Prix des médicaments innovants : à quand une plus grande transparence ?

AIDES, France Assos Santé, Ligue contre le cancer, UFC Que Choisir… Le 20 juin, un regroupement d’organisations représentant la société civile, dont plusieurs associations de patients, a publié un livre blanc appelant les pouvoirs publics à repenser le processus de négociation du prix des médicaments. S’il n’est pas question de décourager l’innovation, le progrès thérapeutique doit bénéficier en premier lieu aux personnes malades.

« Un médicament à balance bénéfices-risques favorable mais proposé à un prix inabordable pour une proportion importante des malades est un médicament qui ne vaut pas grand-chose, voire rien dans les cas où il n’est pas disponible du tout. »

Pourquoi certains médicaments sont-ils si chers ? Quelles sont les conséquences de ces tarifs parfois hallucinants ? Comment enrayer cette inflation et faire en sorte que chaque patient puisse accéder aux traitements dont il a besoin ?

A quelques jours d’une rencontre prévue entre le gouvernement et les fabricants de médicaments le 9 juillet prochain lors du Conseil stratégique des industries de santé, un collectif regroupant plusieurs associations de patients et d’usagers du système de santé publie un livre blanc pour apporter des réponses à ces questions.

Quand les prix menacent l’accès aux soins

Ce document constitue un manifeste pour rappeler aux pouvoirs publics que « face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux médicaments, notamment ceux contre les cancers, l’hépatite C et certaines maladies rares, la société civile française se mobilise pour défendre l’accès aux meilleurs soins pour tou.te.s, et la sauvegarde de notre système de santé solidaire ».

Rappelons qu’en France, le prix des spécialités remboursables est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS), un organisme public dépendant du ministère de la Santé. Autrement dit – c’est important que nos lecteurs l’aient en tête –, les prix pratiqués par les laboratoires sur le territoire ont été validés par les pouvoirs publics.

De quels tarifs parle-t-on ? Prenons le Sovaldi, un médicament contre l’hépatite C du laboratoire américain Gilead qui présente une efficacité nettement supérieure à ses prédécesseurs (taux de guérison de près de 90% contre 50% auparavant), moins d’effets secondaires, pour une durée de traitement réduite de un an à trois mois. L’innovation thérapeutique est bien là. Il y a quelques mois encore la boîte de 28 comprimés valait 13 667 €, soit un montant total pour le traitement, excusez du peu, de 41 000 €.

Les diktats tarifaires des laboratoires

En 2015, l’enveloppe dédiée à ces traitements contre l’hépatite Ca été limitée à 700 millions d’euros par le ministère de la Santé qui a décidé de réserver le médicament aux patients les plus gravement atteints. « Pour la première fois, les pouvoirs publics rationnent l’accès aux soins, bafouant nos principes mêmes d’accès à la santé », s’agaçait alors l’association SOS Hépatites.

L’action des associations de patients a notamment poussé à une approche plutôt combative de Marisol Touraine, alors ministre de la santé, pour amener le laboratoire à revoir ses prétentions. Aujourd’hui, le traitement est commercialisé à un prix d’environ 28 700 €. Les exemples comme celui-ci sont de plus en plus nombreux. Dans sa contribution au livre blanc, l’UFC Que Choisir pointe par exemple le Glivec, un médicament utilisé dans le traitement de cancers rares du sang et de la moelle osseuse qui coûte jusqu’à 40 000 € par an (traitement à vie).

La Ligue contre le cancer s’interroge de son côté sur le prix que les pouvoirs publics s’apprêtent à accorder pour le Kymriah de Novartis et le Yescarta de Kite Pharma/ Gilead Science. Ces deux médicaments de la même famille, fraîchement issus des éprouvettes, sont commercialisés sur le marché américain au prix de 475 000 et 373 000 dollars par patient. Vous avez bien lu…

Jusqu’à près de 500 000 euros par patient

Ces deux traitements sont actuellement en cours d’évaluation auprès de l’Agence européenne du Médicament qui devrait leur accorder une autorisation de mise sur le marché prochainement. « Les systèmes de santé s’y préparent, précise la Ligue contre le cancer, à l’image de la France qui a voté une augmentation des dépenses de médicaments à l’hôpital dans le projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2018, justement pour permettre de financer ces traitements, en acceptant par là le prix revendiqué ».

Pour justifier de tels tarifs, les industriels invoquent trois arguments : le coût de production, les investissements en recherche et développement et l’efficacité des médicaments. Aucun d’entre eux ne tient véritablement l’examen. Prenons par exemple l’idée selon laquelle le niveau élevé de tarif serait lié à l’intérêt thérapeutique du médicament. Certains constituent en effet une véritable innovation. C’est le cas du Sovaldi mais pas de tous les traitements, loin s’en faut.

Le Keytruda du laboratoire Merck est une toute nouvelle molécule indiquée dans le traitement du mélanome non opérable ou métastasé. Selon la Haute Autorité de Santé, chargée d’évaluer la pertinence des traitements au regard notamment de ce qui existe déjà, ce médicament n’apporte qu’une amélioration mineure en comparaison de ceux qui se trouvent déjà sur le marché. Il coûte pourtant près de 6 000 € par mois soit 72 000 € par an.

A peine plus efficace mais beaucoup plus cher

La revue Prescrire, également signataire du livre blanc sur les médicaments et progrès thérapeutiques, présente dans sa contribution une étude menée aux Etats-Unis sur 58 médicaments anti-cancéreux autorisés outre-Atlantique entre 1995 et 2013.

Ses résultats montrent que les produits les plus récents n’ont pas augmenté la durée de survie par rapport aux produits plus anciens. Leur prix, en revanche, a bondi de 12 % par an. « Ainsi, soulignent les experts de la revue indépendante, une année de survie supplémentaire coûtait 54 000 dollars en 1995, 139 000 dollars en 2005 et 207 000 dollars en 2013 (chiffres ajustés en dollars de 2013) ».

Quant à brandir des coûts de production ou d’investissements élevés pour justifier des tarifs hallucinants que pratiquent certains industriels, l’argument laisse là encore les représentants d’usagers et de malades sceptiques. La Ligue contre le Cancer s’est penchée d’un peu plus près sur les sorties publiques ces dernières années des promoteurs du Kymriah et du Yescarta.

Opacité sur les critères de fixation des tarifs

Novartis revendique un coût de production d’environ 200 000 dollars pour son nouveau médicament. En 2012, interrogé dans les colonnes du New York Times, l’un des chercheurs ayant développé le traitement pour Novartis estimait pourtant ce coût à 20 000 dollars par patient. En 2015, le directeur administratif et financier de Kite Pharma annonçait une hypothèse de prix autour de 150 000 dollars par patient, soit 50 000 euros en dessous de ce que cela coûterait à produire à Novartis.

De là à dire que les deux labos manient avec autant d’aisance les règles de la chimie fine que la langue de bois, il n’y a qu’un pas… Pour la Ligue contre le cancer « les coûts de production revendiqués pour justifier les prix semblent donc surestimés et ne peuvent être acceptés comme tels, même s’il est difficile d’en établir une estimation précise en raison, une fois de plus, d’un manque de transparence en la matière ».

La même opacité prévaut quand il est question des coûts de recherche et de développement, les chiffres annoncés par l’industrie, énormes, étant évidemment impossibles à vérifier. Ces chiffres incluent-ils les financements publics qui souvent sont à l’origine du développement de ces médicaments ? La société civile ne dispose pas d’éléments de réponse à cette question. Ces financements sont pourtant loin d’être négligeables.

Des tarifs établis à la tête du client ?

Un exemple ? Restons sur la molécule du laboratoire Novartis. Citée par la Ligue contre le cancer, l’association Patients for affordable drugs estime que le National institute of Health, l’équivalent chez l’oncle Sam de notre Inserm, aurait à lui seul investi plus de 200 millions de dollars dans le développement de ce nouveau traitement. Le laboratoire en a-t-il tenu compte dans son calcul tarifaire ? Il est permis d’en douter. Surtout quand l’intéressé se refuse à répondre.

Pour la revue Prescrire et France Assos Santé (éditeur du site 66 Millions d’IMpatients), c’est surtout la capacité des Etats à financer les traitements qui conditionne les tarifs. « Le prix, indique France Assos Santé, varie en fonction de la taille du pays, de sa richesse, et conditionne en grande partie le délai d’accès à l’innovation thérapeutique ».

Robert Dahan est un ancien cadre de l’industrie pharmaceutique. Dans une tribune publiée dans Les Echos en novembre 2015, il confirme : « Le prix d’un médicament innovant c’est simplement celui que le marché accepte de payer et dans le cas de l’innovation, médicamenteuse ou non, le prix est celui que le marché américain accepte de payer. Les prix dans les autres pays, et cela est aussi vrai pour le médicament, sont de simples dérivés ». Comme ça, c’est clair !

La société civile réclame enfin plus de transparence

Pour l’ensemble des contributeurs à ce livre blanc, la bataille pour un prix plus juste des médicaments passe nécessairement par plus de transparence. Cette transparence doit s’exercer à différents niveaux : « de la recherche médicale et de son financement jusqu’à la fixation des prix des produits de santé et leur mise sur le marché, en passant par la transparence sur le niveau de progrès thérapeutique apporté par le produit de santé ».

Les représentants d’usagers entendent également être associés au plus proche des échanges et réflexions sur les politiques du médicament. Ils appellent enfin à la tenue « d’un débat véritablement démocratique  structuré à partir d’une exigence que toutes nos associations partagent : sur le fondement de prescriptions médicales justifiées uniquement par l’état de santé, notre système de santé solidaire doit garantir l’accès au progrès thérapeutique à toutes celles et ceux qui en ont besoin ».

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