Soigner les troubles psychiques par la lecture ? Dans un ouvrage consacré aux vertus de la bibliothérapie, Régine Detambel, romancière, kinésithérapeute de son état et se disant « bibliothérapeute », explique comment et pourquoi ce type de pratique peut aider les personnes souffrant notamment de troubles psychiques.
« Dans un livre, on est toujours chez soi », écrit Régine Detambel, auteure et kinésithérapeute, dans un ouvrage publié en mars dernier* portant sur l’utilisation de la littérature comme outil de soin. La bibliothérapie, ainsi a-t-on nommé le concept. Cette « discipline » consiste en « l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outil thérapeutique en médecine et en psychiatrie », peut-on lire dans le dictionnaire.
Pierre-André Bonnet, médecin généraliste a consacré sa thèse de fin d’étude, présentée en 2009, au sujet. Dans ce document La bibliothérapie en médecine générale, il indique qu’« en médecine générale, [la] pratique [de la bibliothérapie] est le fait de certains médecins qui par une initiative personnelle, conseillent des lectures à leurs patients en puisant dans leurs propres expériences littéraires ». Vous n’en aviez jamais entendu parler ? Les plus illustres auteurs se sont prononcés sur le sujet.
Quand la littérature étincelle notre perception
Quels maux soignent les livres ? « Ils sont innombrables, répond Régine Detambel. L’ignorance, la tristesse, l’isolement, le sentiment de l’absurde, le désespoir, le besoin de sens, parmi quelques-uns ». Pierre-André Bonnet cite pour sa part les troubles anxieux et phobiques, les troubles de l’humeur ou encore les problèmes d’addiction à l’alcool ou de sommeil. Comment ça marche ? « Les bons livres nomment les choses qui nous arrivent et nous affectent d’autant plus que nous ne les comprenons pas vraiment. Il y a des visions étincelantes de notre expérience que la littérature, et elle seule, est capable de donner « . La possibilité que la littérature puisse jouer un rôle dans l’amélioration de la santé mentale du lecteur est une idée qui ne date pas d’hier.
« Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé« , écrivait Montesquieu en 1726, cité dans une chronique littéraire consacrée au sujet par la revue Marianne, « Lire pour aller mieux ». L’hebdomadaire rapporte également les propos de Marcel Proust pour qui dans « certains cas pathologiques, de dépression spirituelle, la lecture peut devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées, de réintroduire perpétuellement un esprit paresseux dans la vie de l’esprit. Les livres jouent alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ».
Des conseils pratiques aux écrits qui bousculent
Les théoriciens de la bibliothérapie distinguent différents types d’ouvrages susceptibles d’être utilisés afin de calmer les maux de leurs contemporains. « Dans une première catégorie, explique Pierre-André Bonnet, nous classons le répertoire classique : romans, biographies, fictions, etc. ». L’ouvrage n’est pas écrit à des fins thérapeutiques mais le patient y trouve un effet bénéfique. Viennent ensuite les ouvrages orientés sur les considérations psychologiques, « classe hétérogène de livres, dont le contenu est en rapport avec le soin de l’esprit (développement personnel, explication d’un courant de pensée psychologique, information sur un trouble particulier, etc.) ».
Les livres dits d’auto-traitement, appellation traduite de l’anglais « Help-Self Book » constituent une troisième catégorie d’ouvrages susceptibles d’être utilisés à des fins thérapeutique. Leur objectif « est de guider et d’encadrer le lecteur dans ses actions de la vie quotidienne pour l’aider dans un processus de changement comportemental et psychologique ».
Ces deux dernières catégories ne trouvent pas grâce aux yeux de Régine Detambel. Pour elle, « il faut qu’un livre soit plurivoque, un épais feuilletage de sens et non une formule plate, conseil de vie ou de bon sens, pour avoir le pouvoir de nous maintenir la tête hors de l’eau et nous permettre de nous recréer ». Elle prône la littérature, les grands romans métaphoriques, les « grands textes » comme remède plutôt que les ouvrages de développement personnel de type « Comment lutter contre les idées noires ?, « L’antidéprime en 10 leçons »…
Le bonheur de la répétition, l’hypnose revigorante de la rime, la mémorisation délectable, l’émerveillement devant le texte intraitable sont à mes yeux les vrais principes actifs de la bibliothérapie, alors que le bibliocoaching recherche surtout des livres “faciles à comprendre”.
Un médicament disponible sans prescription en librairie !
Les meilleurs vendeurs dans les grandes chaînes de librairie, l’auteure s’en moque doucement. Le bonheur de la répétition, l’hypnose revigorante de la rime ou encore l’émerveillement face à un texte intraitable constituent autant de « principes actifs » de la bibliothérapie, selon elle. Et d’ajouter : « Le livre de psychologie grand public touche directement et frontalement, comme perçant à jour, mais n’emmène guère dans les espaces fantasmatiques où réélaborer son histoire« .
S’inspirant des travaux du psychanalyste Jacques Lacan sur la métaphore comme outil d’exploration du mal-être et du refoulé (l’analyse des rêves ou le lapsus par exemple en psychothérapie), Régine Detambel explique : « Il ne suffit pas de raconter sa douleur ou de partager sa souffrance pour que tout soit réglé. Il y a des récits de soi tellement stéréotypés qu’ils ne donnent lieu à aucune symbolisation. Seule la métaphore donne accès aux émotions et touche le corps ».
Lacan ou le pouvoir cathartique de la métaphore
Pourquoi ? Parce que la métaphore permet de donner sens à une tragédie en évitant de l’évoquer. Le défi du bibliothérapeute, qu’il soit psychothérapeute ou médecin – ou les deux –, revient donc à identifier le ou les ouvrages proposant un lien discret avec le traumatisme, une fois que celui-ci a été défini. Autrement dit, évoquer le problème, mais sans crier trop fort, sans l’aborder de front. En parler avec subtilité, surtout, de façon à ce que l’esprit se libère de ses freins.
Selon Pierre-André Bonnet, la lecture solitaire peut en effet « être le lieu d’expérimentation d’émotions normalement douloureuses, mais qui vécues à travers le prisme esthétique d’une histoire, d’une tragédie, d’un livre, perdent la capacité de faire souffrir, laissant place au plaisir et à là sérénité de la purgation de telles émotions ». Le médecin témoigne dans sa thèse d’un retour positif de la part des patients auprès desquels il a utilisé la bibliothérapie.
La bibliothérapie, le chaînon manquant dans une prise en charge globale ?
Les travaux qu’il a menés sur le sujet (revue de littérature, recueil de témoignages, sondages auprès de patients et de médecins, etc.) confirment et renforcent l’idée que « le livre est peut-être le meilleur vecteur pour délivrer une thérapie peu accessible autrement ». Pour lui, récuser la bibliothérapie au prétexte qu’elle n’est pas, à priori, un outil médical, revient à se priver d’un moyen de prolonger la relation thérapeutique au-delà du temps de la consultation, et à priver le patient d’un outil de soin et de prévention.
De fait, tous les professionnels de santé ne sont pas de fervents adeptes de cette discipline. Dommage, estime-t-il, car elle peut être « le chaînon manquant dans une prise en charge globale des patients. Si d’autres travaux en soins primaires seront nécessaires pour approfondir les connaissances dans ce domaine nouveau, rien ne s’oppose à sa mise en pratique dès maintenant ».
* Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous – Pour une bibliothérapie créative, Éditions Actes Sud, mars 2015, 176 pages, 16 euros.
En savoir plus :
- « Régine Detambel : les livres prennent soin de nous », L’heure des rêveurs, France Inter, 17 avril 2015 : écouter l’émission en cliquant ici
- La Grande Librairie, France 5, 16 avril 2015 : visionner ici
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