Différents exemples ont révélé, au cours de ces derniers mois, l’importance de l’enjeu que pose l’envolée des prix des médicaments innovants sur l’accès aux soins et l’équilibre budgétaire de nos systèmes solidaires de prise en charge. Les associations représentant les malades, dont le Collectif Interassociatif Sur la Santé, ont été parmi les premières à s’en alarmer et elles font des propositions pour garantir à la fois le financement durable de l’innovation thérapeutique et l’accès de tous à celle-ci dans un cadre budgétaire soutenable par la solidarité nationale.
Mais pourquoi cette soudaine inquiétude autour du prix des médicaments innovants ? Parce que les progrès de la recherche amènent, fort heureusement, à ce que plusieurs molécules nouvelles arrivent successivement sur le marché en quelques années en apportant des gains thérapeutiques considérables dans le cadre de pathologies qui concernent des millions de personnes dans le monde.
Les exemples de l’hépatite C et du traitement de certains cancers
Cela a notamment été le cas avec les nouveaux traitements contre l’hépatite C qui permettent, en 3 mois de traitement, de soigner les malades dans plus de 9 cas sur 10 en faisant disparaitre le virus de leur corps… mais à un coût, en France, de plus de 40 000 € / personne traitée. Un coût restant intégralement pris en charge par la Sécurité sociale mais qui :
- d’une part, oblige à sélectionner les malades au lieu de pouvoir tous les traiter (quelques dizaines de milliers seulement ont eu accès au traitement à ce jour, alors que la population des personnes infectées par le VHC en France est estimée à près de 300 000),
- d’autre part, fait porter un coût très lourd à l’Assurance maladie malgré le rationnement des soins à certains malades seulement. Alors, certes, ce traitement particulièrement innovant, qui transforme radicalement la qualité de vie ainsi que le pronostic vital des malades et peut même faire espérer de mettre fin à l’épidémie d’hépatite C, mérite un investissement collectif certain… mais à un niveau qui permette de le rendre effectivement disponible pour celles et ceux qui en ont besoin. Ce n’est manifestement pas le cas aujourd’hui.
Même inquiétude avec l’arrivée de plusieurs thérapies innovantes très prometteuses dans certains types de cancer. Des recherches sont en cours pour tenter de les adapter au plus grand nombre de cancers sur lesquels elles pourraient être efficaces. Là encore, potentiellement, des centaines de milliers de malades pourraient devoir à terme bénéficier de ces traitements et avoir des chances beaucoup plus importantes d’espérer être guéris ou voir leur cancer sous contrôle. Mais les prix exigés par les laboratoires pharmaceutiques pour la commercialisation de ces molécules innovantes sont particulièrement élevés (facilement de l’ordre de 100.000 € par personne traitée, parfois davantage encore), au point de savoir dès maintenant que leur diffusion large serait impossible si elles s’avéraient effectivement efficaces dans le traitement d’une grande variété de cancers.
En résumé, dans l’exemple de l’hépatite C comme dans celui du cancer, on voit que le fonctionnement actuel de l’industrie pharmaceutique peut amener à la découverte de molécules très innovantes qui peuvent faire faire des bons en avant à la prise en charge médicale de nombreuses pathologies. Il faut préserver cette capacité d’innovation, et même la dynamiser encore pour s’assurer qu’elle soit toujours plus orientée vers les besoins des personnes malades, de toutes les personnes malades. Surtout, il faut résoudre les obstacles que posent de plus en plus fréquemment la question de la diffusion et de l’accès de tous à ces traitements innovants et de leur juste coût pour la collectivité.
Le système de fixation du prix du médicament : négociation ne doit pas vouloir dire chantage !
Aujourd’hui, le système de fixation des prix du médicament fait intervenir des organisations dont les principales sont la Haute Autorité de Santé (HAS) et le Comité économique des Produits de Santé (CEPS) autour de différents critères qui sont en particulier l’évaluation de l’« amélioration du service médical rendu » et le prix des autres traitements déjà disponibles pour la même pathologie.
Ce système assez complexe (cf. la description synthétique qui en est faite dans ce document du CISS : http://leciss.org/sites/default/files/Dossier_Prix-Medicaments-Innovants.pdf) est organisé autour du principe de la négociation : le prix du médicament est défini dans le cadre de négociations, notamment sur la base des critères évoqués précédemment mais aussi de nombreux autres facteurs qui restent souvent assez opaques puisque les décisions se prennent à huis clos, celles-ci étant censées permettre la meilleure adéquation entre les intérêts de chacun (les laboratoires pharmaceutiques souhaitant valoriser financièrement les médicaments qu’ils commercialisent, les pouvoirs publics et les financeurs de soins cherchant à rendre possible l’accès aux traitements des assurés sociaux au meilleur prix pour les comptes publics et ceux des complémentaires santé).
Sans remettre en cause le principe de cette négociation, dont on peut penser qu’elle est en mesure d’apporter une certaine flexibilité aux relations entre industrie pharmaceutique et pouvoirs publics, nos responsables politiques doivent se donner les moyens d’utiliser toutes les cartes qu’ils ont en main pour peser dans la négociation et éviter qu’elle ne tourne trop à l’avantage de l’industrie pharmaceutique, exerçant ainsi une sorte de chantage à l’accès aux soins : « si vous ne m’accordez pas les prix que j’exige, vos malades n’auront pas accès à mes molécules innovantes qui peuvent leur sauver la vie ».
Mieux encadrer la négociation des prix des médicaments
Un chantage d’autant plus inacceptable que des moyens légaux existent dans le cadre de cette négociation pour contraindre les laboratoires pharmaceutiques : mécanisme de la « licence d’office » (permettre la production d’un médicament générique, en cas d’urgence de santé publique, sans autorisation du détenteur du brevet et en indemnisant celui-ci) ou fixation unilatérale du prix des médicaments. Des mécanismes qui ne sont pas toujours évidents à mettre en œuvre, mais qu’il ne faut pour autant pas perdre de vue dans les cas où ils peuvent être adaptés… au moins comme moyen de pression à disposition des pouvoirs publics dans la négociation.
De même, parmi les propositions faites par les associations pour peser dans la négociation, l’idée d’apporter beaucoup plus de transparence à celle-ci. D’abord pour prendre à partie l’opinion publique, ensuite pour permettre par exemple que des négociations communes soient menées par plusieurs pays au niveau européen avec l’idée que l’union fait souvent la force au moment de négocier… Agir en ordre dispersé et dans l’opacité nous semble essentiellement profiter aux intérêts des laboratoires pharmaceutiques.
Une autre proposition forte consiste à demander que soit intégré un critère lié au coût de développement, fabrication et commercialisation du traitement dans la fixation du prix du médicament. Sans que ce critère soit prédominant, puisque le plus important doit effectivement rester l’intérêt thérapeutique du traitement, son ajout doit éviter que des prix déconnectés de la réalité pratique de production du traitement ne puissent être accordés aux laboratoires pharmaceutiques en alimentant au final la rémunération de leurs actionnaires plutôt que le réinvestissement dans la recherche.
Améliorer la pertinence des soins pour financer l’innovation
Améliorer la pertinence des soins, et en particulier celle de la prescription médicamenteuse, est un des axes à suivre pour libérer des financements nécessaires au développement et à l’accès à l’innovation thérapeutique. Les marges sont réelles et les leviers nombreux pour agir, notamment sur la sur-médicalisation, les prescriptions systématiques des molécules les plus récentes et les plus onéreuses, les soins redondants à l’hôpital comme en ville, les soins inappropriés. Et ce d’autant plus que ces mésusages, excès et non pertinences peuvent avoir des conséquences graves sur la santé et coûteuses pour la collectivité.
Selon plusieurs évaluations et études disponibles, les soins inutiles représentent entre 27 et 30% des dépenses de maladie sous forme de surprescriptions d’examens, de médicaments, d’actes médicaux et chirurgicaux inutiles, de parcours injustifiés notamment hospitaliers, au détriment de la prise en charge de vrais traitements pour de vrais malades, et au risque de générer des souffrances inutiles et des risques évitables. Ces 27 à 30% de dépenses de santé estimées gaspillées chaque année sur un total d’environ 200 milliards d’euros de consommation médicale, ramenés à une estimation basse de 25%, représentent environ 50 milliards d’euros perdus, auxquels il convient d’ajouter les coûts des complications évitables.
La politique économique semble aujourd’hui privilégier les intérêts industriels, jusque dans le domaine de la santé. La lutte contre les actes inutiles est donc plus une affaire de système que d’individus. Les médecins eux-mêmes sont piégés. Qu’il s’agisse des professionnels de santé libéraux ou de membres d’établissements de santé, ils sont incités à privilégier le volume : en France, c’est le nombre d’actes, d’examens, d’interventions ou d’hospitalisations facturés qui permet de payer les salaires, les honoraires, d’acheter les équipements, de payer les médicaments ou les dispositifs médicaux hospitaliers. L’inflation des actes inutiles dans les établissements de santé est de plus en plus encouragée par le régime des autorisations : considérant par exemple qu’un chirurgien ne sait bien opérer que s’il pratique que très régulièrement son art, on lui impose un minimum de patients à opérer pour maintenir son activité. Cette mesure est prise au nom de la qualité des soins ; pourtant la pertinence des actes n’est pas garantie pour autant.
Nous avons conscience que décider politiquement de réduire ce gaspillage, outre la très grande difficulté que cela représente scientifiquement, techniquement et politiquement, c’est se heurter à un problème social et de réorganisation des activités et des métiers de la santé. Mais, eu égard aux conséquences humaines et économiques des traitements inutiles, il est urgent d’agir !
Quelques exemples de propositions très concrètes pour agir sur la pertinence des soins :
-
Au niveau de la prise en charge
– Faire évoluer les modes de financements des soins en ville et des établissements de santé en intégrant une notion de pertinence
– Revoir le régime des autorisations
– Retenir et utiliser les bons indicateurs de qualité
– Eviter les recettes « taille unique » de type « rémunération sur objectifs de santé publique »
– Valoriser les actions liées à l’intérêt thérapeutique, d’éducation et d’information du public grâce notamment à :
> la médecine fondée sur les preuves (EBM)
> le procédé « Choisir avec soin » : cette vision résume les grandes lignes d’une campagne menée en 2011 par la Fondation de l’American Board of Internal Medicine (ABIM), dans l’objectif de réduire le recours aux prescriptions, actes et procédures de faible apport pour la santé et comportant des risques d’effets indésirables
> la déprescription
> la conciliation médicamenteuse
> l’image des génériques et biosimilaires
> le DMP -
Au niveau de la politique de santé
Revoir la question de la transparence, à tous les niveaux, grâce, notamment à l’information du grand public par la publication d’un atlas des variations des pratiques médicales. Cette démarche doit s’intégrer dans une perspective pluriannuelle et doit être associée à d’autres outils pour inscrire professionnels et usagers dans un dynamique conjointe de changement des pratiques actuelles.
-
Au niveau de l'enseignement
– Enseigner la pertinence de la prescription à la faculté
– Exemple du certificat optionnel « Pertinence des examens complémentaires » mis en place à la faculté Lyon Est