Assistance sexuelle : les pouvoirs publics encore trop frileux

En dépit des appels répétés des associations représentant les personnes en situation de handicap, l’accompagnement à la sexualité reste assimilé à de la prostitution et ne peut leur être proposé. CH(s)OSE appelle une fois encore les pouvoirs publics  à mettre le débat à l’agenda politique.

Donner un statut à l’assistance sexuelle pour les personnes en situation de handicap afin qu’elle ne soit plus assimilée à de la prostitution : ce combat, CH(s)OSE le porte depuis de nombreuses années. L’Association entend bien le poursuivre.

« Nous avons fait une pause dans nos actions envers les parlementaires le temps des élections présidentielles et législatives. Maintenant que c’est chose faite, nous allons porter à nouveau notre plaidoyer », explique Isabel Da Costa, secrétaire de CH(s)OSE au micro de 66 Millions d’IMpatients.

Accompagnement et prostitution sur un même pied

Dès janvier 2009, APF France handicap, membre actif de CH(s)OSE, adoptait un document de revendication appelant à ce que le droit à une vie affective, sentimentale et sexuelle des personnes en situation de handicap soit respecté, quels que soient leur lieu et leur mode de vie.

Une autre revendication de CH(s)OSE en découle : la création de « services d’assistance à la sexualité – dans le cadre d’une professionnalisation, d’une formation et d’un encadrement spécifique – dès lors qu’aura été engagée une réflexion sur les modalités et les évolutions réglementaires nécessaires dans ce domaine ».

Dix ans plus tard, on est très loin de cet objectif. Et pour cause puisqu’en France l’assistance sexuelle reste assimilée à de la prostitution. La loi du 13 avril 2016 prévoit que le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est punie d’une amende voire de peines complémentaires.

Pas d’exception pour les personnes en situation de handicap

La réglementation ne fait pas cas de la situation particulière des personnes en situation de handicap. En l’état actuel du droit, faire appel à un ou une assistant(e) sexuel(le) quand bien même l’interessé(e) se trouve en situation de handicap est donc susceptible d’être pénalisé comme s’il s’agissait de prostitution.

CH(s)OSE, régulièrement sollicitée par des familles, se trouve pieds et poings liés tant que la réglementation n’aura pas évolué. « Un organisme qui proposerait la mise en relation avec un ou une assistant(e) sexuel(le) prend le risque d’être taxé de proxénétisme, qui plus est sur une personne vulnérable », explique Isabel Da Costa.

Autrement dit, les personnes en situation de handicap qui souhaiteraient être accompagnées dans leur vie affective et intime sont invitées à passer leur chemin et à renoncer, dans certains cas, à toute forme de sensualité, masturbation comprise !

Quelles solutions sont proposées au public concerné ?

En dépit de la réglementation, l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas) propose de mettre en relation les personnes qui le souhaitent avec un ou une assistant(e) sexuelle.

« L’accompagnement sexuel dépend du handicap, explique-t-on sur le site de l’association. Une personne en situation de handicap mental ne sera pas accompagnée de la même manière qu’une personne en situation de handicap moteur ». Objectif de cet accompagnement : « aider la personne qui en bénéficie à se connecter ou se reconnecter à sa sensualité, apprendre ou réapprendre ce qu’est le plaisir ».

L’assistance sexuelle s’adresse également aux couples dont l’un ou les deux membres se trouvent en situation de handicap. La demande est forte : quasi quotidiennement, indique l’Appas, l’association reçoit sur son site des formulaires de demandes émanant de personnes qui souhaitent recourir à l’assistance sexuelle ou d’un de leurs proches.

L’assistance sexuelle autorisée dans de nombreux pays

CH(s)OSE est aussi régulièrement sollicitée sur le sujet. « Certains parents nous expliquent leurs questionnements à accompagner eux-mêmes leur enfant dans leur sexualité, comme avoir recours aux prostitué(e)s. Est-ce que c’est digne de notre société de laisser les familles se débrouiller ainsi ? », interroge Isabel da Costa. Poser la question, c’est comme y répondre.

La politique de l’association consiste à renvoyer les demandeurs vers Corps solidaires. Cette association suisse romande regroupe des assistant(e)s sexuel(le)s certifié(e)s et régulièrement évalué(e)s. Elle organise également des formations.

En Suisse, l’accompagnement sexuel auprès des personnes en situation de handicap est légal. C’est aussi le cas aux Pays-Bas (où la prostitution est autorisée), en Allemagne, en Espagne (Catalogne) ou encore au Danemark. C’est aux Etats-Unis que le statut d’assistant(e) sexuel(le) a été reconnu le plus tôt, au début des années 80.

Des barrières morales qu’il est difficile de faire tomber

En France, on en est encore à l’étape du travail de sensibilisation auprès des politiques. « Tous les parlementaires n’ont pas la même position vis-à-vis du sujet, précise Isabel Da Costa. Les élus qui sont plus ouverts à la discussion sont en général ceux qui connaissent le mieux le champ du handicap. Malheureusement, ils ne sont pas les plus nombreux. Le cadre culturel dans l’Hexagone reste particulièrement fermé : le sujet de l’accompagnement sexuel se heurte encore à des représentations qu’il faut faire évoluer ».

La formation d’assistant est un autre pan de l’activité de l’association CH(s)OSE créée en 2011. Après 120 heures d’enseignement réparties de juin 2016 à juillet 2017, sept personnes (quatre françaises et trois suisses) ont reçu leur certification.

CH(s)OSE a également réfléchit à une charte du service d’accompagnement ainsi que deux autres engageant à la fois les assistant(e)s et les bénéficiaires du service. On le voit, le milieu associatif est prêt ou, à tout le moins, en ordre de marche. Il reste aux politiques à faire preuve d’un peu de bon sens, d’un soupçon de courage et d’une bonne dose d’empathie.

LES DATES CLÉS DU DÉBAT SUR LA LÉGALISATION
La question d’autoriser les personnes en situation de handicap à bénéficier d’un accompagnement sexuel ne date pas d’hier. Retour sur quelques moments clés de ces discussions et sur les plus importantes contributions au débat.
2000
Ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que les personnes en situation de handicap portent le sujet de la sexualité et de l’assistance sexuelle auprès de politiques. La question « handicap et sexualité » se cristallise alors surtout du côté du handicap moteur.
2005
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes en situation de handicap marque un tournant majeur dans la reconnaissance de l’autonomie des personnes concernées. Une occasion manquée de favoriser l’accès de tous à la vie sexuelle et de légaliser l’assistance sexuelle.
2007
En avril, le colloque « Dépendance physique : intimité et sexualité » est organisé au Parlement européen de Strasbourg par plusieurs associations (APF France handicap, l’AFM-TELETHON, Handicap International et la Coordination Handicap et Autonomie). A cette occasion, de nombreuses personnes en situation de handicap expriment avec force leurs revendications en matière d’information, d’écoute et d’accès au plaisir et à la sexualité.
2011
Janvier – Dans son rapport pour l’année 2010, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) se prononce en faveur de l’accompagnement sexuel à condition de l’encadrer strictement afin de permettre « que l’activité ne s’effectue pas dans un contexte d’isolement professionnel dans l’intérêt du bénéficiaire tout autant que dans l’intérêt de l’assistant ».
Avril – Le rapport de la mission parlementaire d’information sur la prostitution rédigé par Guy Geoffroy, député UMP, pointe qu’il ne saurait « être envisageable, pour la mission d’information, de reconnaître une exception législative au proxénétisme au profit de l’assistance sexuelle ».
Novembre – Le rapport « Evolution des mentalités et changement du regard de la société sur les personnes handicapées » rédigé par Jean-François Chossy, alors député UMP, est remis à Roselyne Bachelot (ministre des solidarités et de la cohésion sociale) et à Marie-Anne Montchamp (secrétaire d’état). Ce rapport prend partie pour la légalisation de l’assistance sexuelle.
2012
Durant l’élection présidentielle de 2012, l’APF France handicap sollicite chacun des candidats pour obtenir leur avis sur la question de l’accompagnement sexuel. La plupart déclarent qu’un débat doit être mené.
2013
Un des rapports les plus importants sur la question de l’accompagnement sexuel est celui rendu en mars 2013 par le Comité consultatif national d’Ethique : Vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Question de l’assistance sexuelle. Il est clairement défavorable à la mise en place d’une telle pratique : « En matière de sexualité des personnes handicapées, le CCNE ne peut discerner quelque devoir et obligation de la part de la collectivité ou des individus en dehors de la facilitation des rencontres et de la vie sociale, facilitation bien détaillée dans la Loi qui s’applique à tous ».
2017
Sept assistants sexuels obtiennent leur certification, après 12 mois de formation Ch(s)OSE Corps Solidaire, à « l’accompagnement sensuel et à l’assistance sexuel » des personnes en situation de handicap. La pratique n’est pour autant toujours pas légale.
2020
Le gouvernement procède à nouveau à la saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le sujet.

A lire également : « Assistance sexuelle : un usager témoigne »

2 commentaires

  • SEVERINE SCHATZ dit :

    La vie sexuelle est un besoin vital et universel, et ce titre, devrait faire l’objet d’une protection juridique lorsqu’il est menacé. Avec les lois récentes sur la remise des personnes en situation de handicap au centre des dispositifs d’accompagnement de leurs besoins, la logique voudrait que la vie sexuelle fasse partie des besoins ainsi satisfaits. Faire de recours aux assistants (tes) sexuels (les) une exception à la loi sur la prohibition du proxénétisme est une nécessité, sinon un évidence.

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