En France, chaque année, environ 1 enfant sur 1 000, soient 8 000 enfants, naissent avec des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF), c’est-à-dire qu’ils souffrent de divers troubles, plus ou moins marqués, liés au fait d’avoir été exposés à l’alcool pendant leur vie intra-utérine.
Sur ces 8 000 enfants, 800 présentent une forme grave de cette maladie que l’on appelle le « SAF » : syndrome d’alcoolisation fœtale.
Si les messages de prévention en direction des futures mamans portent (tout) doucement leurs fruits, le dépistage et la prise en charge des malades exposés à une alcoolisation fœtale est anecdotique. Or on parle de plus de 500 000 malades en France. Ils traversent la vie sans comprendre de quoi ils souffrent, sans accompagnement adéquat, alors même que ces troubles sont la première cause de handicap mental non génétique en France.
66 Millions d’IMpatients s’est rendu cette semaine à une journée de sensibilisation autour du TCAF, organisée au ministère des solidarités et de la santé, en présence de Madame la Ministre qui a ouvert la journée en précisant que « c’est un sujet dont peu de personnes ont conscience » et en affirmant sa « détermination à travailler sur ce sujet dans l’avenir » et en ajoutant : « Au-delà de la prévention des consommations nocives d’alcool, nous devons agir pour les enfants qui ont été exposé in-utero. Plus l’exposition prénatale à l’alcool est précocement établie, plus cela permet de procurer aux familles les conseils de prévention, du suivi et des soins les plus adaptés aux besoins de l’enfant.
Zéro alcool durant la grossesse
Durant cette journée, Nicolas Prisse, Président de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), rappelait : « Nous faisons face à un problème de santé publique fréquent, grave, qui touche les enfants et leur famille, et pourtant totalement évitable, c’est la définition même d’une priorité de santé publique pour nous tous. »
Évitable certes, cependant, les chiffres avancés par Santé publique France montrent que les Français n’ont pas encore tous intégré le message « zéro alcool pendant la grossesse », puisque :
- seulement 44% des Français déclarent spontanément qu’il n’existe pas de consommation d’alcool sans risque pour l’enfant durant la grossesse (en progrès puisqu’en 2015, ils étaient 25% seulement) ;
- 21% des Français pensent qu’il est conseillé de boire un petit verre de vin de temps en temps durant la grossesse (contre 27% en 2015).
Or l’alcoolisation fœtale fait des ravages, comme l’explique le docteur Germanaud, neuropédiatre à l’hôpital Robert-Debré et rare spécialiste de la prise en charge des enfants souffrant de TCAF : « L’alcool est un produit qui, depuis la maman parvient jusqu’au bébé dans le ventre de sa mère, de façon extrêmement libre, il a même la fâcheuse tendance à s’y concentrer. Une fois dans l’embryon et dans le fœtus, il va avoir une action toxique directe ou perturbatrice. Des gênes impliqués dans le développement et la maturation du cerveau et des neurones vont en effet être perturbés spécifiquement par la présence d’éthanol. ».
Il rappelle en outre que l’alcool ne trouble pas uniquement la croissance au niveau du cerveau mais également d’autres organes, dont le cœur notamment qu’il faut parfois opérer chez les nouveau-nés souffrant de formes sévères de Syndrome d’alcoolisation fœtale. Enfin, il ajoute :
« La toxicité a lieu durant toute la période de vie in-utero ainsi que durant la période d’allaitement et cette toxicité impacte la croissance globale de l’organisme et la maturation du cerveau, même lorsque l’exposition du bébé à l’alcool se produit tardivement dans la grossesse. »
Les chiffres d’ailleurs parlent d’eux-mêmes, puisque parmi les enfants lourdement touchés par une exposition à l’alcool durant leur vie intra-utérine :
- 10% d’entre eux sont atteints de la forme la plus sévère de TCAF : le SAF ;
- 70% souffrent de TCAF plus ou moins sévères ;
- 10 à 20 % d’enfants sont indemnes de tout trouble.
Le docteur Germanaud explique cette différence de sévérité des troubles (voire son absence) par 3 grands types de facteurs :
- Certains facteurs modificateurs comme l’âge de la maman ou des facteurs nutritionnels.
- Des facteurs génétiques qui expliquent que l’on est plus ou moins sensible à l’exposition à l’alcool. Par exemple, en cas de grossesse de faux jumeaux soumis à une même exposition d’alcool durant la grossesse, un des jumeaux peut souffrir de TCAF alors que l’autre n’en souffre pas ou peu.
- Enfin le niveau et le type d’exposition au toxique. Il y a un effet « dose » du toxique mais cela ne veut pas dire pour autant qu’une exposition faible n’entraînera pas de TCAF ! « Aujourd’hui, on ne peut pas identifier, à l’échelle individuelle, une consommation dont on puisse s’assurer qu’elle est absolument sans danger pour le bébé. », rappelle le docteur Germanaud.
Dépistage et diagnostic de TCAF/SAF
L’idéal serait bien entendu de pouvoir aborder la question d’une dépendance à l’alcool bien en amont avec les femmes qui en souffrent, alors que se met en place un désir d’enfant. Mais la réalité est tout autre. Le dépistage et le diagnostic des malades de TCAF/SAF est compliquée par le fait qu’il est difficile d’aborder le problème de dépendance à l’alcool dans le cadre de la grossesse et que s’ajoute à ce tabou celui de la peur d’un éventuel placement de l’enfant par les services sociaux.
En outre, l’errance diagnostique et la complexité de mise en place d’un parcours de soins et d’un accompagnement à l’intégration scolaire puis professionnelle s’expliquent également par la grande diversité des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Enfin, parmi les malades exposés à l’alcoolisation fœtale, se trouve un nombre significatif d’enfants adoptés, notamment venant des pays de l’Est où la consommation d’alcool durant la grossesse est plus courante encore que chez nous. On connaît souvent peu de choses concernant le passé médical de ces enfants, et les informations connues sont fréquemment erronées.
Les associations et les professionnels de santé qui s’intéressent aux TCAF/SAF déplorent tous le manque de formation des professionnels de santé sur la question de son dépistage et de son diagnostic. Il existe pourtant un manuel intitulé « Alcool et grossesse, parlons-en » mettant à disposition des professionnels de santé des outils concrets de pratiques cliniques, qui permettent d’identifier les consommations d’alcool durant la grossesse, qui proposent des méthodes pour aborder le sujet en consultation, afin d’identifier un potentiel facteur de risques puis de rester attentif à faire le lien entre l’alcoolisation fœtale et une éventuelle maladie du neuro-développement après la naissance.
Le docteur Germanaud précise également que les signes de TCAF ne sont pas toujours évidents à repérer car il n’y a pas forcément de spécificités physiques, ce qui n’empêche pas que les malades puissent vivre avec des troubles invisibles mais très invalidants, nécessitant une prise en charge adaptée.
Les divers troubles causés par l’alcoolisation fœtale
Voici une liste non exhaustive des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF)/ Syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) :
- Retard de croissance
- Petit périmètre crânien
- Malformations diverses
- Troubles de l’attention
- Troubles de la mémoire
- Troubles de l’apprentissage
- Troubles du langage
- Hyperactivité
- Impulsivité et colère
- Comportement familier avec les inconnus
- Difficultés d’adaptation sociale
Catherine Metelski, Présidente de l’association Vivre avec le SAF, rappellera durant cette journée que « l’exposition prénatale à l’alcool génère des dommages irréversibles au cerveau, le plus souvent invisibles à la naissance. Outre les troubles neurologiques qui découlent directement des atteintes au cerveau, en l’absence de diagnostic, se développe une série de troubles secondaires qui sont sources d’inadaptations sociales majeures : échec scolaire, exclusion sociale voire délinquance et dans le pire des cas, le suicide. L’autonomie des malades est affectée tout au long de leur existence. »
La prise en charge des malades
Par rapport à ces troubles et à leurs conséquences, le docteur Germanaud ajoute : « S’il n’y a pas de prise en charge, particulièrement dans cette maladie du neuro-développement, le sur-handicap est majeur, très certainement à cause de certaines caractéristiques du trouble du neuro-développement mais aussi à cause d’un environnement de vie qui est volontiers plus vulnérable que dans d’autres maladies du neuro-développement. Ainsi y-a-t-il une surreprésentation massive de TCAF dans le secteur carcéral de la petite délinquance et un cercle vicieux de psycho-addiction et de troubles psycho-affectifs majeurs. »
Concernant la prise en charge des malades comme pour le dépistage et le diagnostic, là encore, les familles sont totalement démunies et la Présidente de Vivre avec le SAF précise : « Le réseau de pédiatres, de neuro-pédiatres et de neuropsychiatres conscients de l’importance de cette pathologie et vers lesquels nous pouvons envoyer les familles qui nous contactent restent embryonnaires. Nous avons recensé moins de 15 personnes en France et des délais de rendez-vous de presque 1 an. Quant au diagnostic des personnes majeures, nous connaissons un seul spécialiste, neuro-pédiatre en réalité, le docteur Germanaud, qui accepte de recevoir les 18-25 ans, et nous n’en connaissons aucun pour les adultes. Ainsi, probablement plus de 99% des cas, adultes compris, échappent au diagnostic. Ce constat n’est malheureusement pas réservé à la France : aux Etats-Unis où les TCAF sont mieux connus, on estime à 85% les cas non diagnostiqués. ».
2 Centres de ressources adaptés aux TCAF et SAF
Deux projets expérimentaux ont été mis en place ces derniers mois pour la prise en charge des futures mamans présentant une dépendance à l’alcool et pour les malades souffrant de TCAF/SAF. Coordination et multidisciplinarité sont au cœur de l’organisation de chacun de ces deux centres.
- Le premier est situé sur l’île de la Réunion. Il s’agit du centre de ressources ETCAF (Centre de Ressources sur l’Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale), présenté dans ce document.
- Le second est en Aquitaine, le Centre Ressources Alcool et Grossesse (CRAG) ; il a mis en place un site internet www.alcool-grossesse.com.
A lire également :
- Témoignages de deux jeunes femmes souffrant de TCAF et de la maman d’une troisième atteinte de SAF
- Le programme et l’ensemble des présentations des intervenants lors du colloque sur le syndrome d’alcoolisation fœtale organisé le 6 septembre 2017 au Ministère chargé de la Santé : retrouvez-les en cliquant ici
j’ai un enfant adopté en Amérique du sud aucun nom n’a été mis sur son handicap pour moi il est atteint de TCAF enfin un nom sur son handicap .
Je suis SAF et je déplore le fait que le monde ne parle pas assez de ces problèmes, il n’y pas suffisamment de suivi pour nous, pourquoi ?
Je me bats pour que mon fils de 36 ans soit diagnostiqué TCAF, mais en lot et garonne c’est très compliqué, et quand je lis les différents problèmes liés à ces troubles, c’est la vie de mon fils qui défile comme un CV.
Si quelqu’un peut m’aider, merci d’avance