A l’occasion du colloque annuel de l’Association pour le bon usage du médicament, qui s’est tenu le 22 mars dernier, le groupe Korian (plus de 300 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes en France) a présenté au Ministère de la Santé les avancées de son étude DemAsCH qui vise à diminuer la consommation de médicaments de la classe des anticholinergiques par ses résidents.
On retrouve les anticholinergiques parmi les antidépresseurs, antiparkinsoniens, anxiolytiques, ou certains médicaments utilisés en cas d’incontinence urinaire. « Ces médicaments peuvent avoir un impact majeur chez les personnes âgées en majorant ou en déclenchant des troubles graves, explique Paul-Emile Haÿ, directeur médical et soins du pôle France Seniors de Korian. Les patients y sont d’autant plus sensibles qu’ils y sont fréquemment exposés sur le long terme ».
Les effets secondaires sont connus : troubles visuels et cognitifs (confusion, désorientation), sécheresse buccale, rétention urinaire ou constipation. Ces effets sont cumulatifs en cas d’association de plusieurs anticholinergiques. Une étude publiée en avril 2018 dans le British Medical Journal montre par ailleurs que la prise d’anticholinergiques augmente le risque de démence de façon significative. L’association avec des antidépresseurs et/ou des antiparkinsoniens décuple ce risque.
Démasquer les anticholinergiques
C’est en 2015 que le groupe Korian (plus de 300 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad] et plus de 70 cliniques spécialisées répartis sur le territoire) s’est penché sur la question de la réduction de la iatrogénie médicamenteuse de ses résidents. Comment ? En passant au crible près d’un million de lignes d’ordonnance provenant de 14 000 résidents hébergés dans une centaine d’Ehpad.
« On a comparé ces lignes d’ordonnance avec différents référentiels de bonnes pratiques gériatriques. Cela a permis d’identifier en priorité le risque lié aux médicaments anticholinergiques. Certains résidents consomment 2 voire 3, parfois 4 médicaments avec des propriétés anticholinergiques ». Plus précisément, ce sont 12 molécules (sur un total de 94 molécules) qui représentent 95 % du mésusage. C’est sur ces 12 molécules que l’effort s’est concentré, d’autant plus qu’il existe une alternative pour onze d’entre elles.
Une fois ce risque identifié, le groupe Korian a lancé en 2017 l’étude DemAsCH dont l’objectif est de « démasquer les anticholinergiques », autrement dit d’en faciliter le repérage, et proposer une alternative thérapeutique lorsqu’elle existe. « Il s’agit d’un programme collaboratif basé sur la diffusion de documents de sensibilisation et de recommandation au sein d’établissements volontaires », résume Paul-Emile Haÿ. Grâce à une meilleure sensibilisation des médecins libéraux prescripteurs, les promoteurs de cette étude espèrent à terme modifier durablement leurs pratiques.
Environ 800 résidents inclus dans l’étude
Pour réaliser cette étude, Korian a sélectionné 20 établissements. La moitié a été placée dans le groupe témoin (pas d’intervention), l’autre moitié (800 résidents) dans le groupe où des actions de sensibilisation ont effectivement été mises en œuvre. Les actions menées ont consisté dans un premier temps à sensibiliser les médecins coordonnateurs des établissements participants à l’étude. Charge ensuite à ces professionnels qui, précisons-le, ne sont pas prescripteurs, de porter la bonne parole aux médecins libéraux qui suivent les patients et leur prescrivent les médicaments.
Explications de Paul-Emile Haÿ : « On a acquis la conviction que toutes les modifications efficaces se passaient en local entre le médecin coordonnateur, le pharmacien, les soignants et les prescripteurs. Le médecin coordonnateur connaît ses confrères libéraux, il les voit dans l’établissement très régulièrement et les invite aux commissions de coordination gériatrique notamment ».
Ces commissions réunissent autour du médecin coordonnateur et des soignants salariés de l’établissement les médecins libéraux intervenant auprès des résidents, des praticiens hospitaliers, les pharmaciens exerçant dans le territoire ainsi que des professionnels paramédicaux. Les Ehpad ont l’obligation d’organiser ces rencontres au moins tous les 6 mois.
Focus sur les outils de communication
« Il est essentiel pour le succès de cette démarche, poursuit Paul-Emile Haÿ, d’adopter une méthode de communication bienveillante, confraternelle et constructive pour le patient. Notre message au prescripteur est le suivant : on va vous aider à démasquer les risques et pour ça on a construit des outils qu’on met à votre disposition au quotidien ».
En pratique, les promoteurs de l’étude ont élaboré différents outils de communication :
- Une brochure de sensibilisation sur la classe des anticholinergiques (rappel des effets secondaires, signaux d’alerte à surveiller, listing précis des molécules en cause, etc.).
- Le livret du médicament Korian, un document élaboré en interne avec l’aide de plusieurs instances officielles du milieu de la gériatrie.
- Un outil informatique de détection des médicaments anticholinergiques posant problème avec la possibilité pour l’utilisateur d’accéder aux alternatives existantes.
« On a aussi mis au point des indicateurs par établissement qui sont envoyés aux médecins coordonnateurs tous les mois, afin qu’ils identifient les spécialités sur lesquelles il convient d’être plus attentif ».
Résultats définitifs attendus en septembre
L’étude a commencé en 2017 à l’initiative du groupe Korian et du groupe Vidal, en collaboration avec la société Medissimo (qui commercialise dans les Ehpad Korian un outil pour la préparation des doses administrées) et l’équipe de recherche du Professeur Novella de Reims. Les résultats finaux sont attendus pour septembre 2019.
« On peut dire à ce stade que nos efforts ont eu une action. Il reste encore à mener l’analyse statistique afin de la quantifier et de confirmer que les habitudes de prescriptions des professionnels libéraux qui interviennent dans les établissements ont été modifiées de façon significative et pérenne. »
Si l’étude démontre une réduction du mésusage dans les dix établissements, cette démarche sera déployée dans les 300 établissements et pourra également être étendue à d’autres spécialités médicamenteuses identifiées comme dangereuses.
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