pertinence et non-pertinence des soins médicaux

Pertinence des soins : tout (ou presque) reste à faire !

Un soin prescrit à mauvais escient est susceptible de mettre le patient en danger et de coûter cher à la collectivité. Les dysfonctionnements de notre système de santé en matière de pertinence des soins ont de quoi poser question. Les différents acteurs s’emparent du sujet doucement… Et si on passait la deuxième ?

Près de 30 %… Tel serait le pourcentage de la consommation médicale affecté à des soins inutiles, selon plusieurs études. Sur-prescription d’examens, de médicaments, d’actes médicaux ou chirurgicaux, parcours inappropriés, à l’hôpital notamment…

Le coût des aiguillages non pertinents représenterait pour la collectivité plus de 50 milliards d’euros par an, même selon les estimations les plus conservatrices. Un montant, précisons-le, qui ne comprend pas les coûts qu’engendrent ces actes inutiles (complications, reprises de soins, perte de chance, etc.).

Dit autrement, environ un tiers de nos dépenses serait investi, « au détriment de la prise en charge de traitements réellement utiles aux malades, et au risque d’occasionner des souffrances et des effets indésirables de fait évitables », résume le Collectif interassociatif sur la santé (CISS, éditeur de 66 Millions d’IMpatients) dans une note sur le sujet adressée aux candidats à l’élection présidentielle.

Quand la qualité n’est plus au rendez-vous

Un exemple ? Dominique Guéry en a livré un à l’occasion de la journée organisée par le CISS sur le sujet le 7 novembre 2016. Début mars 2012 (elle est alors âgée de 57 ans), elle est opérée pour une hystérectomie (ablation de l’utérus) à la suite d’une échographie laissant apparaître la présence de fibromes. Un constat qui en lui seul n’appelle en principe pas la mise en place d’une telle stratégie. Qu’importe, le chirurgien décide d’opérer. Au sortir de l’hôpital, rien ne vas plus. Et rien ne continuera d’aller (lire la totalité de son témoignage ci-dessous).

Dominique Guéry gardera de lourdes séquelles de cette intervention qui a mal tourné et dont les experts diront ensuite qu’elle n’avait… pas lieu d’être. Pour Claude Rambaud, Secrétaire générale du CISS, « Dominique, va porter ce poids aussi bien dans sa vie personnelle, affective, que dans son corps. C'est la raison pour laquelle nous devons nous battre pour faire en sorte que la pertinence soit vraiment au cœur de la relation de soin ».

Pour le ministère de la Santé, un soin est qualifié de pertinent lorsqu’il est dispensé en adéquation avec les besoins du patient, conformément aux données actuelles de la science ou encore aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), la gardienne des bonnes pratiques médicales, et des sociétés savantes, nationales et internationales. Voilà pour la théorie. Il en va tout autrement sur le terrain.

Les patients, premières victimes de l’impertinence

Le témoignage de Dominique Guéry est un exemple parmi d’autres. Régulièrement, les associations de patients ou de victimes d’accidents médicaux sont sollicitées sur ce sujet. D’autres témoignages peuvent ainsi être visionnés sur notre espace de mobilisation lancé en février afin d’interpeller les candidats à l’élection présidentielle à propos de différents sujets que nous estimons prioritaires (dont la pertinence).

Sans l’implication des professionnels, estime le ministère de la santé, aucune amélioration des pratiques n’est à attendre. L’acte pratiqué (de chirurgie, de biologie, d’imagerie) est-il le mieux adapté à l’état de santé du patient ? Est-il nécessaire de prescrire l’ensemble de ces médicaments ? L’hospitalisation complète est-elle indispensable, ne peut-on recourir à une prise en charge ambulatoire ? Le séjour est-il adapté, le parcours est-il bien coordonné ? Le patient est-il dans la structure la plus adaptée à sa condition ou qui répondra le mieux à ses besoins ?

Telles sont les questions que les acteurs de terrain seraient invités à se poser en amont de leurs interventions… Charge, de leur côté, aux pouvoirs publics de favoriser l’émergence de ces questions dans le quotidien des soignants. Et aux patients de se montrer attentifs et critiques vis-à-vis des soins qu’on leur prodigue.

Les prescripteurs (bientôt ?) dans le collimateur

Parmi les dysfonctionnements notoires, la Cour des comptes a récemment épinglé dans son rapport sur les comptes de la Sécurité sociale 2016, les prescriptions réalisées par les médecins exerçant à l’hôpital dont la croissance « dynamique » (près de 25 milliards d’euros en 2014, soit 32% de plus qu’en 2007) est l’objet d’un contrôle peu efficace du fait d’un suivi quasi inexistant des prescripteurs.

Pour les auteurs de ce rapport « les dispositifs de régulation mis en place ne sont pas à la hauteur de cette dynamique soutenue des dépenses ». Inutile de dire que la Cour des comptes imposerait volontiers un peu plus de contraintes aux praticiens hospitaliers.

Autre exemple, celui de l’archivage numérique des examens d’imagerie médicale, pointé, toujours par les sages de la rue Cambon dans un autre rapport publié en mai 2016, qui ne débouche pas encore sur le partage des données en raison de problèmes d’interopérabilité entre établissements. Problème : « Le partage des informations, dans le public mais aussi avec le secteur libéral, apparaît crucial tant pour éviter la redondance des actes (certaines études estiment à 40 % le nombre d’examens évitables) que pour améliorer la qualité des diagnostics et des soins et maîtriser les risques d’exposition aux rayons X ».

Plus de 30 actes médicaux sous surveillance

En tête de gondole des actions engagées par les pouvoirs publics afin d’améliorer la pertinence des soins, retenons ces travaux qui portent sur 33 actes fréquemment pratiqués (césarienne, cataracte, appendicectomie, canal carpien, pose de prothèse de hanche et de genoux, hystérectomie, etc.).

Pour chacun de ces actes, les agences régionales de santé (ARS) ont été amenées à élaborer un plan régional d’amélioration de la pertinence des soins et à travailler avec les professionnels pour analyser les soins non pertinents et modifier les pratiques. En janvier 2014, toutes avaient réalisé un diagnostic sur leurs territoires et la moitié avait entamé des discussions sur le sujet. En 2015, les ARS ont débuté des actions avec les établissements dont les pratiques ont été estimées hors des clous.

Ces actes ont été jugés prioritaires selon plusieurs critères : le volume d’actes important (n’ont été retenus que ceux réalisés plus de 20 000 fois par an), une tendance à la hausse du même volume ou encore des variations importantes entre les régions en termes de taux de recours. « Demain, indique le ministère de la Santé sur l’espace de son site dédié à la pertinence, de nouveaux champs seront investigués, qu’il s’agisse de l’imagerie médicale ou du médicament ».

Des variations qui témoignent de mauvaises pratiques

La volonté d’améliorer la pertinence des soins a aussi conduit les pouvoirs publics à publier en 2016 un atlas des variations de pratiques médicales pour 10 interventions parmi les 33 retenues (voir un focus pour 3 d’entre elles, ci-dessous). Pourquoi cet atlas qui recense le taux de recours à ces différentes interventions dans chaque région française ?

« Car mesurer et comparer la consommation des soins hospitaliers par territoire ou région est une première étape, essentielle, estiment ses auteurs, vers la mise en œuvre d’un suivi du recours aux soins des populations, susceptible de fournir des pistes d’amélioration pour l’avenir de notre système de santé ».

De fait, l’atlas révèle des variations parfois importantes entre les territoires dans le recours aux soins médicaux (ou hospitaliers) en France. Ces variations n’ont pas encore été soumises à l’analyse. C’est la prochaine grande étape de ce travail qui sera mené par des chercheurs, des médecins et des patients, afin de répondre (encore) à trois questions fondamentales :

  • Quelles sont les causes de ces variations ?
  • Où se situe le bon taux ?
  • Comment les professionnels, les décideurs et les patients peuvent-ils utiliser cette information pour s’assurer que la qualité du système de soins français est également synonyme de qualité des soins pour tous?

Les propositions du CISS sur la pertinence des soins

Dans ses propositions adressées aux candidats afin de promouvoir la bonne pertinence des soins, le collectif interassociatif sur la santé (CISS) appelle à la mise en place rapide d’un véritable contrôle de la pertinence des actes dans les établissements de santé publics et privés. Cet objectif doit conduire, par exemple, à la généralisation de « contrats de pertinence » ou « contrats de performance », passés entre les établissements et les ARS, fondés sur les expertises scientifiques de la HAS.

Le CISS propose par ailleurs d’enrichir les critères utilisés pour le calcul de la rémunération à la performance des médecins d’indicateurs relatifs à la pertinence des prescriptions et recommande le développement de procédures d’accord préalable du service médical de l’Assurance Maladie pour certaines prescriptions où des pics anormaux de prescriptions sont repérés. C’est par exemple le cas pour la prise en charge de certains médicaments hypocholestérolémiants. Last but not least, le CISS appelle à développer la rémunération des professionnels de santé au forfait plutôt qu’à l’acte, comme c’est le cas actuellement.

Sur la pertinence des soins comme sur d’autres sujets jugés hautement importants, le collectif, on l’a dit, a interpellé l’ensemble des candidats à la présidentielle afin qu’ils se prononcent sur leurs intentions. Leurs réponses sont attendues dans le courant du mois de mars. Nous ne manquerons pas d’en faire un petit « digest » dans ces colonnes.

Témoignage de Dominique Guéry : « J'ai tellement pris d'antibiotiques qu'aujourd'hui plus aucun ne fait d'effet ».

D-GueryLe 28 mars 2012, peu plus de deux semaines après avoir été admise à l’hôpital pour une hystérectomie (ablation de l’utérus), Dominique Guéry est admise dans le même établissement pour y subir une nouvelle intervention en raison d’une infection nosocomiale.

« A la première heure, je suis dans son service [celui de son chirurgien, ndlr], il m'installe dans une chambre et me dit qu'il va m'opérer en fin d'après-midi ». Ce qu’il fit. « Je revois ce chirurgien le 5 avril, le 18 avril, le 4 mai, le 25 mai, le 29 juin, parce que les choses ne s'arrangent pas du tout ».

Un diagnostic léger, lourd de conséquences

Assez rapidement, Dominique Guéry décide d'adresser un courrier à la Commission de consultation et d’indemnisation de Nancy pour expliquer sa situation. « J'ai été vue le 15 avril 2013, et j'ai reçu le premier rapport de cette expertise le 4 juillet 2013 ». Pour les experts qui se sont penchés sur son dossier, l’intervention d’origine était clairement injustifiée.

« J'aurais dû me méfier car ce médecin non seulement n'a pas fait d'examen au préalable, il a posé un diagnostic plus qu'aléatoire sur une échographie, et ne m'a jamais donné d'information sur les risques de cette intervention. J'ignorais l'impact qu’elle pouvait avoir. J'ai tellement pris d'antibiotiques qu'aujourd'hui plus aucun ne fait d'effet. Je vis depuis un an avec des sinusites qu'on ne peut pas soigner ».

Un témoignage qui rappelle l’urgence à agir

Des dégâts importants sur la santé, donc, mais aussi des dépenses inutiles. C’est précisément le cercle vicieux, on l’a dit, de la non-pertinence des soins. « La première année, je me suis inquiétée des frais engendrés par cette opération injustifiée, explique Dominique Guéry. Sur neuf mois pendant lesquels j'ai été hospitalisée quatre mois, le coût pour la CPAM s'est élevé à plus de 96 000 € ».

« Ce que je regrette, poursuit-elle, et que rien ne pourra remplacer, c'est que je n'ai pas vu ma fille enceinte car je n'avais pas le droit de l'approcher, et que je n'ai pu prendre mon petit-fils dans mes bras que lorsqu'il a eu trois mois et demi, avec une blouse, un masque et des gants ».

HYSTÉRECTOMIE
Cette intervention n’est à priori pas indiquée suite au simple constat de la présence de fibromes (excroissance dans l’utérus). « Si les indications concernant les hystérectomies font globalement consensus, en revanche, leur pratique varie fortement d’une équipe à l’autre en fonction des différents professionnels de santé », pointent les auteurs de l’Atlas des variations de pratiques médicales en France. A noter que c’est à Paris que cette intervention est la moins fréquente.

CANAL CARPIEN
Le syndrome du canal carpien est dû à la compression d’un nerf du poignet qui assure la sensibilité des quatre premiers doigts et la motricité du pouce. En 2014, les départements présentant les taux de recours les plus élevés étaient l’Yonne, la Haute-Marne et la Meuse (plus de 350 interventions pour 100 000 habitants). Ceux caractérisés par les taux les plus faibles sont la Réunion, les Hauts-de-Seine, Paris et la Guadeloupe (moins de 120).

CÉSARIENNE
En 2014, près de 153 000 césariennes ont été réalisées en France. Cette intervention est indiquée lorsque les conditions, chez la mère ou chez l’enfant, ne sont pas favorables à un accouchement par les voies naturelles. Le taux de césariennes est beaucoup plus important dans les maternités privées que dans les maternités publiques. Parce que l’acte peut être programmé et qu’il est plus rapide à réaliser ? Ne soyez pas mauvaise langue…

3 commentaires

  • Morot dit :

     J'ai plusieurs expériences de problèmes de diagnostic de soins inadaptés et d'erreurs médicales dans ma famille et pour moi même. Pouvez-vous me dire où je peux témoigner et être entendue ? Merci de votre compréhension. Martine Morot

  • webmaster dit :

     @Morot : nous vous invitons à témoigner ici ou bien sur notre espace créé dans le cadre de l’élection présidentielle http://www.66millionsdimpatients.org/presidentielles2017. Autrement, n’hésitez pas à nous adresser par mail votre témoignage plus précis, il pourrait intéresser des journalistes qui nous contactent sur la question de la non-pertinence des soins, nous vous mettrions alors en contact avec eux.

  • Morot dit :

     Bonjour, Ma mère âgée de 85 ans a consulté son généraliste qui a diagnostiqué une maladie de Parkinson. Il a donné un traitement et l'a augmenté plusieurs semaines après. Etant kiné et ne pensant pas que ma mère avait cette maladie j'ai demandé à un autre médecin lors de son entrée en maison de retraite deux ans plus tard de la faire voir à un spécialiste neurologue qui a aussitôt réfuté le diagnostic.J'ai souhaité porter plainte auprès de l'Ordre des Médecins de Saône et Loire. J'ai alors constaté que le médecin n'avait pas fait de dossier, ni même de fiche de suivi. Il n'y a pas eu d 'examen clinique pour établir le diagnostic, ni pour augmenter les doses. Quand je lui ait demandé pourquoi il avait augmenté le traitement (avec effets secondaires importants) il a dit que ma mère lui avait dit qu'elle se sentait mieux. Elle se plaignait de tremblements que le médecin a qualifié d'invalidants. Dans la maladie de Parkinson, c'est un tremblement de repos qui s'arrête lors du mouvement et qui ne peut de ce fait être invalidant. Les troubles moteurs caractéristiques de cette maladie n'étaient pas mentionnés (ils n'existaient pas) ni les effets secondaires des médicaments, troubles digestifs sévères (trouble de l'appétit, diarrhées, nausées) et mouvements anormaux qui eux étaient bien présents et "invalidants". Il ne savait même pas que ma mère avait une fille qui demeurait dans la même ville qu'elle. Il n'a pas fait d'évaluation sur la perte d'autonomie d'une personne âgée, n'a pas prescrit de kinésithérapie. Il a prescrit les médicaments sans préciser qu'ils devaient être pris à heures régulières et en dehors des repas (sous peine d’inefficacité). La formation de ce généraliste est insuffisante ainsi que sa connaissance en pharmacologie.Il ne connaît pas cette maladie qui est la plus fréquente des maladies neurodégénératives, ne lit pas les notices des médicaments et ne sait pas chercher les informations sur internet qui sont très précises et très claires (association de malades). Consternant. Je le suspecte de "donner" des maladies à ses patients afin de les fidéliser car sa clientèle est rare. Il me semble que la médecine est devenue pour certains médecins un commerce. Que faire pour instaurer des garde-fous? Je vous tiendrai au courant de la recevabilité de ma plainte auprès de l'Ordre des Médecins de Bourgogne. Martine Morot

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