Selon le Réseau Epidémiologie et Information en Néphrologie, en France, en 2015, 11 093 nouveaux patients ont été traités pour insuffisance rénale chronique terminale, c’est-à-dire que suite à une maladie affectant les reins, ceux-ci ne peuvent définitivement plus remplir leur fonction d’épuration des déchets de l’organisme. Ce chiffre augmente malheureusement chaque année.
Il faut alors passer au stade de la dialyse à raison de plusieurs séances par semaine, afin d’épurer artificiellement l’organisme à l’aide d’une machine ou bien faire une greffe de rein.
Toujours en 2015, en France, 45 862 personnes étaient sous dialyse et 36 433 étaient porteuses d’un greffon. 40% de ces patients environ ont du diabète ou de l’hypertension qui comptent parmi les grands facteurs de risques de l’insuffisance rénale chronique. Ce simple constat suffit à comprendre que l’alimentation et l’activité physique, qui sont deux armes très efficaces pour lutter contre le diabète et l’hypertension (voir notre article sur Alimentation, activité physique et diabète), sont évidemment essentielles pour prévenir l’insuffisance rénale mais également pour retarder son évolution vers la dialyse ou la greffe. En outre, la qualité de vie et la réussite des traitements des malades dialysés ou transplantés sont indissociables de mesures hygiéno-diététiques adaptées. Les régimes alimentaires notamment sont assez précis selon les différentes phases de la maladie rénale.
INTERVIEW DU DOCTEUR ANNE KOLKO, NÉPHROLOGUE
66 Millions d’IMpatients : Est-ce possible de faire une activité ou du sport lorsque l’on est insuffisant rénal, voire dialysé ou transplanté ?
Docteur Kolko : Il est important de ne pas confondre sport et activité physique. Ce qui est bon pour la santé, c’est l’activité physique RÉGULIÈRE, intégrée dans son mode de vie, avec une bonne hygiène de vie et on peut tout à fait avoir des activités physiques sans être sportif. Le sport, c’est autre chose, il y a des règles, un fonctionnement, etc… Tout le monde n’est pas forcément sportif, tout le monde n’a pas de goût pour le sport, de la même façon que tout le monde n’est pas musicien ou artiste. On ne peut pas faire faire du sport à tout le monde et c’est ce postulat qui fait que bien souvent on a une activité physique insuffisante, parce que si l’on est découragé à l’idée de devoir faire du sport, il y a un risque pour certains, finalement, de ne rien faire du tout. Si on recentre le débat sur l’activité physique au lieu du sport, on va toucher beaucoup plus de monde. Tant que l’on restera sur l’idée qu’il FAUT faire du sport, s’inscrire dans une salle, transpirer, on aura du mal à progresser véritablement sur le sujet.
Les recommandations sont d’avoir une activité physique pour tout le monde et a fortiori lorsque l’on souffre d’une maladie chronique. Il faut savoir que la sédentarité favorise les maladies chroniques, et notamment les maladies rénales. Alors bien sûr, quelqu’un qui est sédentaire depuis des années, et qui se retrouve atteint d’une maladie chronique, va avoir d’autant plus de mal une fois malade à se mettre à bouger davantage. Il n’est alors pas question de vouloir en faire un grand sportif. On n’y arrivera pas et cela n’aura pas de sens.
L’idée est de faire prendre conscience en général, et aux patients en particulier, que de bouger tout simplement, même un peu, cela va leur faire du bien. C’est un des éléments de la prise en charge thérapeutique, au même titre que le reste de l’arsenal thérapeutique.
Donc oui, on peut pratiquer une activité physique voire du sport à tous les stades de la maladie rénale, c’est même hautement recommandé et je précise que l’âge n’est pas une contre-indication à l’activité physique ou sportive, même si l’on est dialysé ou transplanté.
Si cela est bénéfique, pourquoi l’activité physique ne fait-elle pas tout simplement partie du parcours de soins ?
Les médecins souvent ne parlent pas de l’activité physique aux insuffisants rénaux, probablement par manque de temps, parce que d’autres choses leur semblent plus importantes. Peut-être aussi parce que cela leur paraît tout simplement évident. De fait, cela entretient un non-dit car de leur côté les patients et les familles peuvent avoir tendance à penser que l’activité physique pour une personne dialysée ou transplantée ce n’est pas possible, et que c’est même peut-être dangereux. Pour quelqu’un de sédentaire depuis des années la question ne se posera d’ailleurs même pas. C’est certain qu’il faudrait vraiment oser en parler davantage dans le parcours de soins. Des études ont montré que les patients seraient demandeurs d’informations sur l’activité physique mais qu’ils n’osent pas en parler aux professionnels de santé car ils ont peur de les déranger, pensant qu’ils ont déjà beaucoup de travail par ailleurs.
Comment faire pour remotiver les personnes sédentaires, qui, depuis des années, prennent leur voiture pour la moindre course ou restent assis de nombreuses heures dans la journée par exemple ?
La première chose, c’est la prise de conscience. Tout le monde ne se rend pas forcément compte de son niveau de sédentarité. Le podomètre, qui mesure le nombre de pas que l’on fait chaque jour est un bon indicateur, même si ce n’est pas un système de mesure exacte. Il faut rappeler que l’Organisation mondiale de la santé recommande de faire 10 000 pas par jour (voir notre article sur le programme D-Marche). Nous sommes finalement très peu à les faire, surtout si l’on travaille à un poste où l’on est assis plusieurs heures par jour. Le minimum serait de pratiquer au moins de 30 minutes d’activité physique modérée, 5 fois par semaine et idéalement de combiner endurance et renforcement musculaire. Le podomètre va nous aider à voir où l’on en est par rapport à ces recommandations puis de se fixer des objectifs atteignables au quotidien pour augmenter peu à peu son nombre de pas journaliers. Notez que sur les smartphones, il y a déjà des applications gratuites intégrées qui indiquent le nombre de pas faits chaque jour. Cela suppose de garder son téléphone dans sa poche toute la journée.
Cela passe effectivement par le fait d’aller chercher son pain à pied plutôt qu’en voiture quand c’est possible, ou de descendre une station avant sa station habituelle et de terminer son trajet à pied. Cette astuce peut faire sourire, mais elle s’avère vraiment très efficace. Evidemment, on peut aussi prendre l’ascenseur plutôt que les escaliers, ne serait-ce que pour 1 étage en descendant à l’étage en-dessous de celui prévu. Il faut bien comprendre que même un peu d’activité physique c’est déjà bien, c’est toujours mieux que rien.
En effet, au-delà des effets bénéfiques de l’activité physique, il faut surtout mettre en regard les effets néfastes de la sédentarité. C’est-à-dire que non seulement c’est bon d’avoir une activité physique, mais surtout c’est très mauvais de rester dans son canapé 3 heures de suite. Il est important de se lever de son canapé toutes les heures, de marcher dans sa maison, 1 ou 2 minutes avant de se rassoir. C’est également valable au bureau où il faut prendre l’habitude de se lever toutes les heures, et de marcher. Cela paraît ridicule, mais c’est l’accumulation de ces petites activités qui va permettre d’enclencher peu à peu de meilleures habitudes.
Comment motiver les personnes qui découvrent une maladie rénale chronique (ou n’importe quelle maladie chronique) et qui préfèrent ne rien changer à une mauvaise hygiène de vie car finalement leur vie leur plaît ainsi ?
Il est difficile de prouver que l’activité physique va améliorer la fonction rénale en revanche, ce que l’on voit parmi les patients, c’est que la maladie progresse moins vite chez les patients qui ont des activités physiques régulières par rapport à ceux qui bougent très peu. Ce que l’on peut dire c’est que l’activité physique va permettre dans tous les cas d’améliorer de façon très nette la qualité de vie malgré la maladie. Le problème, c’est que les gens qui ont toujours été sédentaires n’ont jamais vécu dans leur corps que le fait de bouger un peu fait du bien. S’ils en font l’expérience, ils verront très vite qu’ils vivront mieux, même s’ils sont malades et ils pourront mieux supporter les éventuelles complications. Encore une fois, quand on est vraiment très sédentaire, il suffit d’essayer de bouger au moins une fois toutes les heures, au travers de toutes petites choses. En outre, reprendre une activité physique va souvent de pair avec le fait de retrouver une vie sociale plus riche. On peut aller marcher un peu en famille pour des promenades ou du shopping tout simplement. Enfin, pour les patients qui ont des traitements lourds, je pense notamment aux dialysés, cela permet de garder une bonne estime de soi car être capable d’aller se promener en famille malgré de gros soucis de santé, cela rend fier en quelque sorte. En outre, l’activité physique régulière sera bénéfique au maintien de l’autonomie chez les personnes âgées.
Peut-on avoir une activité physique lorsque l’on est dialysé ? En faisant un effort, y a-t-il un risque de se déshydrater ?
Une étude française a révélé que les personnes dialysées étaient extrêmement sédentaires et qu’un cercle vicieux s’installe. D’ailleurs, même le temps de dialyse, qui nécessite de passer 3 fois par semaine 4 heures dans un lit, participe au déconditionnement par rapport au fait de bouger. Là encore, la prise de conscience est la première étape pour retourner dans un cercle vertueux et ne pas laisser la maladie l’emporter. Dans le cas de la dialyse, on peut reprendre une activité physique dès le premier mois. D’une manière générale en fait, la reprise d’une activité physique peut se faire dès lors que l’on est dans un état de santé stable. C’est juste du bon sens. Là aussi on commence par de petites choses, on se fixe des objectifs journaliers à sa portée mais réguliers et croissants. Il y a quelques centres d’ailleurs qui mettent en place la possibilité de pédaler pendant les séances de dialyse. Il n’y en a pas beaucoup encore mais cela fait tâche d’huile car les patients qui ont déjà essayé réclament des vélos d’appartement dans les centres. Cela montre bien à quel point ce n’est pas du tout contre-indiqué de pratiquer un exercice physique sous dialyse ! C’est une très bonne initiative d’utiliser ce temps de dialyse pour bouger, et d’autant plus rassurant que cela se fait sous l’encadrement de l’équipe médicale. Cela permet de mobiliser des personnes qui ont totalement perdu l’habitude de faire un peu d’exercice et ne l’auraient de toutes façons jamais fait chez eux. J’ai vu des patients retrouver le sourire en pédalant ! En outre, dans la mesure où parmi les personnes dialysées, il y a un certain nombre de diabétiques et d’hypertendus, c’est un double bénéfice pour eux car cela va aider les diabétiques à équilibrer leur glycémie et peut permettre aux hypertendus de réduire leur dose de médicaments. Une fois que l’habitude est prise les jours de dialyse et que l’on gère bien ses possibilités physiques, on va tout à fait pouvoir faire la même chose, ou d’autres types d’activités physiques, également les autres jours. Le problème pour que cela se répande dans tous les centres, c’est le coût d’achat des vélos alors que les budgets des centres de dialyse sont très serrés.
Quant à la crainte d’une éventuelle déshydratation, à partir du moment où l’on reste dans un niveau d’effort faible, le problème de la déshydratation ne se pose pas, car il n’y a de toutes façons pas lieu de boire un litre d’eau.
Les anciens grands sportifs dialysés peuvent-ils refaire une activité sportive intense ?
Tout à fait, ce n’est pas du tout contre-indiqué. En revanche, cela vaut la peine, au moins au début, d’avoir le soutien par exemple d’éducateurs sportifs spécialisés en activité physique adaptée (lire notre interview d’Ariel Marchisio, éducatrice E3S – Educatrice sportive sport-santé et bien-être) et peut-être de passer un bilan cardiovasculaire, une épreuve d’effort pour s’adapter sans mauvaise surprise à cette activité intense. Il faut quand même savoir qu’un grand sportif dialysé ne parviendra sans doute pas à retrouver son ancien niveau de performance. J’ai assisté à des tables rondes avec d’anciens grands sportifs dialysés et souvent ils n’ont plus envie de pratiquer leur sport, car ils ne parviennent pas à faire le deuil de leurs performances passées. Dans ces cas-là, je conseille de démarrer un nouveau sport pour repartir sur une base sans référence personnelle et pouvoir espérer une progression satisfaisante. C’est souvent à chacun de trouver sa solution.
La reprise d’activité physique est-elle différente après une transplantation rénale ?
Oui, et il y a deux aspects à prendre en compte sur le sujet :
- Tout d’abord, une étude a montré que pour les personnes ayant une activité physique avant d’être transplantés, la transplantation se passait mieux. Il y a donc un effet bénéfique de l’activité physique avant la greffe, pour le devenir de la greffe.
- Ensuite, le fait de récupérer une meilleure fonction rénale grâce à la greffe permet de regagner en capacités physiques, c’est-à-dire qu’il y a une association directe entre les capacités physiques et la fonction rénale. Inversement, plus la fonction rénale se dégrade, plus les capacités physiques diminuent. Mais bien évidemment, comme avant la greffe on a souffert d’une diminution de ses capacités physiques, il y a une phase où l’on doit se réhabituer à bouger et ce n’est pas évident. Souvent cela nécessite d’être un peu encadré par l’équipe médicale et de repartir sur des programmes progressifs.
Il y a aussi quelques points spécifiques à prendre en compte avant la reprise d’une activité physique, comme d’attendre de se remettre de la période post-chirurgicale, ce qui prend en général environ 6 semaines, bien que cela soit variable au cas par cas. Cependant dans les suites immédiates de la chirurgie, pendant ces 6 semaines, on peut quand même bouger un peu avec le soutien par exemple d’un kinésithérapeute.
Quant à la reprise d’une activité sportive, il y aura certains sports « violents » à éviter pour protéger le greffon, comme le rugby et bien évidemment tous les sports de combat. Comme pour la dialyse, les grands sportifs pourront se remettre au sport, mais avec cet écueil d’accepter de reprendre avec des performances qui ne seront plus les mêmes qu’avant. Dans tous les cas, il faut y aller progressivement.
D’ailleurs, cela me donne ainsi l’occasion de parler de l’association Trans-forme qui organise les jeux nationaux des transplantés et dialysés (prochaine édition du 10 au 13 mai 2018 à Boulogne-sur-Mer).
L’activité physique adaptée pour les insuffisants rénaux est-elle aussi développée que pour les patients atteints de cancer (voir notre article sur alimentation, activité physique et cancer) ou diabétiques (voir notre article sur le sujet)
Pas encore, et il est important que l’on atteigne pour l’APA (activité physique adaptée), le niveau d’organisation qui existe pour le diabète et le cancer. Il est temps que l’on parvienne à financer l’éducation physique au même titre que l’on finance les soins car c’est une thérapeutique à part entière.
Vous pourrez trouver les programmes d’éducation physique adaptée proches de chez vous sur les sites de votre Agence régionale de santé ou des associations locales, dont les associations de patients comme Renaloo ou France Rein.
INTERVIEW DE CAROLE CANTAYRE, DIÉTÉTICIENNE NUTRITIONNISTE NÉPHROLOGIE, CHARGÉE DE PROJETS ÉDUCATION SANTÉ
66 Millions d’IMpatients : Peut-on prévenir la maladie rénale chronique grâce à l’alimentation lorsque l’on a un terrain « à risques » ?
Carole Cantayre : Si un patient diabétique ou hypertendu – nombreux parmi les insuffisants rénaux – a une alimentation équilibrée et variée et suit les recommandations alimentaires de base adaptées à sa pathologie, il a déjà une alimentation qui peut aider à réduire le risque de développer une maladie rénale chronique.
En amont de tout diagnostic de maladies rénales, il y a évidemment des règles d’hygiène de vie concernant l’alimentation, l’activité physique et le sommeil à mettre en place. Pour cela, il convient de repérer les erreurs nutritionnelles quotidiennes pour les corriger. Tout cela va permettre d’une part de stabiliser la pathologie initiale, comme le diabète ou l’hypertension, afin qu’elle ait beaucoup moins d’impact sur les organes qui peuvent être lésés par ces pathologies, d’autre part de préserver les reins.
Finalement ces recommandations sont celles à appliquer à la population générale. Par exemple, il faut porter une attention particulière à la quantité de sel que l’on consomme et particulièrement aux sels cachés dans les produits transformés et industriels (voir l’article de 66 Millions d’IMpatients sur la consommation de sel).
Quand la maladie se déclare au début, l’alimentation peut-elle aider à retarder l’évolution de la maladie rénale chronique ?
Oui tout à fait, c’est ce qu’il faut faire et c’est ce que l’on essaye de faire. D’ailleurs « l’avis diététique et le co-suivi diététicien /Néphrologue sont préconisés » dans les recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé) à partir du stade 3 de la maladie, c’est-à-dire une insuffisance rénale modérée si on reprend le tableau de la classification de la maladie rénale. Cela dit, les consultations de diététiciens sont assez peu mises en avant dans le parcours de soins de la maladie rénale et comme elles ne sont pas remboursées par l’assurance maladie, la réalité est que peu d’insuffisants rénaux voient un diététicien-nutritionniste. Par ailleurs, nous sommes finalement assez peu nombreux de diététiciens-nutritionnistes spécialisés en néphrologie. Cependant en 10 ans d’exercice en néphrologie, l’évolution est positive car le nombre de patients adressés par les néphrologues augmente.
Entre les recommandations sur le phosphore, le potassium, les protéines, le sel, le régime adapté aux maladies rénales chroniques semblent effectivement très complexes. Peut-on s’en sortir seul ?
C’est un langage spécifique, donc complexe, que chacun interprète à sa façon. Le diététicien nutritionniste va traduire en aliments et transformer en préparations culinaires le phosphore, le potassium, les protéines, car au final l’important est de composer son assiette adaptée et plaisante. Pour cela, il est important d’envisager un co-suivi diététicien-néphrologue assez tôt car les recommandations alimentaires s’adaptent à l’évolution de la maladie rénale chronique. L’accompagnement nutritionnel tient compte des pathologies associées mais aussi des habitudes de vie des personnes. Par ailleurs, on se rend compte que même les soignants ne sont pas tous eux-mêmes bien formés sur les questions de conduite alimentaire en lien avec l’évolution de la maladie rénale car les conseils nutritionnels vont évoluer en fonction des différentes phases de la maladie que le patient traverse. Il est nécessaire de connaître les liens entre les bilans biologiques et les contenus de l’assiette, puisqu’il faut notamment tenir compte des molécules des médicaments prescrits par le médecin. Quand j’accompagne un patient, j’essaye de repérer les écueils, puis de lui faire prendre conscience des points à modifier et de lui expliquer en quoi cela peut l’aider à retarder l’évolution de sa maladie rénale.
Le régime alimentaire adapté aux patients en néphrologie est-il difficile à tenir ?
Il y a effectivement des informations à intégrer et sûrement quelques habitudes à modifier, mais un régime adapté en prévention de l’évolution de la maladie rénale n’est pas contraignant. Il ne faut pas craindre d’aller consulter en se disant qu’ensuite il faudra bouleverser sa vie. Notre travail est justement de nous adapter pour que les conseils diététiques nutritionnels soient facilement intégrables dans la vie des patients, sinon ce n’est pas tenable sur le long terme. Nous sommes là pour aider les patients à se libérer le plus possible de leur maladie et non pour les contraindre.
Le suivi par un diététicien-nutritionniste n’est donc pas pris en charge par l’Assurance maladie pour les patients en insuffisance rénale ?
Malheureusement non, en tout cas pas en cabinet de ville. Cependant certaines complémentaires santé proposent de rembourser quelques consultations par an.
A l’hôpital les tarifs sont en général moins chers, autour de 24€ et parfois le suivi diététique peut être entièrement pris en charge dans le cadre de l’éducation thérapeutique (voir notre article et notre reportage sur l’éducation thérapeutique).
De nombreuses études montrent l’efficacité de la prévention sur l’évolution de la maladie rénale par des mesures hygiéno-diététiques. En effet, j’inclus l’activité physique qui est tout aussi indispensable que l’alimentation. On dit que l’on peut gagner jusqu’à 10 années sur l’évolution de la maladie en ayant une alimentation bien ajustée et en bougeant régulièrement. De fait, c’est absolument désolant que l’accompagnement par des professionnels sur ces questions ne soit pas intégré automatiquement aux soins et prise en charge par l’Assurance maladie. En tant que diététicien-nutritionniste en néphrologie, je dois dire que je trouve que notre place est bien petite dans l’arsenal thérapeutique et que l’on travaille beaucoup mieux évidemment si on est épaulé par les néphrologues. Nos confrères en diabétologie sont beaucoup plus automatiquement intégrés aux parcours de soins des patients diabétiques, par exemple.
Quand on est en phase de dialyse ou que l’on a été transplanté, les recommandations alimentaires doivent à nouveau changer ?
Tout à fait. C’est d’autant plus important qu’ajuster son alimentation et conserver une activité physique vont améliorer le traitement de la dialyse, bien préparer le patient à sa transplantation, puis plus tard préserver le greffon.
Le suivi diététique est recommandé lorsque l’on est dialysé, mais le paradoxe est qu’il n’y a pas forcément de consultation disponible dans tous les centres de dialyse.
Après la transplantation rénale, les règles hygiéno-diététiques suivent d’autant plus harmonieusement si la personne était déjà éduquée.
TÉMOIGNAGES DE PATIENTS INSUFFISANTS RÉNAUX
Elise, cadre dans la fonction publique, 43 ans
J’ai été diagnostiquée à l’âge de 30 ans et je suis passée en dialyse quasiment un an après, durant 2 ans et demi. L’insuffisance rénale est due chez moi à une maladie de Berger. Cette maladie cible uniquement les reins qui deviennent tout petits. Cela fait maintenant 11 ans que je suis greffée et cela se passe plutôt bien. D’ailleurs, deux ans après la greffe, j’ai eu mon premier enfant, puis un deuxième à 37 ans. Les deux sont en parfaite santé et j’ai la chance que ce ne soit pas une maladie héréditaire. Evidemment, il y a des hauts et des bas, comme pour toutes les maladies chroniques mais mon rein remplit encore son office pour l’instant !
Avant d’être diagnostiquée, j’avais un mode de vie plutôt sain. Je viens d’une famille où l’on fait attention à son alimentation. Cela dit, à l’annonce de la maladie, durant la phase de pré-dialyse, j’ai vu des nutritionnistes à l’hôpital qui m’ont réappris à manger, car il faut ajuster les quantités de protéines pour ne pas fatiguer le rein, il faut aussi faire attention au sel pour éviter de faire de la rétention d’eau et de l’hypertension. Il y a aussi les apports en potassium à réguler, car comme les reins ne le filtrent plus, le potassium risque d’abîmer le cœur. J’avais une liste des aliments à éviter sur mon frigo. Mes reins étaient en réalité dans un état déplorable, mais comme j’étais quelqu’un de très actif et que je faisais beaucoup de sport je n’étais pas en si mauvaise forme. Souvent les gens en pré-dialyse sont tellement fatigués qu’ils ont même du mal à respirer. Le fait d’ailleurs que je sois asymptomatique a eu pour conséquence que l’on ne se rende compte que très tard de ma maladie.
J’aime cuisiner, donc me passer de plats préparés et d’aliments en boites, souvent très salés, n’a pas été trop compliqué. En outre, j’étais très observante sur les consignes alimentaires à toutes les phases de la maladie. Je n’allais plus au restaurant et lorsque j’allais dîner chez des amis, je préparais mon repas. Je me suis aussi achetée une machine à pain pour faire du pain sans sel. C’était très restrictif et contraignant mais grâce à cela, j’ai retardé de plusieurs mois sans doute mon passage en dialyse.
Puis quand on arrive en dialyse, le régime est un peu différent. On vous dit qu’il faut manger plus de viande et on a beaucoup de compléments alimentaires. Puis lorsque l’on a été transplanté, c’est encore de nouvelles habitudes à prendre puisqu’il faut à nouveau faire attention aux protéines mais il n’y a plus les histoires de potassium et le rein remplit à nouveau sa fonction.
Au début, le régime alimentaire a représenté un gros stress pour moi, qui se mêlait bien sûr à l’annonce de la maladie, puis peu à peu on s’y fait… C’est le sentiment d’exclusion sociale par rapport aux repas qui m’a semblé difficile. Cela dépend sûrement des gens, des caractères, de la façon dont on mangeait avant la maladie. Aujourd’hui, je mange très sainement, enfin nous mangeons très sainement à la maison avec le plus d’aliments biologiques possible, quasiment jamais de sucre, ni d’alcool, etc… Ce n’est pas vraiment un régime alimentaire, c’est un choix, un mode de vie.
Côté activité physique, alors que j’étais très sportive avant l’annonce de la maladie, peu à peu je n’ai plus pu faire autant de choses qu’auparavant. En effet, je faisais beaucoup de danse, de ski de randonnée et je me souviens que la veille de mon hospitalisation où l’on a posé le diagnostic, j’étais en montagne durant 3 jours, dormant dans des refuges et j’étais extrêmement fatiguée. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais tant de mal à suivre. Un mois avant cela, j’avais aussi traversé la Réunion en sac à dos, et là aussi j’étais épuisée et je tombais tout le temps. Bien sûr, le diagnostic m’a donné l’explication à tout cela. En passant à la dialyse, j’ai laissé tomber la danse, d’autant qu’on a une image de son corps altérée lorsqu’on est en dialyse puisque l’on dépend d’une machine, que l’on a le bras déformé. En revanche, j’ai continué la randonnée et même le ski. Pour le ski, je prévoyais mes séances de dialyse dans le centre le plus proche de la station de ski. Il suffit de s’organiser avec son centre de dialyse habituel ou seul. Je savais que bouger était bénéfique car les médecins me disaient bien de rester physiquement bien en forme pour arriver en bonne santé au moment de la greffe. Cela dit, j’avais 30 ans à cette époque, je ne sais pas si aujourd’hui je me sentirais capable de faire tout cela !
Par la suite, après la greffe, j’ai pratiqué un peu moins de sport. Mes grossesses étaient des grossesses à risque et j’ai été obligée de rester allongée. Puis la vie avec des enfants peut rapidement vous faire oublier de prendre un peu de temps pour soi. J’ai réellement repris le sport il y a deux ans seulement et je me suis réconciliée avec mon corps. Je vais à la salle de sport et je fais un peu de natation. Cela dit, ma vie de tous les jours est déjà très active entre mon travail et les enfants, mais le sport m’aide à me réapproprier mon corps, à me sentir mieux dans ma peau, à me sentir plus vivante !
Véronique, consultante, 40 ans
L’insuffisance rénale a été diagnostiquée en 2004 et cela a évolué jusqu’à 2014 où l’on m’a dit que la dialyse serait nécessaire dans les 6 à 12 mois à venir. Le pronostic s’est avéré correct puisque j’ai commencé la dialyse au cours de l’hiver 2015 jusqu’en été 2017 où j’ai été greffée. Mon insuffisance rénale est liée à un lupus, qui avait été découvert lorsque j’avais 25 ans environ et je savais que la maladie rénale était un risque de complication du lupus. Le diagnostic d’insuffisance rénale n’a pas été une surprise, car c’est arrivé petit à petit mais longtemps je n’y ai pas vraiment pensé, espérant peut-être que cela ne m’arriverait pas.
Quand l’insuffisance rénale a été diagnostiquée, j’ai fait davantage attention à mon alimentation, en réduisant notamment mes apports en protéines puisque l’on m’a alors expliqué que cela pouvait abîmer les reins et j’ai également fait en sorte de m’hydrater suffisamment. En outre, j’avais un traitement avec des corticoïdes pour mon lupus et il fallait de toute façon que je limite le sel et le sucre, ce qui convenait également parfaitement pour préserver mes reins.
Je n’étais alors pas une grande sportive et je n’ai pas spécialement changé mes habitudes dans ce domaine. D’ailleurs, je ne me souviens pas qu’à l’époque les médecins m’aient dit que l’activité physique ou le sport puissent avoir un effet bénéfique sur ma santé et retarder l’évolution de la maladie. C’est peut-être dû au fait que j’étais en réalité suivi par un médecin interniste pour mon lupus et pas par un néphrologue au début. Aujourd’hui, évidemment, on parle beaucoup plus des bienfaits de l’activité physique dans la lutte contre les maladies rénales et pour repousser leurs complications, comme pour beaucoup de maladies. De toutes façons, mon lupus m’a beaucoup invalidée. Cela fatigue, cela atteint les articulations. J’ai déjà eu du mal lorsque j’étais jeune à aller au bout de mes études sans redoubler et trouver un travail qui me convienne. Je ne me laisse pas aller pour autant. Je fais mes courses moi-même, mon ménage, je marche dès que je peux. Je fais un peu de sport pendant les vacances, mais le reste du temps c’est difficile pour moi.
Les débuts de la dialyse ont été compliqués, car il a fallu s’habituer à la nouvelle situation. Il faut surveiller son alimentation de façon très stricte, comme ses apports en potassium notamment, et le moindre écart est tout de suite grave. On m’a dit que je ne pouvais pas manger des aliments contenant du potassium, comme les bananes, les avocats, le chocolat, en dehors des séances de dialyse. Au bout d’un moment, on s’y habitue, mais il y a une chose à laquelle je ne me suis jamais faite, c’est la restriction des boissons. En dialyse, on a le droit de ne boire que 500 ml en plus de ce que l’on urine et comme au bout de quelques temps, on n’urine plus du tout, on ne peut boire qu’un demi litre par jour. Cela va très très vite dans la journée. Se passer de certains aliments c’est gérable, mais ne pas boire quand on a soif, c’est très difficile. Tous les stratagèmes étaient bons pour tromper la soif. En été, c’est vraiment pénible. Côté activité physique, j’ai continué à bouger autant que possible pendant la dialyse. J’allais au travail que j’effectuais cependant à temps partiel, en transports en commun. C’était dur. Parfois j’arrivais très essoufflée en haut d’un escalier, et certains jours j’étais si fatiguée qu’à peine arrivée au travail, je repartais me reposer. Une chose me faisait du bien en revanche, c’était d’aller à la piscine. Je ne nageais pas beaucoup mais me baigner compensait en quelque sorte mon interdiction de boire. Cela me rafraichissait un peu.
Puis la greffe est arrivée. C’est un soulagement évidemment, car cela nous sort de la dépendance à la dialyse mais c’est très lourd quand même, notamment les effets secondaires des traitements anti-rejets, dont aucun médecin ne nous parle en amont. Le régime alimentaire est maintenu même s’il change. Je n’avais plus du tout droit au sucre par exemple, à cause des grosses doses de corticoïdes que je prenais au début. Cela prend vraiment plusieurs mois de se sentir à nouveau en forme. J’ai été greffée en été 2017, j’ai recommencé à travailler à temps partiel 4 mois plus tard, et je dirais que je me sens capable de bouger ou de faire un petit peu de sport seulement depuis le mois de mars. J’espère pouvoir retrouver une bonne forme physique pour reprendre les voyages notamment. J’ai toujours beaucoup aimé voyager, j’ai même passé une semaine à me balader à l’étranger loin de tout hôpital avant le passage en dialyse, en me disant qu’il fallait que j’en profite. Je suis parfois d’ailleurs un peu déraisonnable car alors que j’étais en dialyse, j’avais été rendre visite à ma sœur à Montréal entre deux séances (ce que je ne referai pas !).
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