thérapies innovantes, où ils sont en situation de monopole, ils en abusent de plus en plus souvent. Ces dernières années, les prix se sont très rapidement envolés de façon totalement excessive.

Il faut comprendre également qu’en terme de modèle économique, la thérapie génique rebat d’autant plus les cartes que jusque-là, les laboratoires pharmaceutiques gagnaient de l’argent en soignant des maladies chroniques à vie, alors que, dans le cas de la thérapie génique, il s’agit d’une injection unique pour guérir des maladies chroniques. Le prix de la seule injection doit donc être mis en perspective avec le coût des traitements et des prises en charge évités. Mais cela ne peut absolument pas être le seul critère de calcul. En partant du principe qu’un traitement qui fait mieux que le précédent doit obligatoirement être plus cher, on a généré l’insoutenable envolée des prix actuels. Collectivement, car il s’agit d’argent public, il n’est pas acceptable de ne pas remettre en cause ce principe. Un produit qui revient moins cher à son propriétaire que son concurrent doit prendre sa place mais n’a pas de raison de coûter plus cher à la collectivité.

Comment s’organisent les mondes de la recherche fondamentale et celui de l’industrie pour développer les médicaments ?

La propriété des découvertes en thérapie génique, entre les équipes de chercheurs et les industriels, n’est pas un modèle unique. Souvent, cela se passe de l’un à l’autre dans un continuum. En effet, dans le cadre des thérapies très innovantes, et notamment en thérapie génique, énormément de brevets sont en jeux. La propriété intellectuelle des chercheurs à l’origine de la découverte ne représente qu’une partie de la propriété intellectuelle nécessaire. C’est dans la chaîne de production qui est complexe, que des centaines, de brevets sont aussi en jeu et cela concerne souvent beaucoup de monde. On n’est plus du tout dans un système de production de molécules, dont la propriété de la découverte a proportionnellement, plus de valeur.

Concrètement, lorsque des chercheurs publics ou privés font des découvertes, elles sont publiées, ce qui est un excellent système. En tant qu’association de patients, nous militons pour que le maximum de travaux soit publié, y compris les essais qui ont engendré des échecs, car cela permet d’augmenter les connaissances. Dès lors que ces résultats sont publiés, n’importe quels chercheurs ou équipes peuvent les utiliser, y compris quand ces résultats font l’objet de brevets, tant qu’il n’y a pas d’utilisation commerciale. Si une utilisation commerciale est envisagée, des redevances devront alors être payées au détenteur du brevet. Il arrive également que se mettent en place en amont des partenariats entre les industriels et les équipes de recherche pour le co-développement de traitements.

Pouvez-vous citer un exemple concret de ces enjeux économiques autour du développement des médicaments de thérapie génique ?

C’est ce qui est arrivé dans le cas de la SMA de type 1 (ou Amyotrophie Spinale), une maladie rare des muscles qui se caractérise par une faiblesse musculaire altèrant très rapidement les muscles de nourissons qui décèdent dans les toutes premières années de leur vie. En 1995, l’équipe de Judith Melki de l’hôpital Necker à Paris a identifié le gène responsable de la maladie (SMN1). En 2011, après des années de recherche, Martine Barkats, chercheuse à Généthon, et son équipe, démontrent que le vecteur portant le gène SMN1, qu’ils avaient identifié deux ans auparavant, prolonge la durée de vie de souris modèles de la maladie. En 2013, sur la base de ces résultats, une start-up américaine nommée AveXis se crée et parvient à lever 500 millions de dollars pour développer le candidat-médicament. Ce sont des risques que l’on ne prendrait pas en France, ni même en Europe. Pourtant ces risques ont été gratifiés de résultats spectaculaires qui permettent d’améliorer la survie et les performances motrices des malades grâce à une seule injection. Le médicament a obtenu une autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis et une demande est en cours en Europe et au Japon.

Pour comprendre ce que représentent concrètement les enjeux financiers de ces traitements, il faut en outre savoir qu’AveXis a été racheté en 2018 par la société suisse Novartis pour 8,7 milliards de dollars. On parle pourtant d’un médicament qui concerne très peu de personnes, un peu plus de 80 naissances chaque année en France, or le montant de ce rachat représente l’intégralité de la balance excédentaire commerciale française dans le domaine du médicament. Les sommes qui sont en jeu dans ce domaine sont colossales et la France doit donc envisager de travailler avec des partenaires à l’échelle mondiale, ou au moins européenne, afin de bénéficier d’emblée d’une position forte dans ce secteur.

Crédit photo : ©C.Hargoues

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