Tristes déserts…

Est-ce bientôt la fin des déserts médicaux ? On voudrait bien le croire au moment où la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes entend annoncer de nouvelles mesures sous l’égide d’un « Pacte Territoire Santé 2 ».

Mais qu’est un désert médical ? Ce n’est pas toujours une zone rurale éloignée de tout ou un quartier d’une zone urbaine sensible. Un désert médical, c’est une portion de territoire où la population accède plus difficilement que la moyenne nationale aux soins en raison du moindre nombre de médecins : délais d’attente, refus d’inscription chez un médecin traitant, éloignement géographique, inexistence d’un médecin en secteur 1.

En connaissons-nous les causes ?

Oui. On peut distinguer les causes structurelles et les causes conjoncturelles. Du côté des causes structurelles, il faut bien reconnaître qu’il n’y a jamais eu de règles contraignantes pour l’installation des médecins. La Nation n’a jamais dit : il me faut un médecin pour 1 500 malades par exemple. A la différence des pharmacies qui ne peuvent pas ouvrir où elles veulent : il leur est exigé une clientèle potentielle de 2 500 habitants. A la différence des infirmières qui ont aussi des règles pour assurer leur répartition sur le territoire en fonction des besoins de la population. Résultat, on a pléthore de médecins dans les grandes villes et sur les bords de mer. Et ailleurs des déserts médicaux se creusent au fil du temps.

A ces causes structurelles s’ajoutent des causes conjoncturelles ?

Elles sont au nombre de deux, principalement. Les modes de vie qui ont évolué : le médecin d’aujourd’hui, qui est de plus en plus souvent une femme d’ailleurs, est aussi un homme ou une femme dont le rapport au travail n’est plus le même que celui observé il y a seulement 20 ans. Comme dans tous les métiers d’ailleurs. La recherche d’une certaine qualité de vie s’est imposée : beaucoup ne souhaitent plus travailler 50 heures/semaine ou plus, comme par le passé. La deuxième évolution, c’est celle des modes d’exercice. Les médecins de ville sont souvent des médecins qui exercent seuls : les maisons et centres de santé représentent à peine un peu plus de 10 % de l’offre de soins. Tout le reste se caractérise par un exercice solitaire. Or, cela les jeunes générations n’en veulent pas. Elles préfèrent travailler en équipe : à l’hôpital, en clinique, ou dans un centre de santé.

A la fois structurelle et conjoncturelle, la révolution numérique n’est pas non plus sans effet sur les pratiques professionnelles et les modes d’organisation. Par exemple, si on veut demander l’avis d’un confrère, rien de plus simple que de lui envoyer par internet des résultats d’analyses biologiques ou une radio. Mais les messageries sécurisées ne se sont pas développées en ville de la même façon qu’à l’hôpital. Or, d’ores et déjà, 20 % des médecins déclarent utiliser leur smartphone pour des échanges d’information avec leurs confrères ou leurs patients. Il serait donc urgent d’ouvrir des « autoroutes de l’information » pour permettre la généralisation des échanges, dans des conditions de sécurisation maximale des données, entre les différents professionnels de santé.

Autrement dit, les déserts médicaux résultent de causes qui se cumulent, structurelles comme conjoncturelles. C’est ce qui fait à la fois la tension sociale, car elle existe, et la complexité des solutions à mettre en œuvre.

La tension sociale, car ce sont les Français qui financent avec leurs cotisations sociales, tous les mois sur leur bulletin de paie, pour organiser le système de santé. On appelle ça l’Assurance maladie. Elle est là pour rembourser les dépenses de santé. Mais c’est aussi l’argent des cotisations qui sert à organiser les soins de ville. Difficiles d’admettre de payer des cotisations si on n’a pas en face des prestations de santé. On peut toujours dire qu’ont fermé des tribunaux ou d’autres services publics n’ayant pas de lien presque quotidien avec la population, mais le médecin c’est le « service public de la vie ». Au même titre que celui de l’éducation, il est caractérisé par un attachement particulier de la part de nos concitoyens qu’il est essentiel de ne pas perdre. Nous constatons tous le sentiment d’abandon sanitaire ressenti par les habitants de territoires de plus en plus nombreux. Il faut donc répondre à cette préoccupation croissante.

Comment ? Pour l’instant, personne, ni la gauche ni la droite, n’a réussi à imposer des règles à l’installation des médecins. Nous avons surtout conduit des politiques incitatives. Que le Sénat a lui-même critiquées dans un rapport récent, en 2013 : « Un empilement d’aides financières coûteuses et surtout peu opérantes ». C’est cette approche incitatrice que devrait poursuivre le Pacte Territoire Santé 2 qui envisage de combiner des aides financières avec des efforts de modernisation organisationnelle : plus de télémédecine par exemple, mais aussi la possibilité pour un médecin hospitalier d’aller exercer une partie de son temps en ville.

Est-ce que ça va suffire ? Dans le rapport du Sénat de 2013, il y avait 16 recommandations. On en a mis en œuvre une ou deux. On a soigneusement écarté les plus courageuses. La première consistait à ne plus conventionner de médecins dans les zones sur-dotées en médecins. La seconde visait à rendre obligatoire à partir de 2017 l’obligation pour les nouveaux diplômés de médecine d’aller s’installer quelques années en début de carrière dans une zone sous-dotée. Mais dans un contexte d’opposition médicale maintenant installé, on voit mal qui retiendrait ces bonnes idées. Sans doute faudra-t-il attendre qu’un patient décède faute de médecin à distance raisonnable pour que l’on s’inquiète vraiment de moderniser la médecine de ville ! C’est d’ailleurs un peu la prophétie du Sénat qui indiquait dans le rapport de 2013 que ces déserts médicaux pourraient avoir « des conséquences graves sur la santé même de nos concitoyens ».

Christian Saout

Secrétaire général délégué au CISS, est notamment l’auteur d’un ouvrage publié en décembre 2013 : Santé, citoyens ! Il a un long parcours de militant dans la santé depuis 1993. De 1998 à 2007, il a présidé l’association Aides, première association française de lutte contre le sida. Puis, il a été élu à la présidence du CISS – le Collectif interassociatif sur la santé, qui regroupe toutes les grandes associations de patients et d’usagers de la santé – avant de présider la Conférence nationale de santé.

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