Le simple plaisir d’une baignade en mer ou dans un lac peut s’avérer tout à fait impossible lorsque l’on est en situation de handicap. En fauteuil-roulant par exemple, il faut trouver une place où stationner à proximité de la plage, prévoir qu’il n’y ait ensuite pas d’escaliers et qu’une rampe d’accès ait été installée si besoin, être équipé d’un fauteuil-roulant spécial pour le sable et qui soit amphibie, prévoir d’être accompagné pour les transferts entre les deux fauteuils-roulants, espérer que les sanitaires soient accessibles en cas de nécessité… Pour les déficients visuels, il y a d’autres équipements à anticiper comme le marquage au sol depuis le parking puis un accompagnement sonore pour se repérer à la plage et dans l’eau grâce à des bouées audio… Bref, ce petit plaisir d’été nécessite que les stations balnéaires se mobilisent pour accueillir tout le monde.
Certaines municipalités comme Fréjus, Cannes, Pornichet ou Saint-Jean-de-Luz se sont d’ailleurs engagées dans cette voie et ont obtenu le plus haut niveau du label Handiplage créé en 1998 par Ramon Espi et Brigitte Berckmans, un couple d’Hendaye, tous deux en situation de handicap et bien résolus à continuer à profiter de la joie de se baigner !
INTERVIEW DE RAMON ESPI, PRÉSIDENT ET FONDATEUR DE L’ASSOCIATION HANDIPLAGE
Quelle est l’origine de la création de l’association Handiplage ?
Le but au début n’était pas du tout de créer un label. Mon épouse et moi qui sommes en fauteuils-roulants voulions juste pouvoir nous baigner et avions repéré qu’à l’hôpital marin de la plage des Deux-Jumeaux à Hendaye, les personnels soignants proposaient aux résidents de se baigner. Nous leur avons demandé s’ils pouvaient nous aider également à nous mettre à l’eau et ils ont très gentiment accepté. Cela nous a donc motivé à aller voir le maire de la ville pour lui demander d’ouvrir un site Handiplage accessible également aux personnes qui ne font pas partie de l’hôpital et cela a été mis en place. Ensuite Saint-Jean-de-Luz a suivi, puis Anglet et d’autres mairies au fur et à mesure du temps ont développé leur Handiplage jusqu’en Méditerranée. Aujourd’hui, nous comptons plus de 70 Handiplages et nous devrions parvenir à 80 normalement cet été.
Comment cela a-t-il évolué jusqu’à la mise en place d’un label ?
En 2002, nous avons créé un label avec 4 niveaux de qualité car toutes les plages ne bénéficiaient pas des mêmes installations.
Pour obtenir le label Handiplage, a minima il faudra que la plage soit équipée d’un poste de secours puis le classement du premier au 4ème niveau va dépendre de la quantité d’installations et de services mis en place comme :
- Des places de parking réservées aux personnes handicapées
- Un accès adapté depuis le parking jusqu’à l’eau
- Des sanitaires adaptés
- La mise à disposition de fauteuils-roulants de plage amphibies qui peuvent rouler dans le sable jusqu’à l’eau et qui flottent pour pouvoir se baigner tout en restant assis à l’intérieur
- Du personnel durant la saison pour aider les baigneurs en situation de handicap
- Le système audioplage qui conditionne l’accès au 4ème niveau et qui permet d’accueillir les personnes malvoyantes et non-voyantes.
Comment intervenez-vous auprès des mairies pour les aider dans leur projet d’Handiplage ?
Certaines nous appellent pour savoir quelles installations mettre en place, mais nous avons également passé du temps à contacter toutes les communes qui pourraient se doter d’une Handiplage pour les convaincre de la faire.
C’est souvent plus facile en Méditerranée que sur la Côte Atlantique qui est plus sauvage et où il y a davantage d’obstacles naturels.
La plupart du temps, les mairies demandent le niveau 1 puis, en fonction de la fréquentation de la plage, elles s’équipent de plus en plus. Il faut cependant savoir que le système audioplage qui permet d’obtenir le niveau 4 du label ne peut pas être installé partout car il faut mettre en place dans l’eau des bouées audio et cela ne peut se faire que dans des endroits où la mer est suffisamment calme, donc sur des plages assez protégées naturellement, car si l’eau est agitée trop régulièrement, elle passe sur les bouées et abîme rapidement le matériel.
Enfin, nous proposons des formations pour les handiplagistes lorsque les mairies en emploient.
Bien sûr, nous essayons aussi de sensibiliser les mairies au fait de penser à l’accessibilité de façon globale, dans toute la ville et pas seulement uniquement à l’arrivée à la plage.
Ce qui est un peu dommage, c’est qu’il y a des plages qui sont finalement déjà accessibles aux personnes à mobilité réduite mais ne demandent pas le label et ne communiquent pas particulièrement sur le sujet. En ce qui nous concerne, nous connaissons assez bien les plages autour de chez nous dans la région d’Hendaye mais nous connaissons beaucoup moins celles plus au nord ou en Méditerranée. De fait, nous ne les répertorions pas alors que cela ne leur coûterait pas grand chose d’être labellisées.
Cela représente-t-il un coût important pour les municipalités de s’organiser pour mettre en place une Handiplage ?
C’est à la portée de la plupart des mairies en réalité. Les équipements ne sont pas excessifs. Pour vous donner un exemple, un fauteuil amphibie coûte environ 1500 €. Ce qui peut représenter une charge importante, ce sont peut-être les travaux éventuels à prévoir, par exemple pour rendre les sanitaires accessibles si ce n’est pas déjà le cas ou, selon le terrain, pour aménager des rampes d’accès afin d’aller du parking jusqu’à la mer. Mais certaines municipalités ont déjà un accès de plain-pied et des sanitaires adaptées, donc il ne leur manquerait pas grand chose pour faire partie du réseau Handiplage.
Ensuite, il y a aussi le choix ou non de mettre du personnel à disposition pour aider les baigneurs afin d’obtenir un plus haut niveau de labellisation et cela représente bien sûr des frais supplémentaires pour les municipalités qui s’y engagent.
La formation, non obligatoire, que nous assurons pour les accompagnants Handiplage coûte 110 € par personne pour les particuliers et 150 € pour les municipalités.
Enfin le coût de la labellisation s’élève entre 300 € et 500 €.
Les Handiplages ont-elles du succès ?
Oui beaucoup et les Handiplages sont parfois très fréquentées au point qu’en été il arrive qu’il y ait de l’attente pour pouvoir utiliser les fauteuils-roulants amphibies. Sur les côtes méditerranéennes où l’eau est plus chaude, il y a souvent plus de monde que vers l’Atlantique. Certaines Handiplages comptabilisent jusqu’à 1000 baignades par saison.
QUELQUES TÉMOIGNAGES D’USAGERS D’HANDIPLAGE
Christian, 70 ans, Ciboure
J’habite à Ciboure aujourd’hui où je suis longtemps venu en vacances. Je suis en fauteuil-roulant depuis 2005 à cause d’une sclérose en plaques. J’ai toujours été très sportif puisque plus jeune je faisais du karaté, du tennis et que je m’entraînais tous les jours à courir des marathons. Il a fallu que je m’adapte bien sûr pour conserver des activités lorsque la maladie s’est déclarée et je me suis mis par exemple au tennis handisport. Nager est également une activité que j’apprécie beaucoup aujourd’hui. C’est très relaxant et j’arrive d’ailleurs à sortir du fauteuil pour nager tout seul. Avant de venir m’installer près de la mer, j’allais nager en piscine, mais l’eau de mer porte davantage grâce au sel et c’est donc plus facile de nager seul en mer qu’en piscine.
À Ciboure, la plage est aménagée pour les personnes à mobilité réduite et labellisée Handiplage de niveau 3, donc très bien équipée. Beaucoup de personnes handicapées y viennent et l’ambiance est très conviviale. Il y a 2 fauteuils amphibies, parfois les deux sont pris et il faut attendre. En ce qui me concerne, j’ai fait une demande d’aide au financement après de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour un fauteuil spécial avec lequel je peux me promener seul sur la plage sur le sable mouillé et compact. Comme j’habite à 600 mètres de la plage, je peux sortir me promener seul. Il me faut quand même de l’aide pour passer le sable plus sec et mouvant. En général, je demande à un jeune homme qui passe par là de m’aider. Certains regardent en l’air et font semblant de ne pas me voir, mais il y a plein de bonnes volontés qui viennent me prêter main forte.
J’ai la chance de pouvoir aller à la plage sans prendre la voiture, mais je dirais qu’à Ciboure, le problème reste sans doute le fait qu’il y a trop peu de places de stationnement réservées aux personnes handicapées.
François, Côte Basque
Je suis malvoyant et je profite de la plage à Saint-Jean-de-Luz, qui est une Handiplage de niveau 4 avec un système audioplage.
À l’entrée de l’Handiplage, il y a un tapis qui nous guide jusqu’à à un totem audio où l’on peut laisser nos affaires. Souvent, avant même d’arriver au totem, nous sommes pris en charge par les handiplagistes. Ils nous remettent alors un bracelet spécial avec différents boutons qui permettent d’activer des repères sonores. Il y a un bouton pour le totem, pour les bouées qui sont dans l’eau et enfin un bouton d’alarme en cas de besoin. Depuis le totem, un tapis descend jusqu’à l’eau où une corde est tendue et sur laquelle les bouées audio sont attachées. On peut alors lâcher la corde pour nager et activer depuis le bracelet le système audio des bouées disposées dans l’eau à des distances diverses et qui balisent donc un parcours de nage sonore sécurisé. En appuyant sur les boutons du bracelet, la bouée nous indique vocalement à quelle distance elle se trouve. Après la baignade, lorsque l’on a à nouveau pied, il suffit d’appuyer sur le bouton du totem qui émet un son et nous permet de savoir comment retourner à l’endroit où nous avons laissé nos affaires. Je précise pour ceux qui ont un chien d’aveugle qu’il y a même un parasol pour le chien !
Dominique et sa fille Diane de 25 ans, Saint-Martin-de-Seignanx
J’utilise Handiplage pour ma fille aînée de 25 ans et qui est en situation de polyhandicap. Nous allons la plupart du temps, depuis quelques années, à l’Handiplage de Cap Breton. Il y a des places de stationnement réservées aux personnes handicapées proches de la plage, mais en général nous y allons en vélo avec ma fille qui emprunte un vélo adapté de notre association « l’Autruche sur un fil de soie » (une association qui vise à développer des projets à visée culturelle et sportive à l’attention d’enfants, d’adolescents et d’adultes en situation de polyhandicap).
On va parfois aussi aux Handiplages d’Hendaye et de Saint-Jean-de-Luz. Dans ce cas, nous prenons la voiture. Nous avons découvert l’Handiplage de Saint-Jean-de-Luz assez récemment et cette plage est un vrai bonheur, notamment car c’est un site où l’océan est très peu agité. Le seul petit bémol, ce sont les places de parking qui ne sont pas assez nombreuses malheureusement. Il faut aussi penser lors de la création de ces places (ou pour les autres usagers qui se garent derrière des voitures garées sur les places handicapées) que nous avons parfois besoin de pouvoir ouvrir nos coffres et nos haillons.
À Cap Breton la rampe d’accès est assez raide et pousser le fauteuil est assez sportif, mais il y a un atout, c’est que les handiplagistes accompagnent les baigneurs dans l’eau avec le fauteuil amphibie puis ils restent dans l’eau et aident les baigneurs à sortir du fauteuil pour se baigner avec eux. J’apprécie particulièrement cela, car moi-même je ne suis pas très à l’aise dans l’eau et maintenant que Diane est adulte j’ai du mal à l’accompagner. Pour Diane, Handiplage et les fauteuils amphibies sont le seul moyen d’aller à la plage. Sans les équipements et les accès adaptés, ce serait tout simplement impossible. Ce serait vraiment formidable, en fait, que sur l’ensemble du territoire, lorsque les plages sont accessibles et surveillées, on demande aux municipalités de mettre à disposition un fauteuil amphibie.
Excellente initiative et très beau projet que ce handiplage. Trop souvent ces endroits de détente ne sont pas adaptés aux personnes en situation de handicap qui ne peuvent en profiter. Il faut continuer à œuvrer pour développer ce type d’initiative ainsi que des aides pour les personnes âgées et/ou en situation de handicap.