Alzheimer : changer de nom ?

Telle est la question choc que posent Martial Van der Linden et Anne-Claude Juillerat Van der Linden dans leur récent ouvrage Penser autrement le vieillissement (Mardaga 2014).

L’importance de la prévalence de la maladie d’Alzheimer, qui atteint plus de 800 000 personnes en France, crée de grandes angoisses dans la population vieillissante.

La prise en charge des personnes dépendantes et démentes pose de redoutables problèmes sanitaires, mais surtout sociaux et éthiques, sans oublier les conséquences financières qu’entraînent des très longues prises en charge, pour les familles des malades.

Les Van der Linden ont traduit en 2009 l’ouvrage de Peter Whitehouse et Daniel George, au titre provoquant, Le Mythe de la Maladie d’Alzheimer, qui a induit alors de nombreuses réactions et débats. Six ans après, leur nouveau livre met à jour et consolide les conclusions de 2009. L’échec du modèle biomédical du vieillissement se traduit par l’absence de guérison des démences séniles et l’inefficacité, voire la nocivité des prescriptions médicamenteuses. Les auteurs argumentent avec un grand sérieux scientifique leur position.

Ils démontrent que le vieillissement cérébral et cognitif est un phénomène très complexe qui ne peut se réduire à des anomalies physiques. L’épidémiologie sociale met en évidence une très grande influence des déterminants externes, notamment :

  • Le manque d’activité physique avec l’avancée en âge
  • Le niveau scolaire initial
  • Le statut socio-économique et une enfance défavorisés
  • Le déficit d’activités cognitivement stimulantes
  • Le stress et la détresse psychologique
  • Le manque de buts dans la vie
  • La mauvaise insertion sociale et la solitude
  • L’influence néfaste des stéréotypes et des croyances
  • Les toxines environnementales
  • Les facteurs de risque et troubles vasculaires
  • Le diabète de type 2

De plus, si Aloïs Alzheimer a mis en évidence dès 1911 la démence dégénérative, l’émergence massive de celle-ci correspond à l’augmentation très récente de la durée de vie, qui fait que nous n’avons pas de référence historique. Car s’il existe des cas souvent dramatiques de prévalence précoce, la corrélation de perte de compétence cognitive avec l’âge est patente. Enfin, une nébuleuse Alzheimer manipule l’opinion publique pour obtenir des crédits ou des organisations spécifiques, en jouant sur la peur d’une maladie terrible. Enfermer les personnes qui perdent ainsi leurs moyens dans une catégorie « malade d’Alzheimer » est une forme d’exclusion sociale que les auteurs combattent.

La prise en charge des personnes vieillissantes en perte d’autonomie doit combattre toute forme de stigmatisation. Or la situation actuelle conduit à un enfermement « médicalisé » dans des structures sous-équipées, ou à un isolement à domicile avec un épuisement des aidants familiaux, eux-mêmes vieillissants et fragilisés par l’accompagnement d’un être cher qui se dégrade sur les plans physique et intellectuel. L’ampleur de cette évolution de la prise en charge paralyse les décideurs politiques, confrontés en France à des transformations d’une multitude d’institutions : 7000 EHPAD et d’innombrables services à domicile concernant plus de 50 métiers divers.

Pour les auteurs, la réponse ne peut non plus venir de la technique. Certes les personnes vieillissantes utilisent et utiliseront de plus en plus des assistants numériques communiquant, qui sont des aides incontestables. Des robots peuvent exécuter des tâches ménagères, aider au déplacement, détecter et signaler des situations anormales (chute, pilulier) ou être des placebos de compagnons affectueux. Des organisations plus performantes de l’assistance et de la prise en charge sont indispensables. Mais la réponse « silver économie » est trompeuse et elle permet trop souvent à des opérateurs financiers de piller les ressources des vieux et de leurs familles. Alors que la réponse se trouve dans la lutte contre l’exclusion, la convivialité et le respect de la différence.

Les auteurs en appellent à un changement de culture par rapport à la démence elle-même. L’augmentation des moyens ne répondra pas au défi social des conséquences de la grande vieillesse. Comment passer de systèmes sanitaires, médico-sociaux et sociaux conditionnés par leur fonctionnement propre, dont ils imposent les contraintes aux personnes prises en charge, à une organisation centrée sur la personne elle-même ?

Devant le vieillissement et la démence, une perspective politique et sociale s’impose à la société. Il faut sortir de l’enfermement dans la maladie et inventer d’autres termes que démence et/ou Alzheimer.

Les auteurs concluent ainsi leur livre :
« La démence constitue ainsi un prisme au travers duquel nous pouvons voir plus clairement l’état de notre société et la nécessité de la faire évoluer. Ainsi, défendre une autre manière de penser le vieillissement, c’est aussi s’engager pour un autre type de société dans laquelle la vulnérabilité, la différence et la finitude ont toute leur place. »

Daniel CARRÉ
Secrétaire général et Administrateur du Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS), en charge du secteur Santé et Vieillissement, et délégué national de l’Association pour le Droit de mourir dans la dignité (ADMD).

 

Sources, en savoir plus :

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