En 1994, Simone Veil met en place le remboursement de la péridurale à 100%, sur la base des tarifs de la Sécurité sociale. Dès lors, cet acte d’anesthésie s’est largement banalisé à tel point qu’aujourd’hui, dans certaines maternités, 100% des accouchements se pratiquent sous péridurale. Il reste pourtant de nombreuses femmes qui désirent accoucher le plus naturellement possible et se retrouvent désormais confrontées à un système peu adapté à leur souhait.
Les chiffres…
D’après une enquête du CIANE (Collectif Interassociatif Autour de la Naissance), sur 8284 femmes interrogées entre 2005 et 2012, 88% des femmes qui accouchaient pour la première fois (primipares) ont choisi la péridurale en 2012. À titre de comparaison, elles étaient 76% pour la période 2005-2007.
La pratique de la péridurale baisse ostensiblement chez les femmes qui ont déjà eu un enfant (multipares). En effet, ce chiffre tombe à 58% pour 2012, mais il a tout de même augmenté par rapport à 2005-2007, où il n’était qu’à 50%.
Comment expliquer que les multipares accouchent plus souvent sans péridurale que les primipares ?
En premier lieu, cela s’explique du fait que l’accouchement d’une multipare est plus rapide que celui d’une primipare. Ce fut le cas de Maud, qui ne s’était absolument pas posé la question pour ses deux premiers accouchements « Il n’était même pas question que j’envisage de souffrir en sachant que la péridurale existait… », précise t-elle en riant, « mais pour le troisième, je n’ai pas eu le choix, tout s’est passé si vite que l’on n’a pas eu le temps de me poser la péridurale. J’ai alors compris ce que signifiait le mot ‘délivrance’. Après des douleurs insoupçonnées, d’un seul coup, tout s’arrête ! », ajoute t-elle. En effet il faut au moins 30 minutes à la péridurale pour agir et parfois, il est trop tard pour l’envisager.
Il se peut également que les femmes ayant déjà eu un premier enfant soient moins effrayées et décident d’essayer de se passer de péridurale.
Se passer de péridurale par choix
Dans le cas de grossesses dites « à risques », dont on sait par exemple qu’il peut y avoir une césarienne, ou pour les femmes cardiaques, hypertendues, diabétiques ou encore épileptiques, la péridurale est sans conteste un bénéfice pour la santé de la maman et du bébé.
Pour son premier enfant, Stéphanie a dû rester alitée dès le 4ème mois. Elle a vécu une grossesse pathologique très médicalisée… Trop médicalisée pour Stéphanie, pour qui la péridurale se présentait comme une évidence, un soulagement face à tout le stress qu’elle subissait. Heureusement tout s’est très bien passé ! Pourtant Stéphanie s’est sentie comme « dépossédée » de quelque chose. Dans les mois qui ont suivi, elle a vécu un maternage très naturel… Allaitement, couches lavables, portage de son bébé en écharpe, et lorsqu’elle est à nouveau tombée enceinte, elle a eu envie de poursuivre cette démarche. « La péridurale ne s’imposait plus du tout, et j’ai pris conscience de ce qui m’avait manqué la première fois, je ne voulais pas que l’on m’accouche, je voulais accoucher moi-même ». La maternité de Nanterre, où elle décide d’accoucher, lui indique alors les coordonnées d’une sage-femme libérale qui la suit, la coache véritablement durant toute sa grossesse. Stéphanie accouche donc sans péridurale : « Bien sûr, c’est douloureux, mais je me représentais les contractions de façon positive, elles étaient le chemin qui me ferait découvrir mon bébé. Cela peut paraître étrange, mais quand il est arrivé, la douleur à la fin n’en était plus, j’irais jusqu’à parler d’un certain plaisir, j’ai découvert que je possédais une forme de puissance féminine que je ne connaissais pas ».
Les « On dit »
Parmi les femmes qui décident d’accoucher sans péridurale, il y a celles qui comme Stéphanie souhaitent expérimenter l’accouchement de façon naturelle, comme le faisait leur mère et leur grand-mère, ou tout simplement celles qui ont davantage peur de la piqûre de la péridurale que de la douleur de l’accouchement.
D’autres encore craignent les suites d’un accouchement sous péridurale. En effet, la péridurale n’a pas que des amis, certains détracteurs l’accusent d’être à l’origine d’un certain nombre de complications qui méritent d’être connues.
Le docteur De Sarcus, chef du service de la maternité de l’hôpital Max Fourestier à Nanterre (92), nous aide à y voir plus clair.
Particulièrement ouvert à l’accompagnement des mamans qui désirent accoucher sans péridurale, son service affiche 10% de péridurales en moins par rapport à la moyenne nationale.
• On dit que la péridurale allonge la durée du travail *
Docteur De Sarcus : cela peut arriver, surtout si la péridurale est faite avant une dilatation de 4cm. Des complications peuvent alors survenir comme celle de devoir déclencher l’accouchement. Pour cela on utilise de l’ocytocine de synthèse, qui est une hormone normalement secrétée naturellement au moment de l’accouchement pour déclencher les contractions. Le problème est que dans quelques cas, provoquer le déclenchement peut entrainer des hémorragies chez la maman, au moment de la délivrance.
Notons également que dans la mesure où la péridurale réduit la mobilité des membres inférieurs, les futures mamans doivent rester alitées. Cela ne favorise pas autant la descente du bébé que lorsque la maman peut marcher.
• On dit que la péridurale augmente le nombre de césariennes
Docteur De Sarcus : pas à ma connaissance…
• On dit que la péridurale augmente l’utilisation de forceps ou de ventouses chirurgicales
Docteur De Sarcus : il y en a effectivement un peu plus car sous péridurale les femmes sentent moins les contractions et « poussent » moins. Mais aujourd’hui les péridurales sont injectées à l’aide de seringues électriques qui permettent de baisser un peu les doses avant la délivrance. On peut alors éviter ce problème.
• On dit que la péridurale augmente le risque d’épisiotomie
Docteur De Sarcus : c’est la conséquence de la question précédente. Si l’on est obligé d’utiliser des forceps, on pratique alors une épisiotomie. Mais en soi, la péridurale n’entraîne pas forcément d’épisiotomie. Si elle est bien réglée, de façon à ce que la maman ressente quand même les contractions a minima, alors il n’y a pas de raison de faire automatiquement une épisiotomie. À Nanterre on en pratique dans 7 à 8% des cas. L’épisiotomie n’est pas anodine. Elle peut vraiment empoisonner la vie intime d’une femme pendant des années.
• On dit que les femmes qui ont eu recours à la péridurale sont davantage sujettes à des problèmes d’incontinence
Docteur De Sarcus : aucune étude ne l’a prouvé à ma connaissance.
• On dit que les bébés qui naissent sous péridurale sont moins vigoureux
Docteur De Sarcus : normalement l’enfant ne reçoit pas de produit anesthésique. Là encore il n’y a aucune étude. Si je me fis à mes 18 années d’expérience à Nanterre, j’ai tendance à dire que je ne vois pas de différence.
• On dit que la péridurale permet d’éviter un risque d’anesthésie générale en cas de césarienne
Docteur De Sarcus : c’était vrai, mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui si une femme qui n’a pas de péridurale doit subir une césarienne, on pratique une rachianesthésie qui agit en 5 minutes.
Accoucher sans péridurale : le parcours de la guerrière !
Revenons au cas de Stéphanie que nous avons quittée alors qu’elle venait d’accoucher de son deuxième enfant de façon naturelle. Son histoire ne s’arrête pas là car un heureux événement s’est à nouveau annoncé… Plutôt deux heureux événements puisque cette fois-ci elle attendait des jumeaux. Ayant déménagé entre temps, elle ne pouvait pas cette fois-ci aller accoucher à Nanterre ; or en France, grossesse gémellaire est quasiment toujours synonyme d’accouchement médicalisé et donc de péridurale.
Déçue à l’idée de ne pas pouvoir revivre un accouchement naturel, elle a frappé à plusieurs portes et a eu beaucoup de mal à trouver une équipe qui accepterait de l’accompagner à accoucher de ses jumeaux sans péridurale. « Mon entourage me regardait comme une extra-terrestre. Le pire a été mon rendez-vous chez l’anesthésiste avant l’accouchement. Le docteur n’en revenait tout simplement pas que je veuille tenter ma chance sans péridurale. Je savais évidemment que je devais quand même être prête à accepter une péridurale en cas de complications. La plupart des femmes se préparent au pire, c’est-à-dire se passer de péridurale, pour moi me préparer au pire, c’était de peut-être devoir subir une péridurale… ».
L’encadrement de l’équipe soignante
L’étonnement de l’anesthésiste de Stéphanie est symptomatique de la prise en charge par la majorité des équipes dans les maternités. Celles comme Nanterre qui ont une baignoire en salle de travail, où les sages-femmes sont sensibilisées aux techniques de sophrologie par exemple sont rares. À Nanterre, depuis peu, l’une des sages-femmes a même obtenu son diplôme d’hypnose médicale !
« Les sages-femmes qui viennent travailler à Nanterre viennent en connaissance de cause, elles savent que nous ne pratiquons pas la péridurale de façon systématique. Moi je suis de la vielle école, j’ai commencé alors que la péridurale n’était pas proposée aux mamans, donc je suis à l’aise avec les deux méthodes. Mais je vois bien que parfois, les plus jeunes, alors même qu’elles sont formées pour accompagner les accouchements naturels, se sentent plus à l’aise quand les mamans sont sous péridurale », déclare Caroline Cojean-Falize, la sage-femme cadre supérieure de la maternité de Nanterre. En effet, la banalisation de la péridurale touche également les sages-femmes et leur formation. Peu à peu, ce sont des gestes, des mots séculaires qui se perdent et risquent d’être totalement oubliés au profit d’une hyper-médicalisation.
Maîtriser son anesthésie
Ne pas vouloir souffrir est plus que légitime. Le docteur De Sarcus le reconnaît : « Dans tous les cas, et particulièrement dans les cas de patientes hyperalgiques, chez qui le travail dure de nombreuses heures et il n’y a aucune raison de ne pas profiter du progrès de la péridurale pour les soulager ». Cependant il prône une anesthésie contrôlée, qui permette de sentir les contractions tout en soulageant la douleur. Il aimerait installer dans son service la fameuse péridurale ambulatoire qui permet à la future maman de continuer à marcher sous péridurale, mais le matériel nécessaire est encore assez coûteux.
Pour conclure, n’hésitez pas à vous renseigner sur les taux de péridurales, d’épisiotomies, de césariennes et sur les techniques d’anesthésie pratiqués avant de choisir votre maternité. Pour vous y aider, vous pouvez par exemple jeter un œil sur le Top des Maternités.
* La remarque du Docteur De Sarcus, est corroborée par une étude américaine, publiée en février dernier dans la revue Obstetrics & Gynecology, confirmant que la péridurale allonge le travail de 2 à 3 heures en moyenne — étude reprise par le Huffingtonpost
Enfin un site d'information qui ne prend pas les femmes enceintes pour des abruties, qui interroge des médecins réellement à la pointe en matière de respect de la physiologie de l'accouchement et qui vérifie leur dire (cf note de bas de page). Merci au docteur de Sarcus pour son approche, s'il pouvait influencer favorablement ses confrères qui en sont encore à croire qu'une épisiotomie protège des déchirures, que le décubitus dorsal c'est trop génial et que la péridurale est absolu… parce que malheureusement, le parcours de nombre d'entre nous ressemble plutôt à ce que décrit Stéphanie … Et merci Docteur de baser votre pratique sur des études plutôt que sur des croyances et des schémas de répétition aux conséquences délétères. Sincèrement vous me redonner un peu d'espoir pour bébé 2 !!!!
Bonjour,
J’habite en Ariege, et j’envisage avoir un bebe peut être.
Vous croyez que je pourrais beneficier de vos metodes dans un hopital proche d’ici? J’aimerais tellement… ça doit dependre sûr qui on tombe, ou alors on exprime nos idées depuis le depart…
Bonjour,
dans cet article pourtant d’assez bonne qualité par ailleurs, j’ai été franchement heurtée par ce passage :
« D’autres encore craignent les suites d’un accouchement sous péridurale. En effet, la péridurale n’a pas que des amis, certains détracteurs l’accusent d’être à l’origine d’un certain nombre de complications qui méritent d’être connues. »
En tant que victime de cette maltraitance médicale qui m’a laissé de graves séquelles (j’ai failli perdre l’usage de mes jambes et je vis encore aujourd’hui avec des douleurs et une perte de mobilité extrêmement handicapantes), je trouve dégradante votre formulation envers celles (et ceux) qui alertent sur la dangerosité de ce geste médical, dont on ne prévient pas (ou plus) les parturientes ; il ne s’agit pas « d’accusations » gratuites de « détracteurs » mais de la réalité : la péridurale n’a rien d’anodin et les conséquences d’un « raté » sont terribles.
C’est un protocole imposé systématiquement, dans une logique de rentabilité, pour accélérer le travail et ajouter des actes présentés comme nécessaires (suite à la mise en place de la tarification à l’acte, et du « turn-over » pour réduire la durée d’occupation des lits et augmenter le « flux » de « patients » ; c’est un choix politique au mépris de la Santé Publique), donc le combo injection d’ocytocine+péridurale+épisio/césarienne est gagnant pour la direction de la maternité, au détriment des mères et bébés…
A la naissance de mon deuxième enfant, j’ai eu une péridurale mal posée ; l’anesthésiste n’était pas du tout à l’écoute et n’a pas daigné se remettre en question, ni tenter de repositionner l’aiguille malgré des douleurs insoutenables signalées à plusieurs reprises. Les sages-femmes qui ont fait le forcing pour me faire lever moins de 4h après la césarienne (résultat : une épaule déboîtée) n’ont rien voulu entendre alors que je ne pouvais pas tenir debout.
Lors de la consultation postopératoire (avec une gyn-obst) : déni total de la faute, les douleurs seraient « hormonales » (oui, le prétexte bateau pour balayer la parole de la mère…), qu’il s’agisse de l’épaule ou des séquelles de la péri.
Je suis toujours en errance (ou plutôt déshérence…) médicale, avec une prise en charge très insuffisante.
Le chemin est encore bien long pour la reconnaissance des femmes et plus encore dans le domaine gynéco-obstétrique et notre traitement en tant qu’être humain à part entière…
Bon courage à toutes !