Errances de diagnostic-détresse psychologique

Cancers, maladies graves et détresse psychologique

Interview du docteur Sylvie Dolbeault, chef du Pôle psycho-oncologie et social, Département de Soins de support, à l'Institut Curie (Paris 5e)

À quels moments les patients atteints de graves maladies sont-ils les plus fragiles sur le plan psychologique ?

On a tendance à parler du moment de l’annonce, du début du traitement voire de la fin de la maladie où le patient peut se sentir « perdu » après avoir mené un long combat, mais il faut bien avoir en tête que la détresse psychologique peut survenir à n’importe quel moment de la maladie.

Tous ces patients qui souffrent traversent-ils des moments de détresse psychologique ?

Dans le cas du cancer, on estime qu’environ 1/3 des patients souffrent sur le plan psychologique, avec des variations d’intensité et de durée. Il peut être normal de s’effondrer, notamment au moment de l’annonce de la maladie ou d’une mauvaise nouvelle au fil du parcours de soins, mais la plupart du temps, les patients remontent la pente au bout de quelques jours après une phase initiale de détresse. Il est très fréquent de passer par des phases de baisse de moral ; souvent les patients culpabilisent et n’en parlent pas, or la plupart du temps, la détresse psychologique a une fonction, elle est le signe que le patient intègre la maladie et s’adapte.

Est-ce vrai que l’aspect psychologique participe à la guérison ?

Il faut tordre le cou à cette idée reçue qui dit que « le moral, c’est 50% du processus de guérison ». Certes quand le moral (l’état psychologique plus globalement) reste bon, on traverse la maladie dans de meilleures conditions, mais à l’inverse, il n’a jamais été prouvé que la détresse psychologique entraînait directement un risque d’aggravation de la maladie

Les pistes de recherche actuelle dans ce domaine concernent le lien entre dépression et cancer. Il est en effet avéré que la dépression peut être associée à un sur-risque de survenue de certains types de cancer mais cela s’explique par l’intermédiaire de comportements de santé : souvent les personnes qui souffrent de longues dépressions ont une mauvaise hygiène de vie, se nourrissent mal, ne font pas de sport, fument, boivent de l’alcool. Une détresse psychologique qui apparaît dans le cadre d’une maladie grave peut être efficacement prise en charge par l’équipe soignante. Il ne faut vraiment pas hésiter à en parler.

Pourquoi les patients n’osent pas toujours en parler ?

Nous nous sommes rendu compte que certains d’entre eux craignaient d’être jugés comme faibles face à leur médecin, voire de le décevoir. En outre, certains rejettent l’idée de rencontrer un psychologue ou un psychiatre, car pour un certain nombre de personnes, cette démarche est assimilée au fait d'« être fou ». Notre rôle est d’expliquer bien entendu comment une aide psychologique peut les aider à traverser leurs souffrances morales mais aussi proposer d’autres formes de thérapies car les entretiens avec un psychologue ne sont pas forcément adaptés à tous.

Quels sont les outils thérapeutiques « classiques » mis à disposition des patients en détresse psychologique ?

Le tout premier est le soutien psychologique assuré par l’équipe. En effet, en cas de détresse modérée, parfois l’échange avec l’équipe soignante peut suffire. Vient ensuite éventuellement une approche plus approfondie via la rencontre avec un psychologue ou un psychiatre. On peut envisager un soutien médicamenteux si le patient est en dépression ou souffre de troubles anxieux, du sommeil, etc. Enfin, toujours dans cette approche basée sur l’échange entre pairs, on peut proposer des groupes de parole, organisés par thèmes comme « La peur de la récidive », « La peur de l’après-cancer », des groupes spécifiques pour les femmes jeunes, etc. Ces groupes permettent aussi de maintenir un lien social qui a tendance à se rompre lorsque l’on est malade.

D’autres approches thérapeutiques ont également fait leur apparition à l’hôpital ?

Oui, notamment les approches psycho-corporelles comme la relaxation, l’hypnose médicale, la sophrologie, la méditation… très appréciées des patients, car cela les aide à mieux gérer le stress, à retrouver un sentiment de contrôle dans un contexte où ils se retrouvent parfois passifs face à la maladie et aux traitements reçus. En outre, certains veulent éviter de prendre des médicaments supplémentaires.

Enfin, il existe également des techniques plus ciblées, notamment au travers des approches cognitivo-comportementales. Il s’agit de thérapies brèves qui se déroulent sur un petit nombre de séances, grâce auxquelles nous obtenons de bons résultats, en particulier sur les troubles du sommeil et sur les phobies, comme la peur des piqûres ou de l’hôpital.

Tous les hôpitaux proposent-ils aujourd’hui ces outils thérapeutiques ?

Non malheureusement, on doit souligner de fortes inégalités d’un lieu de soins à l’autre. Les centres de lutte contre le cancer sont pionniers dans ces domaines car ils prônent une approche coordonnée autour du patient qui intègre automatiquement le côté psychologique. À l’Institut Curie, nous avons également eu à cœur de développer les soins de support ; mais cela relève en réalité de l’engagement de chaque hôpital car ces disciplines ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale et sont donc à la charge de l’établissement lorsqu’il s’agit d’un établissement public.

Il faut aussi savoir que nous pouvons compter sur nos réseaux. Par exemple, s’il n’y a pas d’hypno-thérapeute dans l’hôpital d’un patient qui en aurait besoin, il y a la possibilité de faire appel au réseau « douleur chronique » qui peut alors coordonner l’intervention d’un tel thérapeute, qui pratique normalement dans un autre hôpital ou un réseau de soins.

De plus, il ne faut pas hésiter à se renseigner auprès des associations. La Ligue contre le Cancer, par exemple, a des comités départementaux dans toute la France et met à disposition des ressources dans le domaine des soins de support pour aider à la prise en charge de la détresse psychologique.

Notez également qu’il existe à Paris les structures « Accueil Cancer » de la ville de Paris, lieu d’accueil et de prise en charge psychologique et sociale, gratuit, qui offre un accompagnement des patients pendant et après la maladie, ainsi qu’à leurs proches.

Lorsqu’un patient ressent une souffrance psychologique, à qui peut-il en parler en premier ? Au médecin ? Aux infirmières ?

Le médecin est la personne légitime pour recevoir en premier l’information psychologique de la part de son patient, même s’il le dirige ensuite vers un autre professionnel de santé qui l’aidera au mieux [à lire également, notre fiche Prise en charge de la douleur]. Cependant la détresse psychologique est l’affaire de toute l’équipe soignante, et chacun à son niveau doit pouvoir entendre ou repérer les besoins du patient. Les équipes sont aujourd’hui de plus en plus et de mieux en mieux formées à cette démarche de repérage. Ces besoins peuvent concerner la prise en charge de la douleur, le désarroi face à une perte d’autonomie, une aide face à des problèmes matériels, et bien entendu la prise en charge d’une détresse psychologique.

Il reste encore bien des efforts à accomplir dans ce champ, car il est vrai que certains soignants considèrent que traiter l’aspect psychologique ne fait pas partie de leur travail, d’autres encore sont mal à l’aise et peinent à aborder le sujet avec leurs patients.

L’entourage peut-il aider à garder le moral ?

Le sujet de l’entourage est l’un des plus importants dans le cadre de la détresse psychologique, d’autant que ces derniers sont les mieux placés pour alerter l’équipe soignante d’éventuels changements de comportement du patient, qui pourraient annoncer une souffrance psychologique. De fait, le soutien social est essentiel. Être isolé ou se sentir isolé, même si dans les faits les proches sont présents, est l’un des principaux déclencheurs de détresse psychologique. C’est pour cette raison que les psychologues n’hésitent pas à proposer des entretiens aux proches ou encore des entretiens couple ou famille.

Laisser un commentaire public

Votre commentaire sera visible par tous. Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Logo Santé Info Droits

Partager sur

Copier le lien

Copier