Cet été a été signée une convention d’affiliation entre les deux centres de santé municipaux de Gennevilliers et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Un événement salué par la ministre de la santé qui est d’ailleurs venue, en personne, visiter le plus grand des deux centres de Gennevilliers.
66 Millions d’IMpatients a voulu comprendre en pratique comment cette convention prenait forme, ce qu’elle apportait aux patients et s’il s’agit d’un modèle qui a une chance d’essaimer.
Le docteur Tyrode, médecin généraliste et directeur des deux centres de santé de Gennevilliers (Etienne Gatineau-Sailliant et Daniel Timsit), nous a reçus pour nous expliquer comment il avait œuvré depuis des années pour aboutir à cette convention et nous a fait part de sa vision d’une organisation plus coordonnée du parcours de soin, au service des patients.
Cette convention a-t-elle été longue à mettre en place ?
Cela a mis plusieurs années, mais j’ai bon espoir que notre expérience serve désormais très vite d’exemple ailleurs…
Je suis médecin directeur à Gennevilliers depuis les années 1980. Lorsque j’ai pris mes fonctions, nous avions déjà deux centres de santé à Gennevilliers, tous deux très vieillots. Il y avait beaucoup de problèmes d’électricité, de voirie et les conditions de travail étaient compliquées. Jusque dans les années 2000, j’ai donc travaillé à améliorer ces deux centres et à convaincre les élus d’investir pour les moderniser.
Un travail qui a porté ses fruits, puisqu’en 2002 la première convention de partenariat avec un centre de santé est signée chez nous, avec le directeur de l’AP-HP de l’époque, Monsieur Durrleman. Je fais repeindre le hall pour l’occasion. La population et surtout les élus se rendent alors à l’évidence qu’au sein de ces vieux murs, il se passe des choses plutôt intéressantes et que les infrastructures ne sont pas à la hauteur de l’exigence des personnes qui y travaillent et inadapté au public qu’il reçoit.
Les élus prennent donc conscience qu’il faut désormais repenser le centre de santé de la ville pour proposer un bâtiment moderne, répondant aux normes de sécurité, de circulation des patients, d’accès pour les personnes à mobilité réduite, etc…
Un nouveau bâtiment a donc été inauguré en 2012 et nous avons fait en sorte qu’il soit non seulement moderne et fonctionnel mais également beau car je pense que l’intégration des gens doit se faire par le haut et non par le bas. Je précise que Gennevilliers a gardé cette spécificité d’être une ville ouvrière, avec une population aux revenus modestes, qui depuis peu de temps seulement peut prétendre à devenir propriétaire dans sa ville.
L’émergence de notre nouveau centre a eu de nombreux bénéfices et notamment celui de permettre à Gennevilliers de sortir d’un classement en zone rouge de ce que l’on appelle les déserts médicaux.
QUELQUES CHIFFRES SUR LES CENTRES MUNICIPAUX DE SANTÉ DE GENNEVILLIERS
Le centre municipal de santé Gatineau-Sailliant a été inauguré en novembre 2012.
- Il compte 4 000 m2 répartis sur 5 niveaux (du sous-sol au 3ème) et dispose de 16 cabinets de consultation.
- À ce centre, s’ajoutent 6 autres cabinets de consultation situés au centre municipal de santé Daniel Timsit, toujours à Gennevilliers.
- 23 médecins généralistes, soit 8,5 ETP (équivalent temps plein)
- 28 spécialistes, soit 6,5 ETP
- 6 radiologues/échographes,
- 2 pédodontistes,
- 3 orthodontistes,
- 7 chirurgiens dentistes, soit 5.5 ETP
- 1 implantologue
- 13 infirmières dont 10 de soins
- 18 paramédicaux (Diététiciennes, sages-femmes, kinés, podologue, orthoptistes, psychologues)
En 2016 :
- au centre Gatineau-Sailliant, 25 582 patients ont été vus avec 102 706 passages ;
- pour le centre Daniel Timsit, on a compté 4 980 patients vus pour 12 642 passages.
Concrètement pour les patients, comment se traduit cette convention ?
Depuis 2002, je fais vivre cette convention sous la forme de praticiens partagés. En pratique, les chefs de clinique de l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (NDLR : Louis-Mourier fait partie de l’AP-HP) consultent 3 heures par semaine dans les centres médicaux de Gennevilliers. Cela commença par une consultation en gastro-entérologie, puis en ORL, en rhumatologie, en médecine interne, etc… Dépendant de nos attentes mais aussi des possibilités de l’hôpital.
Ce dispositif garantit la pratique des tarifs de secteur 1, sans dépassement d’honoraires, en mutualisant le service public de santé. A l’hôpital et en centre de santé, nous avons la même vision de la médecine, les mêmes pratiques, avec notamment le dossier médical partagé, la pluridisciplinarité, les tarifs de secteur 1… Beaucoup de choses nous rapprochent naturellement.
Il faut bien avoir en tête qu’en 2002, lorsque ces médecins hospitaliers acceptent de prendre une consultation à Gennevilliers, sur la base du volontariat, ils viennent dans les anciens locaux et avec des conditions de travail difficiles Les chiffres de l’Assurance Maladie montrent alors qu’à Gennevilliers, les patients pris en charge pour des maladies chroniques, les patients en ALD (affections longue durée) ou en invalidité, fréquentent davantage les centres de santé que les cabinets libéraux. Ces chefs de clinique réalisent alors que des patients qui devraient être régulièrement suivis à l’hôpital n’y vont pas et passent à côté d’examens importants pour un suivi de soin optimal.
Cela avait donc du sens que ce soit des médecins hospitaliers qui voient ces malades et qu’ils puissent les diriger dans un climat de confiance vers l’hôpital. Parallèlement, cela fait également tourner le plateau technique de l’hôpital, donc tout le monde est gagnant.
Quels sont les avantages de cette organisation, et peut-être leurs inconvénients ?
L’avantage des consultations des chefs de clinique directement au centre de santé, est que cela facilite le parcours de soins du patient, d’autant que les malades sont souvent impressionnés par l’hôpital et n’osent pas toujours y prendre rendez-vous directement. En outre, si les patients doivent quand même se rendre à l’hôpital, pour des examens complémentaires par exemple, c’est le chef de clinique consulté chez nous qui organise tout directement en amont : il programme les soins avec les différents services de l’hôpital, le suivi du dossier est facilité et le patient retrouve à l’hôpital le même médecin qu’il a vu chez nous. Cela évite les redondances de questions, d’examens, etc… C’est donc un confort pour le patient ainsi qu’un gain de temps et d’argent pour le service public de santé.
Le seul inconvénient est que le clinicat durant 4 ans à l’hôpital, les chefs de clinique qui viennent consulter chez nous changent tous les 4 ans. Or, même s’il y a un bon suivi des dossiers, les patients s’attachent évidemment à leurs médecins et se plaignent parfois de ce turn-over.
Les médecins partagés sont-ils le seul aspect de cette convention ?
Non, elle comprend d’autres volets.
Par exemple nous avons, au centre de santé, une permanence des soins ambulatoires en tiers-payant intégral, du lundi au samedi de 20h à minuit et de 9h à 13h le dimanche et les jours fériés. Cette permanence a pour but de désengorger les urgences, mais reste encore insuffisamment connue, d’autant qu’elle est pour l’instant unique sur le territoire. Grâce à notre convention avec Louis-Mourier, des flyers seront distribués au sein de leurs urgences pour prévenir les malades qu’ils ont accès à une consultation de proximité, le soir et le week-end, sans avance de frais.
En outre, nous sommes en train de mettre en place une télémédecine en radiologie. Les images seront prises chez nous, ce qui sera confortable pour le patient, et interprétées à distance par le service d’imagerie de Louis-Mourier.
Ce type de convention existe-t-il ailleurs ?
Cette convention, déjà projet pilote en 2002, l’est toujours ! Cela n’existe pas ailleurs que chez nous, mais je pense qu’elle va faire école assez vite maintenant.
Cela a pris du temps car il y avait des freins surtout dans la tête des gens. Les hospitaliers s’occupant plus volontiers et exclusivement de ce qui se passait à l’hôpital, les mairies ne voyant que rarement au-delà de l’enceinte de leur commune. Sans compter les enjeux politiques… Gennevilliers est une mairie communiste qui a toujours eu la volonté et les moyens d’investir dans les centre de santé municipaux, grâce notamment à la taxe professionnelle qu’elle touchait jusqu’ici du fait de l’activité de son port. Les mairies de droite, a contrario, ont pour leur part toujours plébiscité la pratique libérale de la médecine.
Cependant donc, depuis 2002, les lignes ont bougé et des telles conventions pourraient être signées dans d’autres centres de santé désormais ?
Ce partenariat finalement bénéfique pour tout le monde a commencé à faire parler de lui au cours de ces 15 dernières années… Après le partenariat avec Louis-Mourier, des praticiens de l’hôpital Bichat m’ont contacté pour venir consulter chez nous. Les directions et les médecins des hôpitaux voient l’intérêt de sortir des murs de l’hôpital pour aller aux devants des patients. Ainsi, le Centre a également signé des conventions avec Bichat mais aussi avec l’hôpital Lariboisière et l’institut hospitalier Franco-Britannique à Levallois, qui est ce que l’on appelle un établissement PSPH, c’est à dire un établissement « privé participant au service public hospitalier », permettant à des orthopédistes et chirurgiens viscéraux de l'Institut hospitalier Franco-Britannique de consulter chez nous. En ce qui me concerne, je ne vois aucun inconvénient à signer des conventions avec des établissements privés, tant que les tarifs de secteur 1 sont appliqués et au Centre et à l’hôpital.
Enfin, depuis que cet été la convention de partenariat s’est renforcée sous la forme d’une convention d’affiliation avec l’AP-HP, sous le haut patronage de la ministre de la santé, madame Buzyn, qui est d’ailleurs venue visiter notre centre pour saluer cette initiative, les choses vont s’accélérer. Je crois savoir que des conventions du même type sont sur le point d’être signées ailleurs.
Ce genre de conventions, est-ce l’avenir ?
L’avenir, c’est l’ambulatoire à l’hôpital. Les durées d’hospitalisation se réduisent significativement, car aujourd’hui de nombreuses interventions se font dans la journée, sans aucune nuit d’hospitalisation. Ce progrès doit être accompagné d’une amélioration de l’amont et de l’aval de l’hospitalisation. Il faut mettre en place des protocoles sur les parcours de soin des patients en améliorant la programmation de tout ce qui peut l’être et organiser le retour au domicile. Or des structures comme les nôtres, conventionnées avec des hôpitaux et où les médecins hospitaliers se déplacent régulièrement, sont idéales pour organiser un tel parcours de soins.
Si on voulait aller plus loin, j’ai imaginé sur le plan théorique ce que pourrait être l’organisation territoriale de ce que je connais le mieux, à savoir le nord des Hauts-de-Seine. Je préconiserais que l’on ferme dans les petits centres de santé, les consultations de spécialités médicales qui survivent sans les plateaux techniques optimaux. En effet, ces consultations n’attirent plus les médecins d’aujourd’hui qui veulent travailler dans des infrastructures modernes avec des équipements récents, pour offrir à leur patientèle une médecine de qualité. Ces spécialistes pourraient travailler sur les centres de santé les plus importants et les mieux équipés, comme le nôtre, mais pas seulement. Ces centres plus modestes auraient pour vocation de développer la « première ligne », en médecine générale et infirmerie et passeraient, comme nous l’avons fait, des conventions avec les gros centres de santé pour rediriger leurs patients en spécialité. Enfin les spécialistes adresseraient ensuite le patient vers l’hôpital en cas de nécessité
Actuellement l’ARS (agence régionale de santé) et l’AP-HP se penchent sérieusement sur ce modèle. Il s’agit, en résumé, de coordonner et de mutualiser les moyens de santé au profit des populations que nous servons.
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