La contention et l’isolement dans les établissements psychiatriques et en EHPAD

Contention et isolement dans les établissements psychiatriques et en EHPAD : un nouvel encadrement législatif

Sur les questions du consentement, le domaine de la psychiatrie dispose d’un statut particulier qui permet à certains établissements autorisés en psychiatrie, désignés par le directeur de l’agence régionale de santé (ARS), d’assurer les soins psychiatriques sans consentement.
Dans ce contexte, la récente loi de modernisation de notre système de santé du 16 janvier 2016 a fixé un cadre légal concernant les mesures d’isolement et de contention. Et il était grand temps ! En effet, notre pays voit ces pratiques se banaliser alors qu’il y a 30 ans, elles étaient rares et que, parallèlement, de plus en plus de pays tentent d’y mettre fin.

Presque en même temps que la loi, est sorti un rapport sur l’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale publié par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui dénonce de nombreuses dérives.
66 millions d’IMpatients a justement rencontré Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, dans le cadre d’un débat organisé il y a quelques semaines par l’Espace éthique Île-de-France et qui a également rassemblé soignants en psychiatrie, patients, militants associatifs, journalistes et philosophe sur cette question délicate des mesures de contrainte physique.

Une banalisation de l’isolement et de la contention liée à un cadre juridique longtemps resté lacunaire

Si la question des libertés en milieu carcéral paraît évidente, celle des patients soignés en établissement psychiatrique sans consentement reste taboue. Sans doute est-ce parce que l’on pense, parfois à raison, que les contraintes imposées à certains malades sont mises en place pour leur bien. Mais quand la contrainte devient traumatique, quand ces mesures relèvent davantage du sécuritaire que du thérapeutique, quand elles semblent se banaliser, pallier un manque d’effectif et donc d’écoute qui serait beaucoup plus bénéfique aux malades… Pire, quand ces pratiques s’apparentent à de la sanction, alors il devient indécent de fermer les yeux.

Bien sûr, la loi prévoyait déjà un cadre juridique précis concernant l’admission sans consentement en soins psychiatriques dont la saisine du juge de la liberté et de la détention lorsqu’une hospitalisation complète est envisagée, mais ce n’est qu’en janvier 2016 qu’a été posé le cadre juridique concernant l’isolement et la contention de ces patients. Ainsi la loi dit :

« Art. L. 3222-5-1 – L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143-1. »

Une généralisation inquiétante de ces contraintes physiques

Eric Favereau, journaliste spécialiste des sujets de santé à Libération, et présent lors du débat organisé par l’Espace éthique Ile-de-France, précise qu’il y a 30 ans, il était exceptionnel de trouver des chambres d’isolement dans les établissements psychiatriques et qu’aujourd’hui il y en a partout. Un constat de généralisation du recours à l’isolement et la contention qui corrobore le rapport publié par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en mai dernier sur l’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale. Ce rapport, ainsi que l’explique Adeline Hazan, actuelle Contrôleure générale des lieux de privation de liberté en poste depuis 2 ans (sur un mandat qui compte 6 années), fait suite à des visites effectuées en établissements psychiatriques depuis 8 ans. Alors même, est-il rappelé dans le rapport, qu’aucune étude scientifique n’a prouvé l’intérêt thérapeutique de ces mesures de contrainte, elles se multiplient depuis une vingtaine d’années.

Les causes de cette recrudescence sont diverses. Dans la salle, lors du débat, on évoque en premier lieu le manque de personnel, mais aussi la perte d’un certain savoir-faire des soignants, la féminisation de la profession, le fait que l’on utilise aujourd’hui des médicaments moins forts qu’il y a quelques années pour calmer les patients agités car les anciens médicaments entraînaient des effets secondaires trop risqués sur le plan cardiaque. Ce qui est en tous cas très probable, comme le mentionne Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY (Fédération nationale des Associations d’usagers en Psychiatrie), c’est que « plus il y aura de chambres d’isolement, et plus elles serviront ».

Des dérives dans la pratique

Outre la banalisation de ces mesures de contrainte, le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) fait état de sérieuses dérives qui remettent en cause le respect des droits fondamentaux des patients hospitalisés. En effet, certains établissements utilisent l’isolement et la contention comme des sanctions disciplinaires et certains services vont jusqu’à établir des barèmes en fonction du type de « transgression » commises par le patient par rapport aux règles fixées par les soignants. La durée des isolements et contentions est trop souvent aléatoire et ne répond pas forcément à la juste gestion d’une crise d’agitation par exemple. Le rapport a pu constater que des isolements pouvaient durer jusqu’à 15 jours ! Une fois isolés, il n’est pas rare que les patients ne soient pas correctement soignés ou surveillés et n’aient pas toujours accès à une sonnette d’appel en bon état de fonctionnement. En outre, dans de tels cas, les droits de visite sont le plus souvent suspendus, les conditions d’hygiène et d’intimité sont parfois déplorables et les aménagements des chambres d’isolement ne permettent pas la plupart du temps aux patients de pratiquer une activité physique suffisante qui leur serait pourtant bénéfique.

Les dérives sont parfois telles qu’en janvier 2016, relevant de graves atteintes aux droits fondamentaux des malades hospitalisés au centre psychothérapeutique de l’Ain, le CGLPL a publié des recommandations relatives à ce centre et a saisi les autorités compétentes pour y répondre. Depuis cet épisode et depuis que la loi est en place, Adeline Hazan a d’ailleurs noté qu’elle recevait davantage de signalements d’abus. Peut-être le signe que les mentalités vont changer et que les mesures de contrainte vont régresser ?

Des soignants victimes d’un système et soumis à la culture de service

En réalité, la façon dont les équipes soignantes appréhendent la gestion de l’isolement et de la contention dépend beaucoup de la culture d’établissement, voire de la culture de chaque service et Adeline Hazan a pu constater sur le terrain qu’il était alors très difficile pour le personnel soignant de remettre en cause ces (mauvaises) habitudes. Durant le débat, Bernard Miele, vice-président de l’association Advocacy France précise : « Les soignants sont un monde clos. Aucun, même sympa, ne fera la guerre à ses collègues pour vous. Et la punition, c’est en plus de vous laisser subir les violences de certains hospitalisés. Les relations sexuelles non consenties y sont monnaies courantes. ».

Pour Catherine Boiteux, psychiatre, secrétaire générale de la plateforme éthique du centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, il s’est opéré ces dernières années une stigmatisation de la violence liée à la maladie mentale. On n’assimile plus les troubles psychiatriques à une souffrance mais à une violence potentielle. Or il s’agit pourtant de prendre en charge avant tout non pas une violence, mais des symptômes donnant lieu à une agitation, une angoisse. Cette assimilation participe à la banalisation des mesures de contrainte mais Lynda Sales Caires, infirmière au sein du groupe hospitalier Paul Guiraud à Villejuif, précise que la contention est également traumatisante pour les soignants car elle va à l’encontre de leur idéal professionnel.

Des patients qui ont besoin d’écoute

« En 20 ans de militantisme associatif, je n’ai jamais entendu un patient me dire qu’il avait bien vécu la contention », lance Claude Finkelstein, expliquant qu’un malade a besoin de s’exprimer et qu’il ne choisit pas toujours son mode d’expression car sa souffrance ne le lui permet pas forcément. La contention, c’est prendre alors la décision de ne pas laisser le patient s’exprimer, et Claude Filkenstein ajoute : « Lorsqu’une équipe de soignants tout en blanc, bien propre sur elle, dit à un patient de se calmer, cela ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Enfin, si les seules réponses à la souffrance des malades sont l’isolement et la contention, cela devient inacceptable. Pourtant quand vous écoutez quelqu’un, quel que soit son délire, quel que soit son moment de souffrance, si vous vous asseyez, que vous vous mettez à sa portée, que vous l’écoutez, il finit par se calmer. Je me souviens des paroles d’un psychiatre qui un jour m’a confié que la seule contention qu’il s’autorise, c’est de prendre le patient dans ses bras ».

Le cas de la contention en EHPAD

Bien que le CGLPL ne soit pas compétent pour intervenir dans les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), Adeline Hazan précise qu’il serait pertinent qu’une instance nouvelle s’empare du sujet. Certains directeurs d’EHPAD s’indignent que l’on puisse les assimiler à des lieux de privation des libertés, mais force est de constater que le consentement des personnes âgées n’est pas toujours recueilli, ne serait-ce que lors de leur entrée dans l’établissement, et que la pratique de la contention n’est pas exceptionnelle. La contention y est principalement pratiquée pour éviter les chutes, et souvent à la demande des familles alors que les études montrent l’inefficacité, voire la nocivité de la contention des personnes âgées, puisqu’elle augmente le risque d’infections nosocomiales, les épisodes de confusion, d’agitation, le risque de chutes graves, de perte d’autonomie, de décès par strangulation, d’asphyxie ou de traumatisme liés à la contention (lire l’Evaluation de la pratique de la contention physique en EHPAD par les docteurs Laprend et Ichir Dahlab).

4 commentaires

  • Laurence dit :

    Bonsoir,
    Suite à une TS, mon compagnon a été admis au centre psychiatrique du Coudray (CH Henri Ey) à Chartres et placé à l’isolement par le psychiatre de garde, en pleine détresse et après avoir été vertement sermonné pour son geste. Il y est resté 3 jours au lieu des 24h préconisées, sans entretien digne de ce nom avec un médecin, sans aucune information, sans aucune hygiène, sans repère dans le temps si ce ne sont les repas, la seule ouverture sur la lumière étant au 3/4 close par un volet, et j’en passe… Cet épisode, loin d’être aidant, a été extrêmement traumatisant pour lui comme pour moi qui porte la culpabilité de l’avoir envoyé en enfer alors que je pensais l’aider, après avoir eu la lourde tâche de le libérer de sa corde. Je pense que cet épisode destructeur est un danger supplémentaire pour lui et m’a replongé moi-même dans un état de détresse extrême qui me pousse à envisager sérieusement le suicide.
    J’espère sincèrement que ce commentaire contribuera à ce que ce type de pratiques intolérables et inhumaines soit un jour totalement éradiqué et les médecins les utilisant, d’autant plus dans le non-respect des règles élémentaires d’humanité, sanctionnés.

  • Jules Malleus dit :

    Ces pratiques sont illégales vis à vis des engagements ONU de la France. Convention Droits des Personnes Handicapées, articles 12, 14, 15, 25, Commentaire général sur l’article 12, guidelines sur l’article 14.
    Sont illégales aussi les pratiques de traitement forcé et d’hospitalisation forcée, qui sont discriminatoires et représentent des modes de prises de décision substitutive au lieu de prises de décision assistée.

  • Cywier dit :

     Bonjour, un membre de ma famille est résidente d’un EHPAD. Dès son arrivée, elle a été ligotée sur un fauteuil roulant du matin au soir alors qu’elle était tout à fait alerte. Elle s’est rebellée, et 3 ou 4 fois par jour, on lui administrait « un calmant ». Cela a duré 2,5 ans et aujourd’hui, son squelette est complètement déformé en Z, elle ne parvient plus à s’allonger, ses articulations sont sclérosées , ses muscles sont inexistants.Nous n’avons rien pu faire : nous n’avons le droit (ordre de la direction) de la visiter que 3 fois par semaine. Son état est lamentable. Une plainte a été déposée mais en attendant , elle souffre. Aucune association ne nous aide (SOS Maltraitance…)

  • Pierre Fevre - Renault dit :

    Veritable scandal toujours présent en 2022, la contention sur des personnes non alzheimer ne relevant pas de la psychiaterie est la suite d une matraitance institutionnelle qui s est installe dans les Ephad
    depuis plusieurs années.
    France Alzheimer Val de Marne

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